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Dans le cadre du Bel-Air Claviers Festival, il y avait concert d’un duo entre orgue et anches, entre Andy Emler (orgue) et Laurent Dehors (saxophone, clarinette, cornemuse) dans la cathédrale Saint François de Sales à Chambéry le samedi 15 septembre. Voici un petit compte-rendu sur un projet musical étonnant.
Andy Emler et Laurent Dehors sont deux musiciens qui se connaissent bien et qui ont souvent joué ensemble à travers des musiques essentiellement jazz, entre compositions et improvisations.
Andy Emler est pianiste, organiste, improvisateur, chef d’orchestre et compositeur de jazz. Il est également le fondateur du MegaOctet, big band de jazz à géométrie variable, qui offre un cadre propice aux musiciens improvisateurs issus à la fois du classique, du jazz et du rock. Il a joué et joue avec de nombreux musiciens à travers différents projets musicaux. Il est considéré comme une figure importante du jazz en France.
Laurent Dehors est clarinettiste et saxophoniste de jazz. Il joue de plusieurs types de saxophones et de clarinettes, et même de la cornemuse. Il est le leader du big band Tous Dehors. Il joue dans diverses formations et participe également à différents projets musicaux à tendance jazz, mais pas seulement.
Andy Emler est avant tout pianiste, c’est d’abord un pianiste qui joue de l’orgue. Il réussit à dompter l’instrument et à en tirer les sonorités qui l’intéressent. De son côté Laurent Dehors utilise saxophone, clarinette, et cornemuse tout en essayant de créer une osmose entre les sons de ces instruments et les sons de l’orgue. À chaque lieu de concert, un orgue différent et une acoustique différente... Il faut réussir à s’adapter et proposer un concert où les sonorités des instruments se rencontrent bien.
La musique proposée tourne autour de compositions de chacun des deux musiciens, mais aussi d’autres musiciens. L’improvisation a une place importante étant donné la culture jazz des deux artistes. Ainsi, il y a beaucoup d’improvisations à partir de quelques thèmes musicaux issus de différents morceaux.
Les sons de l’orgue utilisés dans cette musique essentiellement jazz donnent quelque chose de très original et étonnant. On n’entend jamais ou pratiquement jamais les sons de véritables orgues dans des musiques modernes, et dans le jazz notamment.
Coïncidence ou pas, on m’avait parlé récemment de la possibilité d’utiliser les sons liturgiques dans les claviers pour proposer quelque chose de nouveau et original notamment en jazz, et ce duo propose quelque chose qui s’apparente plus ou moins à cela [1].
Et coïncidence ou pas, la veille du concert je suis amené à passer par la cathédrale Saint François de Sales dans le cadre de formation pour des animations pour le patrimoine et je tombe sur l’info du concert [2]... C’est l’occasion de faire la visite tout en écoutant une répétition des musiciens (ce n’était pas prévu pour nous visiteurs, donc surprise)... Moment assez délicieux et délectable et quelque peu surréaliste dans le sens où j’assiste à un choc de cultures et de sons avec à mes côtés un formateur et des collègues dans l’animation pas forcément habitués à un tel type de musique parfois difficile à écouter [3].
Bref, je me serais cru dans une sorte d’épisode psychédélique des Simpsons avec Lisa répétant au saxophone en duo avec l’organiste du temple du révérend Lovejoy pour jouer du jazz déjanté...
Revenons-en à l’essentiel : la musique proposée. Celle-ci est riche en improvisations, parfois avec des compositions diverses d’Andy Emler, Laurent Dehors, ou d’autres musiciens... Souvent on part de thèmes musicaux ou de différentes idées pour improviser... On sent aussi l’utilisation de diverses sonorités de l’orgue, instrument unique en son genre qui est un peu comme un ancêtre du synthétiseur sans le côté synthétique du son... La musique est inspirée du jazz surtout, mais on entend des choses évoquant aussi la musique classique, la musique contemporaine, la fusion... Une rencontre entre musiques et sonorités anciennes et modernes.
La musique est riche, avec une bonne assise rythmique. Elle est surtout très riche et audacieuse harmoniquement, ce qui laisse un peu derrière le côté mélodique, d’où la difficulté parfois à écouter tout cela. Entre moments harmonieux et plus chaotiques, on entend, sent et ressent parfois hiatus et cacophonie, une musique pleine de surprises et de contrastes, plus ou moins agréable aux oreilles plus ou moins averties. C’est une musique empreinte de liberté, parfois très ou trop audacieuse pour certains, parfois plus ou moins facilement écoutable. Peut-être un peu trop hermétique ou expérimental pour certaines oreilles, ou plus cérébrale qu’émotionnelle par moments, en tout cas c’est une musique intéressante qui ne laisse pas indifférent.
Concernant l’écoute du concert, c’est en place assise dans la nef, avec en face un grand écran où on peut voir les deux musiciens (l’orgue étant à l’entrée et en hauteur, et cachant le claviériste derrière lui, cela peut se comprendre). L’acoustique du lieu permet de bien entendre et écouter. Cependant, la source sonore venant de derrière (quand on est assis dans la nef, l’orgue est derrière et en hauteur), je ne suis pas sûr que l’on puisse apprécier totalement à sa juste valeur le son et la musique, même si par conception du lieu on entend a priori mieux dans la nef. Même si le son se diffuse partout, il semble intéressant de se trouver dans la nef, mais plutôt face à la source sonore principale (l’orgue)... Face à l’orgue, j’ai pu très bien écouter tous les instruments et avoir une vue intéressante sur l’orgue et l’architecture des lieux... Mais laissons de côté ce débat sur l’acoustique, en tout cas, on a pu bien entendre et écouter la musique.
Le programme s’est déroulé en une bonne heure entre compositions et improvisations, orgue aux multiples sonorités utilisées et autres instruments à vent (saxophone, clarinette, cornemuse). Un hommage a été rendu à Didier Lockwood, ami d’Andy Emler, grand musicien jazz disparu cette année... Pour finir en rappel, une reprise de « Blue In Green » de Bill Evans et/ou Miles Davis, une fin toute mélodieuse et harmonieuse après avoir passé avec joie des chemins de traverse musicaux emplis de multiples aventures d’impétueux musiciens improvisateurs flibustiers en quête de folie et de musicalité.
La salle se retourne pour applaudir, et ensuite chacun s’en retourne à ses pénates ou à ses occupations diurnes (le concert a eu lieu de 12h à 13h environ). Bravo au Bel-Air Claviers Festival d’avoir eu l’audace de programmer un tel concert, ce qui montre bien que le festival ne se limite pas seulement à la musique classique... C’était donc la chronique d’un concert de musique improvisée, mais pas que... et de jazz, mais pas que... Un concert pas comme les autres...
[1] en faisant cette remarque, je fais un clin d’œil à un ami batteur vivant à Annecy
[2] j’avais vu l’info il y a quelque temps, mais je l’avais oubliée étant donné le nombre important d’informations qui peut nous passer sous les yeux en quelques semaines
[3] pour info, parmi les gens qui m’accompagnaient, il y avait des fans de Marwa Loud entre autres, d’où le choc de cultures que j’évoque... là-aussi, je fais un clin d’œil à toute cette sympathique et joyeuse bande qui m’accompagnait ce jour-là