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Las Fallas de Valencia (Espagne)
mardi 24 mai 2011 par Pas de licence spécifique (droits par défaut)
ReportageAccroupi, debout, parfois immobile, souvent les jambes savonneuses, j’ai passé une nuit à contempler avec tristesse les jolies 400 poupées géantes des Fallas de Valencia. Elles sont destinées à être brûlées lors de la Cremà le jour de la Saint Joseph entre minuit et une heure du matin. Mais le mercredi 16 mars 2011 à 14 :00 très exactement, la magnifique Fallera Mayor annonce un évènement : « Senyor pirotècnic, pot començar la mascletà ».
La mascletá est une cérémonie pyrotechnique célébrant le bruit, la lumière et l’explosion de l’intérieur de soi. De l’art sonore, un déluge de pétards et de fusées qui se déversent sur la place de la Mairie de Valencia pendant six minutes d’une sonate bruitiste orchestrée par des hommes en jaune et rouge. Au milieu une foule immense célèbre une fête païenne remontant à la nuit des temps. Je me faufile jusqu’au centre de la place. Derrière des grilles ressemblant à un parc géant pour enfant ogre, il y a la poudre et ça commence à sentir. Mon voisin piétine nerveusement, chaque nuit depuis quinze jours, il fouille son placard à médicaments pour ouvrir les yeux. Un déluge de glaçon tombe sur le sol, les verres se vident également, c’est la fin de l’hiver, l’alcool colle sous les chaussures. Les explosions démarrent gentiment, les quelques sons claquent avec une résonance d’amphore car le volume sonore doit augmenter progressivement pour le plaisir du corps tout entier.
Il y a là-haut quelques fleurs, les gracieuses élues qui président pour une année, nous autres au parterre formons le cortège d’une procession que voudraient bien récupérer les fossoyeurs d’une église catholique hors jeu. Mais il s’agit bien d’un autre Dieu qu’il s’agit d’adorer :
Le Bruit !
La partition de la mascletá dépend de l’espacement des mèches enfilées sur plusieurs câbles tendus de poteau en poteau en complexes convections, et la solitude du pétard se balade dans nos estomacs comme le bruit de l’œuf sur un comptoir. Du rythme revolver au raffut, tintement et tintamarre, le vaisseau avance tranquillement jusqu’au Terratrèmol où les masclets explosent sur le sol à une très grande vitesse. Un sifflement mouillé de pneumatique et on repart par la porte à soufflet. Comment diable mon voisin s’est il débrouillé pour se soûler aussi vite ? Les dents en éventail, dans un large sourire, il me tend un grand bocal à cornichons rempli de Mahou Negra. L’air devient chargé d’une grande intensité et la poudre rentre directement dans mon nez.
Maintenant l’apothéose finale, le sol bouge, ralentit et bondit de nouveau en avant. Mon visage inquiet se reflète dans le sac noir brillant de la vieille dame qui est aux anges. On entend des roulements de tonnerre qui entrent dans nos bouches en O. Et puis plus rien, sauf une brume légère, je peux voir maintenant des couleurs. Les gens retournent à leur travail comme si rien ne s’était passé.
Les roses et les oranges ont disparu et les grilles des égouts sont pavoisées de légumes flétris.
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