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La tousseuse du Méliès

samedi 20 septembre 2014 par Xavier Depraz rédaction Copyright

Billet

Qui dit Montreuil dit Méliès… L’un des cinémas de référence dans le petit monde de l’Art et Essai français. Une salle de banlieue qui a réussi à damer le pion à bien des salles parisiennes, tant en matière de programmation que d’animation.

Il y a deux ans, elle a défrayé la chronique lorsque son emblématique directeur, Stéphane Goudet, a été débarqué par la municipalité, alors dirigée par Dominique Voynet. Grève, lettres ouvertes, comité de soutien affichant d’illustres signatures (Tavernier, Mordillat, Guediguian et j’en passe )… Le conflit a été médiatisé (toutes proportions gardées) et a dépassé les frontières des professionnels de la profession.
À la faveur des élections municipales de mars 2014 et du départ de Voynet, Goudet a été réintégré, en tant que directeur artistique du lieu. Un Méliès flambant neuf aurait dû sortir de terre au printemps dernier [1], au centre de la ville, juste en face de la mairie [2], mais de nombreux problèmes techniques (et pas des moindres : le matériau utilisé pour la façade laissait transparaître la lumière dans la salle… très embêtant pour un cinéma) en ont retardé l’ouverture.

Stéphane Goudet annonce le grand jour dans le courant du 1er semestre 2015 sur sa page facebook, un interlocuteur travaillant à la mairie évoque plutôt 2016. Avec ce type de chantier, il est de toute façon assez délicat de se risquer à pronostiquer une date de livraison des travaux. Ce qui est sûr, c’est que le projet est à la mesure du travail de la salle. 6 écrans, 1135 fauteuils, un restaurant panoramique, un espace d’exposition : rien de moins que le plus grand complexe art et essai de France !

Bref, de passage à Montreuil, le détour par le Méliès est incontournable pour tout amateur de salle obscure qui ne soit pas un temple du pop corn et de la tagada. Hasard du calendrier, mon jour de visite coïncidait avec l’avant-première de L’institutrice, en présence de son réalisateur, Nadav Lapid. Le film est le deuxième long métrage de cet Israélien qui a fait ses études en France et qui parle donc parfaitement notre langue. Le Méliès avait eu la bonne idée de programmer Le policier, le premier film de Lapid, primé à Locarno, juste avant l’Instritutrice. Alléchant, donc.

La salle est quasiment pleine. Beaucoup de femmes, entre 45 et 65 ans. Beaucoup d’enseignants aussi : « alors, ta classe elle est comment ? » . Le public art et essai est à peu près le même partout. Exception montreuilloise, il y a une réalisatrice dans le public : Dominique Cabrera (De l’autre côté de la mer), venue en voisine et en amie.

La spectatrice de droite, je m’en suis méfié dès le début.

Elle a ôté sa chaussure de gauche et a détendu ses orteils. J’ai presque entendu son soupire de contentement. Son pied potelé m’a obsédé durant toute l’avant-projection, façon Georges Tron. Et le film a commencé avec presque une demi-heure de retard.

Au début, il y avait une autre dame entre nous…. Mais une autre autre dame, celle de derrière, lui a demandé si elle pouvait se déplacer parce que, vous comprenez, je ne pourrai pas lire les sous-titres …

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- Nadav Lapid
© X. Depraz

Donc, exit la voisine tampon. Arrive Goudet, un tantinet pompeux et cire-pompe quand il présente Lapid comme l’un des plus grands réalisateurs du 21me siècle. J’écris ça, j’écris rien : tout programmateur ne peut être qu’admiratif du boulot que fait ce type, voire jaloux !

Le film de Lapid est d’emblée intriguant…. A la fin de la projection, Dominique Cabrera évoquera son « inquiétante étrangeté » (danke schön Sigmund) : c’est exactement mon ressenti, dès la première scène … du moins jusqu’à la première salve tussive de ma voisine d’à côté. Rien de bien méchant… un léger chat dans la gorge, me dis-je, ça lui passera. Revenons à nos moutons : une institutrice de Tel Aviv, férue de poésie, détecte chez un de ses élèves de 5 ans un don étonnant pour créer des poèmes. Le problème, c’est que HEU HEU HEU HEUUUUHH : ah, tiens, le chat est parti, ça sent plutôt la fin de bronchite asthmatiforme, une toux légèrement productive, régulière, rythmée comme un métronome.

Je disais donc : tout le monde s’en fout du talent de ce gosse, à commencer par son père, gros restaurateur type golden boy en 4x4 allemand ou sa nounou, qui lui pique ses rimes pour passer ses castings … Se noue alors HEU HEU HEU HEUUUUHH. Marguerite Gautier, ça suffit maintenant ! Il faut rentrer au sana ! Cerise sur le catarrheux, le voisin de derrière s’y met aussi : comme les bâillements, il semble que la toux soit contagieuse. Débute alors un étonnant dialogue en morse entre la voisine au pied nu et l’inconnu du fond. C’en est presque touchant. Pendant ce temps, à l’écran , une très belle scène d’amour entre l’institutrice et son prof de poésie.

J’ai connu des tousseurs qui avaient la décence de sortir de la salle. Ils revenaient essoufflés, probablement rouges et transpirants. Certains ne revenaient pas, ils avaient préféré aller se gaver de Codotussyl ou, pour les plus bio, de sirop à base de lierre. Ma tousseuse, elle, s’est acrochéee jusqu’au bout, avec une opiniâtreté qui a forcé mon respect. Grâce vous soit rendue, Madame, vous avez rendu cette séance inoubliable. Quelque part entre La Dame aux camélias et La Comtesse aux pieds nus.

Heuhhh … Tiens, je commence à tousser.

Notes

[1comme quoi le hasard fait bien les choses…. juste au moment des municipales.

[2actuellement le Méliès est situé dans le centre commercial Croix de Chaveau, à 500m de la Mairie.

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