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Nuits de Fourvière 2022

Patti Smith, le goût des autres

samedi 2 juillet 2022 par Lt. Felipe Caramelos rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Dans la très belle ville de Lyon, Patti Smith, sirotant sur scène son éternel thé au Safran, a produit un magnifique concert dans l’écrin exceptionnel des Nuits de Fourvière. Assoiffée de rencontres, elle nous raconte une nouvelle fois, dans ce théâtre qu’elle affectionne, des histoires racontées avec une imagination brûlante, inoculant les vibrations d’un mal incurable à la fois impie et divin par une énergie qui nous dépasse. Immense moment de communion collective, le ciel a clignoté de multiples étoiles qui palpitaient au crépuscule d’un bleu azur, miracle d’une soirée qui s’annonçait encore pluvieuse le matin.

Le concert débute par une de mes chansons préférées, « Redondo Beach », une sale histoire d’une jeune fille qui se suicide dans un hôtel, lugubre, au bord de l’océan dans une eau qu’on imagine froide et violette : « The hearse pulled away, and the girl that had died, it was you ». Le public est jeune et bouscule, dans la fosse aux lions, les vieux fans de la première époque. L’ambiance reste cependant bon enfant sous la surveillance de la vieille dame qui fête ses 76 ans en dansant sur ce rythme reggae. Elle doit pourtant se rappeler de cette nuit à Paris. « Cette nuit-là, j’ai rêvé que je savais nager. La mer était froide, mais je portais un manteau. Je me suis réveillé frissonnante, j’avais laissé la fenêtre ouverte pour contempler l’église avant de me coucher. Je voyais l’église de ma fenêtre et donc une grande portion de ma vie. J’avais vu cette église pour la première fois avec sœur, à la fin du printemps 1969. Nous y étions entrées ensemble, un peu timidement, et avions allumé un cierge pour notre famille. » (Patti Smith – Dévotion – Gallimard).


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Patti Smith - Théâtre@Lyon, juin 2022
© François Leguyader

Dans cette ambiance de fin du monde, mon regard est attiré par le drapeau ukrainien posé sur le devant de la batterie de Jay Dee Daugherty décorée par des guirlandes de roses jaunes qui seront jetées au public à la fin du concert, Patti Smith reste une militante de la liberté et de la paix, changement climatique, Peuple Tibétain... Il suffit de compter le nombre de « Freedom », « Peace » figurant dans ses chansons pour en être persuadé. Un autre fait à noter est la qualité de l’organisation de la soirée, l’accueil est sympathique, la bière est bonne et la sono du Festival est excellente, son clair et limpide. Rare sont les concerts où nous pouvons se dispenser des fameuses boules Quies.

Le groupe joue ensuite une ballade « Grateful » figurant sur l’album « Gung ho » (2000). L’inspiration de ce titre raconte l’histoire d’une vision de Jerry Garcia lors d’une soirée à la mémoire d’amis, d’êtres chers décédés, un moment de commémoration et de célébration de la vie. Jerry Garcia était le guitariste leader du groupe de rock psychédélique Grateful Dead, mort en 1995.
« Tout ce que tu désires, roule devant, Comme un bateau dans une bouteille ! All that you desire, Rolls on ahead, Like a ship in a bottle. »

Un des amis qu’elle admire le plus est sans aucun doute Bob Dylan, fascinée par sa voix étrange et dérangeante, elle reprendra deux titres de lui pendant le concert : « The Wicked Messenger » et « One too many mornings ». Bob Dylan l’a convaincue de remonter sur scène, en 1995 suite à la mort de son mari Fred « Sonic » Smith, guitariste du défunt groupe américain MC5. Bob Dylan est pour elle un mélange d’urgence, de beauté et d’énergie qui a toujours représenté à ses yeux le rock’n’roll : « Je n’ai jamais pensé à lui comme à un folk singer, un poète ou autre... Je le trouvais l’homme le plus sexy du monde depuis Elvis Presley... Sexy dans le cerveau, vous comprenez La sensualité à son plus haut niveau se remarque chez les êtres "illuminés", et c’est le cas de Bob. Il était le Roi. Et il l’est toujours. Je ne suis pas certaine qu’il ait encore fait exploser tout son pouvoir... ».

« Le Ciel qui existe et qui nous entoure partout »

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Patti Smith
© Paul Bourdrel

Elle qui panique à la perspective de monter dans un avion sans un livre, décide de planer sur la scène en déclamant un poème à la mémoire de son ami Allen Ginsberg « Footnote to howl » (note de bas de page pour hurler).
L’exercice est très réussi. La Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres aime revenir à son premier amour : « La poésie sonore ». Patti Smith a été la muse du mouvement beatnik, et déesse Punk. Elle se demande d’ailleurs comment elle a osé essayer de réussir en tant que femme artiste dans une société dominée par les hommes. Ses mentors beatniks, dont William Burroughs, Gregory Corso et Allen Ginsberg (qui l’a draguée alors qu’il pensait qu’elle était un garçon) étaient tous des hommes qui écrivaient les uns sur les autres. Il faut regarder ces gens dans le contexte de l’époque où ils vivaient. L’identification de genre était alors très forte. Mais William et Allen étaient tous les deux homosexuels, à une époque où cela était considéré comme une maladie ou une aberration. L’ouverture que nous avons aujourd’hui est d’avoir monté sur les épaules de gens comme eux.
Sur scène, elle récite, elle déclame, hurle ce poème Ginsberg qui fait référence au moins deux fois au poème d’Arthur Rimbaud « Une saison en enfer » : « Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! The world is holy ! The soul is holy ! The skin is holy ! The nose is holy ! The tongue and cock and hand and asshole holy ! Everything is holy ! Everybody’s holy ! everywhere is holy ! everyday is in eternity ! Everyman’s an angel ! … ».

Le concert continue, avec « Don’t say nothing », « Free money », les rythmes s’endiablent et s’emballent, Tout le monde danse sur le tarmac et même le trader en costard cravate, le poing rageur vote pour la première fois dans un état second et sur un malentendu pour le candidat gauchiste de son quartier. Il sera d’ailleurs complètement anéanti par la ceinture cloutée de sa copine sur un « I wanna be your dog » chanté péniblement par Lenny Kaye (qui attend désespérément le go de Patti de partir à la retraite). La rengaine facile à retenir fait son petit effet sur le dévergondage ambiant… Les odeurs de fumée malveillantes et oh mon dieu, très interdites, sont perceptibles autour de moi et ça pogote dur sans surveillance des parents qui attendent déjà dans les backstages un autographe.

Every night before I go to sleep, Find a ticket, win a lottery, Every night before I rest my head, See those dollar bills go swirling ’round my bed

Jackson Smith, guitariste comme son père, est sur scène avec sa mère pour offrir un sacré moment de virtuosité sur « Stone Free » morceau composé par Jimmy Hendrix, Tony Shanahan n’est pas en reste avec son jeu de basse : « A woman here a woman there try to keep me in a plastic cage » ! Une aventure lyrique flottante comme si nous chevauchions les nuages hauts de l’été.
Pour le titre « Nine », Patti Smith fait une énigmatique dédicace à Jack Sparrow, un ami pirate qui a eu des problèmes de couple ces derniers temps, « Johnny est un de mes très bons amis et j’étais à Porto Rico pendant qu’il tournait Rum Diary. Nous étions dans une sorte de jungle et j’ai réalisé que son anniversaire approchait et que je n’avais pas de cadeau et qu’il n’y avait pas de magasin dans la jungle. Donc j’ai pensé que la meilleure chose que je pouvais lui offrir était de lui composer une chanson donc l’inspiration est venue très naturellement. » :

We will die a little
The rogues whistling
Nine blue-eyed sailors
Tip their caps to him
As he passes through them
More vagabond than king
With diamonds on his sleeves
Like a harlequin
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Patti Smith, Tony Shanahan
© Paul Bourdrel

Sa fille Jesse Smith, ravissante pianiste, très forte pour les jets d’avions en papier sur le public, blessant gravement quelques personnes au passage, rejoindra le groupe pour les trois derniers morceaux dont le fameux « Gloria » 1964 de Van Morrison qui relatent une relation sexuelle entre un garçon et Gloria légèrement crash. Patti Smith réécrit en 1975 les couplets en plus fougueux et en se sacrifiant personnellement dans un déchainement de mots en liberté ... Patti Smith commence par une partie parlée qui surgit de nulle part et qui parle de la mort de Jésus. « Jesus est mort pour les péchés de quelqu’un, mais pas le mien », une ligne ressuscitée de son poème de 1971, « Oath ». Smith revendique cette phrase comme son manifeste de jeunesse sur la liberté : « Je ne disais pas que je n’aimais pas le Christ… juste que je voulais assumer la responsabilité de ce que je fais » (My sins my own. They belong to me, me). Smith l’étire dans une version de 6 minutes pour l’adapter à ses propres paroles, mélangeant sa poésie et en accélérant le tempo en conséquence, horses and horses au galop.

« Je dois annoncer au monde entier que je t’ai fait mienne, fait mienne... G-L-O-R-I-A Gloria... ».

Et les cloches de la tour carillonnent "ding dong", elles carillonnent
Elles chantent « Jésus est mort pour les péchés d’autrui mais non pour les miens »
Gloria........ G-L-O-R-I-A Gloria... In Excelsis Deo !

À de nombreuses reprises, Patti Smith a utilisé son art et sa célébrité pour soutenir des causes politiques. Elle soutient notamment le Green Party américain et son candidat aux élections présidentielles Ralph Nader, et c’est donc naturellement qu’elle termine à une heure tardive le gig en chantant « People Have the Power » et me laissant repartir avec mes amis d’enfance, François et Marie Hélène, lentement, tristes et penauds, baissant l’oreille vers un futur moins glorieux d’esclaves du monde du travail.

Playlist du concert de Lyon
1. Redondo Beach, 2. Grateful, 3. The Wicked Messenger (Bob Dylan), 4. Dancing Barefoot, 5. Footnote to howl (Poème d’Allen Ginsberg), 6. Don’t say nothing, 7. Free Money, 8. My blakean Year, 9. Beneath the Southern Cross, 10. Stone free (Jimmy Hendrix), 11. I wanna be your dog chanté par Lenny Kaye, 12. Nine , 13. One too many mornings (Bob Dylan)
14. Because the night (Bruce Springsteen), 15. Pissing in a river, 16. Gloria, 17. Rappel : People have the power,

Patti Smith en concert@Paradiso d’Amsterdam (3-6-2022)
11 morceaux

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