> Mag > Musique > Slowdive, une émotion bien dans ses pompes
Ce samedi soir Antigel organisait un concert du groupe anglais Slowdive à l’Alhambra, salle de concert à Genève propice à la création d’une atmosphère immersive et intimiste. Depuis 2011, chaque premier trimestre de l’année, le festival Antigel propose une programmation diversifiée qui englobe la musique, la danse, le théâtre, les arts visuels et d’autres formes d’expression artistique permettant de toucher un large éventail de public. Le festival Antigel se distingue par son approche innovante et son désir de présenter des spectacles éclectiques dans des lieux inhabituels, parfois en plein air, afin de créer une expérience artistique unique, et donner une dimension spéciale à l’événement. Encore une fois, Antigel a maîtrisé son événement, l’organisation était parfaite ce soir avec un respect total du bien être du spectateur, sans doute une spécialité suisse.
Les compères de Rachel Goswell étaient attendus de pied ferme par leurs fans un peu déroutés par le dernier album Everything is alive, même si celui-ci comporte les mêmes paysages sonores psychédéliques que les quatre précédents. Un nouvel album de Pop music sans doute subtil avec des touches électroniques plus minimalistes qu’il faudra écouter plusieurs fois avant de se l’approprier complètement. Et malgré cela, ce soir les musiciens de Slowdive ont défendu bec et ongles leur dernier opus en jouant quatre morceaux ( « Shanty », « Skin in the game », « Chained to a cloud » et « Kisses ») pour revenir ensuite souvent à leur carte de visite préférée de Dream Pop en créant des murs de son, une masse sonore dense et immersive qui englobe l’auditeur.
Le groupe est aussi connu pour son approche musicale atmosphérique qui vous enveloppe dans un linceul aux résonances funéraires et il nous a bien rappelé ce soir son message :
« Pour être bien dans ses pompes, il faut savoir lâcher prise et laisser place à ses émotions ».
Pour la petite anecdote, Slowdive est associé au mouvement shoegaze [1], qui a émergé dans les années 1990, un genre musical distinctif se caractérisant par l’utilisation intensive de pédale d’effets sonores, notamment la réverbération, le delay et la distorsion. « Shoegazing » est aussi un terme péjoratif utilisé pour décrire le comportement de ces musiciens qui semblent fixer leurs chaussures tout en jouant, plutôt que d’interagir avec le public... Et puis comme le dit un certain Michael Jordan :
Ce n’est pas une question de chaussures, c’est ce que vous en faites avec !
Les lumières tamisées baignent déjà la scène, créant une ambiance rêveuse avant même que le groupe ne commence à jouer, puis c’est une petite musique électronique modulaire sonnante comme un clavecin qui s’installe tranquillement dans nos oreilles avant qu’une guitare saturée et la batterie se mettent en route pour délivrer une nappe dynamique plus dansante. Les voix commencent par “I was a Junkman, a candle burning …”. « Shanty » est le premier morceau du concert et il nous installe dans la vision d’une bougie qu’on allume pour observer l’autre quand la nuit arrive, tes yeux sont les seuls… mais nous ne sommes pas tranquilles pour autant car notre temps est presque écoulé... En une poésie de quelques mots, Neil Halstead nous a embarqué dans son univers minimaliste, d’incommunication et d’isolement. Cette ambiance nous accompagnera tout au long du concert jusqu’à nous perdre dans une troisième dimension :
« Avez-vous vu que tout était réel ? » (Chained on cloud)
Pendant le concert, le public est plongé dans une expérience sensorielle, se laissant emporter par les paysages sonores riches de Slowdive. Le morceau « Catch the breeze » (attrape juste la brise) comporte tous les éléments d’un shoegaze aux mélodies aériennes et planantes, créant une ambiance rêveuse et parfois mélancolique… « Pluie, lavages, descentes, et moi je veux que le monde passe… ».
Sur scène, les membres du groupe, notamment Neil Halstead et Rachel Goswell, créent un mur de sons à l’aide de guitares aux effets complexes, de nappes de claviers et de voix éthérées. Le son est souvent caractérisé par des textures denses et des mélodies planantes et les voix sont souvent utilisées comme un autre instrument, noyées dans les textures sonores. Les paroles sont parfois indistinctes, accentuant l’aspect atmosphérique de la musique. L’interaction entre les membres du groupe sur scène est généralement minimaliste, se concentrant davantage sur la création sonore immersive. Cependant, la présence de la voix enchanteresse de Rachel Goswell et la guitare hypnotique de Neil Halstead contribuent à la magie du spectacle.
Un concert de Slowdive est une expérience captivante et immersive, où l’auditeur est transporté dans un monde sonore unique, empreint de mélancolie et de beauté, où personne n’aurait l’idée d’aller faire 30 pompes sur scène pour montrer sa force.
Et il est vrai que ce soir, s’il n’y a pas eu de communion au sens strict d’un rock show, l’audience a été prise d’une sorte envoûtement avec des morceaux du groupe, tels que « Alison », « Dagger », « Souvlaki Space Station » ou « When the Sun Hits », ces titres auront transporté les auditeurs dans un voyage émotionnel et introspectif qui nous rappelle ce proverbe chinois : Qui porte des chaussures ignore la souffrance de celui qui marche pieds nus ! [2]
Le light show accompagnant la musique « Crazy for you » est magnifique, les lumières arrivent par flux, accentuant les changements d’ambiance dans le titre, et soulignant les moments répétitifs des paroles en boucle « Crazy for loving you (Crazy for love, for love, for love) ». Les jeux de lumière planants tout au long du concert rappellent les environnements perceptuels de l’artiste James Turrell des années 60, des projections visuelles abstraites et des effets atmosphériques renforcent l’expérience visuelle :
Le secret est une lumière clignotante, le secret cherche la lumière (Star Roving).
Au niveau du matos, le groupe semble avoir braqué la boutique de Music Leader, de nombreuses pédales d’effets sont sur le sol, des synthés partout, avec Slowdive en 1993 Rachel Goswell utilisait une Fender ’72 Telecaster Thinline, d’un OD-2 Turbo OverdriveBoss, d’une pédale d’effet FX-500 Multi-FX Yamaha et d’un ampli combo JC-77 Jazz Chorus 2x10 Roland. Depuis la reconstitution de Slowdive en 2014, la guitare principale de Rachel Goswell en tournée est une Custom77 The Roxy — Hollowbody et elle entoure régulièrement son synthétiseur Roland d’une écharpe Boa blanc ou flamand rose selon son humeur.
Depuis cinq ans, le groupe a vraiment eu envie d’inclure plus d’expérimentations électroniques « Modular » combinant la distorsion et l’énergie brute pour devenir quelque chose d’organique dans leur façon de jouer…
Le nouvel album comporte un tube « Kisses » qui pourrait être une ballade d’amoureux sur un scooter à travers les rues étroites de Naples, crachant le feu, jouant à se regarder sans se toucher, échangeant leur place avec des inconnus, fermant les yeux juste pour tenter un décollage aux abords d’un street art représentant le Dieu Maradona. Il y a du Editors dans ce morceau dynamique et efficace dont les ingrédients « Shoegaze » ont disparu : pas de noise, pas de reverb et plus d’effet. Une chanson ordinaire tout simplement mais qu’on aime à écouter en boucle.
Comme souvent, le groupe termine ses concerts par l’émouvant morceau « Golden air » où la chanteuse récite seule une poésie de Syd Barrett sur quelques notes posées, réfléchies de guitare. Ensuite Rachel Goswell quitte la scène, laissant ses compères bâtir un « Wall of sound »de neuf minutes où s’empilent les accords et les effets pour créer une ambiance sonore épaisse et enveloppante jusqu’à la fin !
Musique ultime et parfaite pour libérer ses émotions, pleurer pour avoir oublié d’ouvrir le gaz et se réveiller de nouveau pour combattre ses vieux démons. Si vous êtes sûr de comprendre tout ce qui se passe dans un concert de Slowdive, c’est que vous êtes irrémédiablement à côté de vos pompes…
Adios et à bientôt pour le concert Antigel des Swans à l’Alhambra le samedi 24 février.
Lean out your window, golden hairI heard you singing in the midnight airMy book is closed, I read no moreWatching the fire dance on the floorSinging and singing a merry airLean out your window, golden hair
Toutes les photos de cet article ©amdophoto
Liste des morceaux
« Shanty » (everything is alive), « star roving » (Slowdive), « Catch the breeze » (Just for a day), « Skin in the game » (everything is alive), « Crazy for you » (Pygmalion), « Souvlaki space Station » (Souvlaki), « Chained to a cloud » (everything is alive), « Slomo » (Slowdive), « Kisses » (everything is alive), « Alison » (Souvlaki), « When the sun hits » (Souvlaki), « 40 days » (Souvlaki)
Rappel :
« Sugar for the pill » (Slowdive), « Dagger » (Souvlaki), « Golden hair »
[1] Certains des groupes les plus emblématiques du mouvement shoegaze comprennent My Bloody Valentine, Ride, Lush, Slowdive, et Chapterhouse, pour n’en citer que quelques-uns. Bien que le shoegaze ait connu un déclin à la fin des années 1990, son influence perdure dans de nombreux genres musicaux contemporains.
[2] Oui je sais, mes jeux de mots sur les chaussures à répétition deviennent lourdingues