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Pendant le festiv’all the music les groupes de rock Eiffel, Café Bertrand et Les Hyènes se sont exprimés au micro de Rictus, Ils ont tous trois reconnu une influence de la culture musicale et littéraire française dans leur Rock, mais leurs raisons pour utiliser notre langue sont assez variées. Tous trois refusent également de se voir réduits à une catégorie linguistique, et se qualifieraient plus de « Rock en langue française ».
Nous allons rentrer dans leurs univers aussi différents les uns des autres afin de comprendre en quoi cette simple expression plutôt réductrice peut recouvrer une large réalité.
Eiffel est un groupe fondé en 1998 par Romain Humeau, qui joue de la guitare, chante et est auteur/compositeur. C’est par sa voix que nous allons rentrer dans le monde du groupe.
Lorsqu’on lui parle de la langue française vis-à-vis de sa musique, il se réfère en premier à Boris Vian. C’est un artiste qu’il lit et entend dans l’adolescence et pour qui il éprouve une connexion particulière ; Il en a la vision d’un personnage festif, amoureux des femmes, profondément engagé et mal compris du public. Sa deuxième référence est Gainsbourg qu’il lie artistiquement à Boris Vian. Loin d’être sélectif, les influences d’Eiffel sont multiples, de la chanson francophone au trip-hop en passant par le grind métal (genre axé sur l’ultra-vitesse et la violence), le rock, la musique classique et la musique africaine, mélomane avant d’être francophile, donc.
Cependant on retrouve dans leurs goûts un profond attachement à l’harmonie et ils tentent d’apporter à leur musique l’éclectisme qui leur est propre. Les thématiques qu’ils traitent dans leur musique sont très diverses et relèvent parfois du domaine de l’imaginaire, sont parfois psychédéliques ou encore réalistes. La seule chose qui leur fait horreur c’est de parler de sujets triviaux dans leurs textes car ils voient dans la musique un moyen de voyager et de découvrir de nouveaux horizons. Il n’y a pas de place pour ce qu’ils appellent le « dodo néo-français » si courant dans la chanson française actuelle. Ce sont de joyeux drilles, qui se trouvent à l’antithèse de l’artiste maudit et écorché vif ; ils rappellent ainsi que Rimbaud a fini marchand d’armes.
Pour le groupe, l’emploi de la langue française n’est pas restrictive, même s’il est difficile de trouver de bons textes sur du rock de manière générale. Leur dernier album s’intitule « Foule monstre » et fait référence à la foule, aux révoltes qui ont secoué le monde ces deux dernières années tels que le Printemps Arabe et le mouvement international des Indignés, aux idéaux et à l’union des peuples. L’aspect merveilleux est très prégnant dans cet album et les musiciens tentent de mettre en relation les individualités de chacun avec une entité plus collective, l’Humanité.
Café Bertrand est un groupe de rock en français avec Walther Gallay comme chanteur. Celui-ci s’exprime sur le groupe. Lors de la question de l’étiquette, il réagit intensément.
Pour lui, l’image de rock français véhicule une opinion publique plutôt dévalorisante, en lien avec une variété française sans saveur, aux thèmes niais et faciles. De plus, le rock est une musique née au Royaume-Uni, adaptée en France mais qui ne peut être qualifiée de musique française.
Le chanteur s’identifie aux poètes maudits, représentés de manière moderne par Léo Ferré. Il faut dire que le groupe cultive une image profondément noire, proche de ce que l’on nomme aujourd’hui le Gothique mais qui prend ses sources dans le mouvement Romantique du XVIII° Siècle.
Le chanteur a fait des études de lettres modernes et a travaillé pour Jean-Paul Gaultier en tant que coloriste/styliste. Son parcours est assez varié et il fait montre d’une grande culture littéraire. Il trouve son inspiration dans les textes d’Amélie Nothomb, dans les films « Vol au dessus d’un nid de coucou », « Nikita » et « Wolfman ». L’écoute du groupe Tool, qui est un groupe de métal progressif, influence également son art.
Il écrit ses textes depuis vingt ans pour son groupe et pour d’autres. L’écriture lui permet d’exorciser ses peurs, ses souffrances et fait fonction de catharsis. Ainsi les thèmes qu’il traite tourne beaucoup autour de la solitude, de la déchéance dans la drogue, du SIDA qui a emporté des personnes de son entourage. Cependant c’est la sensibilité de l’artiste qui s’empare de ces thèmes et fait naviguer l’auditeur sur les plages poétiques. L’esthétique du groupe, au travers de leur site internet et de leur clip, est très forte et plante immédiatement un décor presque théâtral. Celui qui se contenterait de leur image pourrait vite confondre avec un groupe de métal, or le chanteur rejette totalement toute filiation avec cette musique. La démarche est très différente et ne s’adresse pas au même public.
Inévitablement pourtant, on retrouve une partie des spectateurs qui vient pour l’ambiance et pogoter, tandis qu’une autre saisit toute l’ampleur de la démarche et vient apprécier le texte et la mélodie très travaillée des pistes.
Les Hyènes est un groupe de rock en français intimement lié au cinéma, puisqu’en rapport avec le réalisateur Dupontel dont ils font la Bande Originale du film « Enfermés Dehors ».
Leur univers est totalement décalé, leurs textes sont directs et ne font pas de métaphores. Ils traitent des thèmes plus ou moins légers avec humour, qui pour eux est « la première des politesses ». C’est un projet de potes fait pour bien rigoler, et l’utilisation du français est ici une facilité. Ils reconnaissent eux-mêmes êtres des « billes en anglais ».
Ce n’est pas pour autant que l’étiquette de rock français leur convient, ni même celle de rock alternatif qui leur est pourtant souvent accolée. Le chanteur, Denis Barthe, a un parlé franc et explique le nom du groupe : " la hyène est le seul animal à voler la nourriture du lion ". Il fait également une critique des groupes de musique française, qui tentent trop souvent une approche poétique risquée finissant en paroles ratées.
L’humour est pour eux le plus important, et celui-ci se nourrit des paradoxes de la vie et des situations absurdes. Un groupe bon vivant, donc, à la musique travaillée et aux textes décalés.
Ces trois groupes rencontrés lors de ce festival font tous trois du rock en français, mais avec des démarches artistiques bien différentes. Le premier est dans le merveilleux, le voyage et la joie, le deuxième dans l’aspect poétique et littéraire du spleen baudelairien et le troisième dans une démarche de franche rigolade et de décalage. Peut-on vraiment encore parler uniquement de “Rock Français” à ce stade-là ?
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