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Les modules d’Anton Ponomarev / J1 : duo avec Nicolas Field

mercredi 22 janvier 2025 par Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Pour l’ouverture des trois journées qui lui étaient consacrées à Urgence disk, le saxophoniste Anton Ponomarev invitait le batteur anglo-suisse Nicolas Field. Le duo a fait une démonstration saisissante de « composition instantanée » radicale et revendicatrice.

Il n’y a pas à dire, ce hall de l’Usine sous les hauts plafonds duquel on passe pour aller se faufiler dans la minuscule échoppe d’Urgence disk, tapissée de vinyles de bas en haut, ça fait toujours son effet. Quelle ambiance et quel écrin pour les musiques alternatives, tout de même !

Anton Ponomarev est un saxophoniste et musicien électronique russe, exilé comme d’autres en Suisse, à Zurich, également organisateur de concerts et gérant son propre label. Du jazz-punk à la musique répétitive, du drone sombre à la noise pure et dure : la liste de ses projets récents donne le tournis et une idée de l’intensité de son activisme musical, sans oublier sa récente collaboration avec les fameuses Pussy riot. A partir de ce lundi 13 février, trois soirées lui étaient consacrées, à chaque fois une rencontre.

Avec le batteur anglo-suisse Nicolas Field, alter ego d’Alexandre Babel au sein de Buttercup Metal Polish, ils ne s’étaient croisés qu’une fois et n’avaient jamais joué ensemble. Flux tendu, dense et ininterrompu, 50 minutes comme un souffle. Rafales de cliquetis métalliques à la limite de l’infime, notes fantômes, claquements secs, tambours sonores – la batterie délimite un espace très vaste que viennent déchirer les hoquets stridents du saxophone. Ensemble, ils construisent un édifice sonore éphémère qu’ils ne cessent de décomposer et recomposer, produisant cet effet caractéristique de chamboule-tout non-stop, avec cette instabilité et cet engagement total dans l’instant typiques de l’improvisation libre et qu’on pourrait rapprocher d’une écriture automatique. Parfois, le flux furieux se stabilise et cristallise et des motifs, rythmés et presque dansants, apparaissent et durent avant de se désagréger et de rejoindre à nouveau l’accélérateur de particules. D’autre fois, il s’amenuise jusqu’à n’être plus qu’un filet délicat, auquel l’instant et le silence ténu semblent suspendus, produisant des effets de relief proprement ahurissants.

Cette musique s’écoute comme n’importe quelle autre musique. Portée par les accents lyriques et incandescents du saxophone, il s’en dégage une aura radicale et contestataire saisissante, dont la force d’appel peut aller bien au-delà du cercle des amateurs de jazz ou de musique expérimentale — après tout, lorsque j’ai découvert ces musiques au milieu des années 90 par le biais de publications underground ou de salles comme Les instants chavirés, la connexion avec le hardcore-punk chaotique et existentiel que j’écoutais alors s’est faite tout naturellement. Dans ce flux sonore irrationnel et inextricable dans lequel l’oreille est prise et où l’horizon des possibles semble totalement ouvert, l’attention se porte singulièrement sur le geste musical, qui prend presque une dimension mystique. A une époque existait un fanzine dédié à ces musiques qui se nommait Peace warriors, du nom d’un morceau d’Ornette Coleman, et dont le sous-titre était « Le fanzine des musiques inespérées ».

Il y a de ça.

Sitede Nicolas Field.
Bandcampd’Anton Ponomarev.

Les 3 concerts d’Anton Ponomarev sont visibles sur la chaîned’Urgence disk, qui termine une année de 366 concerts avant une période de travaux - une performance en soi.

Les photos de cet article sont l’oeuvre d’Olivier Carrard, dont on peut visiter le site ici. Un grand merci à lui.

Portfolio

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