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Les petites sorcelleries poétiques d’Alice

mercredi 10 mai 2023 par Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Au commencement était le jeu. Le jeu avec le souffle et ses multiples modulations que l’on nomme le chant et le jeu avec les mots, les échos qu’ils font naître, les images qu’ils charrient. Ce jeu-là est omniprésent et irrigue de bout en bout L’oiseau magnifique, premier disque pétillant de fraîcheur et d’inventivité du trio de chanteuses Alice.

Quelques notes de synthé pour donner le la et c’est parti. Ce sont vingt-trois vignettes, vingt-trois polyphonies miniatures, chansons minuscules que ce deuxième album, après un premier sorti uniquement en version cassette, égrène une à une avec soin. De petites architectures vocales qui évoquent tout à la fois — et parfois en même temps — les polyphonies médiévales, la chanson de marche, le générique de dessin animé ou les chansons de l’enfance de nos parents et de leur grand-parents avant eux. Pour le plaisir, pour le rire, pour s’enivrer d’harmonie et de la fraîcheur des voix de Liza Harder, Yvonne Harder et Sarah André. Comme on s’invente une chanson dans la tête, comme ça, pour passer le temps et enchanter et exorciser le moment, échapper à sa pesanteur.

Ces airs déroulent et font tourner sur eux-même de petits textes, autant d’images drôles mais énigmatiques, en équilibre précaire entre sens et absurde. Ils font leur miel du langage de tous les jours, de phrases attrapées à la volée qu’ils collent et bricolent, transforment en motifs qu’ils s’amusent à répéter et varier à l’envie. Si certains titres très courts tiennent vraiment de la miniature, de l’esquisse – le disque inclut d’ailleurs plusieurs pistes « ratées » ou parsemées d’accidents, comme « Pas très sûr » et sa tentative avortée de rythmique crypto-flamenco —, d’autres sont plus construits et produisent des effets poétiques plus forts, souvent empreints de mélancolie poignante. Comme cette histoire de gens qui se réveillent un matin et qui ne sont plus ce qu’ils ont été que nous raconte « Que coule l’eau », le premier titre du disque, ou l’écriture en ping-pong bouclée sur elle-même de « Du fil à recoudre » et son ragga polyphonique — le tube de l’album, assurément.

Derrière ces pirouettes se dessine en filigrane une résistance poétique, à la prolifération des injonctions, à la bêtise des mots qui est aussi la bêtise de la pensée. Et, face à elles, la solidarité joyeuse, la sororité en acte et une urgence de la beauté franchement communicative.

Alice, L’oiseau magnifique, Les disques Bongo Joe (mars 2023).
https://aaallliiiccceee.bandcamp.com/album/loiseau-magnifique

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