> Mag > Musique > L’Esprit du son électronique au féminin
C’est avec un certain plaisir que nous prenons l’habitude d’aller voir les soirées de Radiation, association chambérienne qui défend âprement la musique expérimentale et cela avec brio. Ce vendredi soir, nous avions la chance de (re)voir l’excellent film Sisters with Transistors de Lisa Rovner, hommage aux femmes qui ont bravé le pouvoir masculin pour revendiquer leurs créations sonores. Elles sont nombreuses à avoir réalisé des œuvres géniales dans le domaine des musiques concrètes, électroniques ou électroacoustiques.
Mais au moment où on aurait dû les inscrire dans l’histoire de la musique, elles ont été « négligemment » écartées ! Ces femmes ont pourtant toutes joué un rôle crucial dans l’exploration et le développement de la musique électronique, repoussant les limites de la technologie et de la créativité sonore.
Le film était suivi d’un concert de l’artiste Franco-Suisse-Mexicaine, PURPURA [1], une drôle de dame qui présentait sa musique post-industrielle avec rage, amour et une violence qu’elle considère d’ailleurs comme une solution thérapeutique pour les vaisseaux sanguins de son public. Rictus a d’ailleurs interviewé cette jeune compositrice pour en savoir plus sur ses intentions artistiques.
Ce fut donc encore une superbe soirée organisée par Alex de Radiation [2] dans le cadre du Festival D.A.M.E qui continue d’ailleurs pendant ce week-end avec une programmation très intéressante et passionnante sur les arts numériques et musiques électroniques.
Revenons dans un premier temps sur ce documentaire Sisters with Transistors aux couleurs et aux sons inouïs qu’on peut voir en entier sur Arte (jusqu’au 25 mars 2024). Sorti en 2020, il met en lumière les contributions des femmes à l’histoire de la musique électronique et montre comment ces femmes ont repoussé les frontières de la musique électronique à une époque où l’industrie musicale était largement dominée par les hommes. Sisters with Transistors offre un regard fascinant sur des figures souvent méconnues de l’histoire de la musique électronique, et contribue par de nombreux témoignages et entretiens à leur rendre justice en les plaçant au premier plan de la narration.
Le film explore les figures incontournables de l’invention sonore du XXe siècle dont on peut présenter ici les principales :
Daphne Oram (1925-2003) est une figure centrale de la musique électronique expérimentale britannique. Elle fut la directrice de la BBC Radiophonic Workshop. Oram a quitté la BBC en 1959 pour réaliser ses propres travaux commerciaux dans la télévision, la publicité, le cinéma et le théâtre. Elle développa dès lors sa musique personnelle, la jouant et l’enregistrant elle-même, tout en nourrissant sa recherche personnelle sur la technologie sonore. Sa maison, un ancien palais de justice dans le Kent, devint un studio et un atelier peu orthodoxe dans lequel, avec un budget très limité, elle développa une recherche mêlant sons et idées sur la création sonore. Une partie importante de cette recherche fut l’invention d’une machine qui offrait une nouvelle forme de synthèse sonore — la machine Oramics. En 1962, elle reçoit une subvention qui lui permettra de développer un peu plus cette machine dont l’objet était de dessiner directement les formes sonores sur une pellicule 35 mm et de la faire jouer ensuite. On retrouvera un procédé similaire avec les films du canadien Norman McLaren.
Pauline Oliveros (1932-2016), accordéoniste et compositrice qui réalise durant les années 1950-60 des pièces sonores d’une contribution décisive au développement de la musique électronique en expérimentant avec le silence et le bruit, un travail qui préfigure ses pièces méditatives ultérieures. Elle est une figure de la musique minimalistes dans les années 1970. Elle est à l’origine du concept Deep listening(en), une nouvelle façon d’appréhender la musique, plus intime, lente et spirituelle… Une écoute profonde qui embrasserait l’immensité qui lui fera dire qu’elle avait l’impression d’être une sorcière qui capture les sons d’un royaume souterrain.
On pourrait encore citer les apparitions dans le film SWT de Delia Derbyshire, compositrice à la BBC Radiophonic Workshop que le Guardian présentait comme « l’héroïne inconnue de la musique électronique britannique », Clara Rockmore qui fut l’une des plus grandes virtuoses du thérémine, un instrument proche de celui du violon ou de la voix humaine mais dont la particularité est qu’on en joue sans le toucher, en bougeant les mains dans un champ électromagnétique émis par deux antennes. Wendy Carlos, célèbre pour avoir réalisé l’album Switched-On Bach en 1968, a popularisé l’utilisation du synthétiseur Moog. Elle est également connue pour sa contribution à la bande originale du film Orange mécanique. Laurie Spiegel a développé le logiciel musical Music Mouse, et ses œuvres expérimentales ont été influentes dans le développement de la musique électronique et de la musique algorithmique. Suzanne Ciani est connue pour son travail avec les synthétiseurs modulaires dans les années 1970 et a créé des bandes sonores pour des publicités et des films, ainsi que de nombreux albums solos.
On peut dire que pendant 55 minutes, nous sommes complètement en apnée devant les images et les compositrices inconnues du grand public dont nous écoutons, hypnotisés, les paroles et les musiques fascinantes.
Si on devait faire un seul reproche à ce documentaire ? La réalisatrice a fait la part belle aux compositrices anglo-saxonnes et seule, la française Éliane Radigue est incluse dans le film. Sans doute parce qu’elle a émigré un temps aux USA où elle découvre à l’Université de New York le synthétiseur, la musique modulaire et notamment l’instrument ARP 2500 utilisé dans ses chefs d’œuvre pendant 35 ans. Ses compositions sont souvent caractérisées par leur minimalisme et leur profondeur méditative à partir de visions telluriques, métaphysiques parfois d’inspiration bouddhiste ou sculpturales, qu’elle distille dans des pièces introspectives de plus d’une heure.
Pour être complet, nous aurions aimé voir dans ce documentaire certaines compositrices européennes comme Beatriz Ferreyra (née en 1937), Michèle Bokanowski (née en 1943), Annette Vande Gorne (né en 1946), Christine Groult (né en 1950) qui ont toutes fréquenté le GRM et les studios de Pierre Schaeffer. Mais ne soyons pas fâchés, attendons (mais pas trop longtemps svp) un deuxième épisode pour toutes les autres pionnières oubliées qui elles aussi, auront de toutes leurs empreintes sonores marqué la musique contemporaine et électronique.
1. Pourrais-tu te présenter en quelques lignes
Je m’appelle Andrea Nucamendi Siliceo, je suis artiste peintre, musicienne, compositrice, technicienne du spectacle vivant et maman. Née dans la région de Chiapas au Mexique, je suis basée actuellement au pied des montagnes du Jura entre la France et la Suisse. Je joue actuellement sur deux projets solos PURPURA et CATARATA, en duo avec Tzitzimime, en trio audiovisuel avec Iridium Oort, et en duo avec Entité Obscure. J’utilise pour cette interview le pronom « elle » avec accord féminin.
2. Pouvez-vous nous parler de l’évolution de votre son et de votre style musical depuis que tu es (vous êtes ?) sortie de la Haute école des beaux-arts de Genève
J’ai mes idées sur ce que je veux transmettre avec le son, ma trajectoire sonore a évolué dans la manière de composer mes morceaux et performances. J’ai commencé avec du no input, ce qui m’a appris à utiliser une table de mixage comme instrument et comprendre le son comme une matière. Puis je sentais le besoin d’entendre certains sons, il fallait que je les trouve, quelquefois avec le matériel que j’ai déjà, parfois il fallait que j’aille chercher plus loin. Au fait c’est encore le cas, c’est une évolution technique qui ne s’arrête pas.
3. Comment décririez-vous le processus de création de votre musique ? Avez-vous une approche spécifique lorsque vous écrivez de nouvelles compositions
J’ai l’impression que lorsque je compose de la musique : je suis en train de peindre. C’est à dire, dans mon esprit c’est le même type de transe qui se passe quand je peins et je dessine que lorsque je compose et joue du son. Je raconte des histoires, qui ne sont pas disons linéaires, il y a un début oui ! Mais, il y a plein des choses qui se passent en même temps, j’imagine comme une espèce de spirale simultanée.
C’est important pour moi de sentir l’espace et le temps que je suis en train d’habiter quand je compose, et c’est quelque chose au-delà des quatre murs qui m’entourent. J’ai l’impression que les sons que je vais composer sont déjà là et ils m’appellent pour que je les trouve. Je me mets à leur disposition en tant que transmetteur(e) …
Plus techniquement parlant, quand je compose je prépare des instruments avec des chaînes de pédales d’effets, des synthétiseurs, des séquenceurs, des oscillateurs, de la voix, et des instruments qui me facilitent l’utilisation des larsens. Je branche et débranche jusqu’à trouver ladite histoire à raconter.
4. Ce soir, la projection du film Sisters with Transistors a créé une atmosphère particulière, te sens-tu proche de ces pionnières ? En quoi, elles te motivent dans ta démarche ?
Je suis vraiment très contente d’avoir vu ce film aujourd’hui.
C’est tellement beau ce qu’elles disent, leur approche au son, ça fait du bien d’entendre cette approche si intelligente, intuitive et sensorielle. En même temps, ce n’est pas si étonnant, de les entendre et de les voir, ça résonne en moi, clairement c’est encourageant de voir d’autres femmes piloter avec du son leur univers intérieur.
5. Penses-tu qu’il y a toujours des inégalités hommes / femmes aujourd’hui ?
Pour répondre à cette question je vais te laisser un exercice. Compte sur chaque affiche des concerts le nombre de femmes que tu vois !
Tu peux aussi te dire que pour une heure entendue à la radio, combien as-tu de chansons composées par des femmes en comparaison par des compositeurs hommes.
C’est toujours d’actualité.
Et, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de compositrices femmes, il y en a beaucoup, il faut les faire jouer, il faut s’ouvrir aux différentes approches, déconstruire notre écoute.
6. Même si tu as quitté il y a longtemps le Mexique, conserves-tu des racines ? Et en quoi cela pourrait inspirer tes compositions ?
Je conserve des racines bien sûr. Certainement on trouve les influences évidentes sur les projets, notamment Tzitzimime qui est inspirée par des créatures de la mythologie aztèque. D’autres influences sont quelquefois plus inconscientes mais elles ressortent.
Le Mexique c’est un pays tout plein de magie, croyances et contrastes, j’ai grandi avec tout ça, même si je l’ai quitté y a longtemps je l’ai profondément en moi, c’est sûr, c’est une culture du réalisme magique. Je suis née et j’ai grandi dans la région de Chiapas, tout proche du Guatemala, c’est une région de la culture maya, les mayas qui ont étudié à l’époque le ciel, les astres et développé une façon de les étudier pour mieux comprendre la terre, l’agriculture...
Je suis métisse, là je fais mes histoires à moi, inspirée par mes origines Mayas et du Pays basque, lieux des sorcières.
7. As-tu un rêve en particulier ?
Je rêve beaucoup, j’ai plein des rêves, mais effectivement ces temps-ci j’en ai un en particulier.
Il m’est arrivé de jouer entourée des montagnes, il m’est arrivé de jouer aussi avec les yeux tous pleins de jungle, et là je rêve de jouer du son dans le désert, au Mexique peut être, je ressens un appel très fort !
La Base, Chambéry, le vendredi 8 mars 2024
Emblème de cet article Bebe Barron, créatrice de la musique du film Planète interdite
[1] On peut retrouver les oeuvres musicales de Purpura sur son bandcamp :
https://chaoticbehaviors.bandcamp.com/album/sabbat-des-sorci-res
[2] Alex est connu également pour son projet artistique YOKE et son excellent dernier OPUS « Sur le fragment de ce qu’il reste à sauver »
https://soundsunderyoke.bandcamp.com/album/sur-le-fragment-de-ce-quil-reste-sauver