> Mag > Musique > Sur la route du noise avec Black Ink Stain
En décembre dernier, la route du trio noise-rock clermontois Black Ink Stain passait par Annecy et son incontournable Bistro des Tilleuls : l’occasion d’aller à la rencontre de ces trois irréductibles d’une formule musicale incandescente qui fait encore parler la poudre.
Qu’est-ce que ça vous fait de jouer après cette période où il ne s’est pas passé grand chose ?
Jean (basse) : C’est un grand kiff de pouvoir reprendre les concerts après cette période ! Le but, c’est de défendre l’album, dont la sorte a été compliquée. Enregistré à cheval sur 2019-2020 et finalement sorti en avril 2021. C’est cool de rencontrer d’autres gens, d’autres groupes !
Est-ce qu’il y a une énergie particulière pendant ces concerts ?
Jean : On sent que les gens sont super contents ! Même ce soir d,’ailleurs !
Fab (voix/guitare) : À l’Antidote, à Bordeaux, on est descendus dans la cave en arrivant, le groupe avec qui on jouait était en train de balancer et, rien que ça, après un an et demi sans voir de concerts, ça faisait du bien ! À Clermont, on a fait un concert devant dix personnes, c’était un peu la lose : le public clermontois reste le public clermontois...
Jean : Nous y avons rejoué avec L’Effondras, le public était froid, distant mais attentif, les gens étaient vraiment contents, on a eu plein de retours positifs !
Vous avez beaucoup joué là-bas ?
En choeur : Non, non !
Fab : On n’a pas joué forcément à Clermont plus qu’ailleurs et les gens ne nous connaissent pas encore vraiment.
Hugo (batterie) : Quand t’es le groupe de support du coin, ça hype moins les gens…
Il y a — ou il y a eu — une scène rock à Clermont...
Fab : Il y a eu quelques très bons groupes à Clermont, Real Cool Killers en tête, mais aussi Microsquame, Sleazy Arse... La période Spliff records avec Tad comme directeur artistique qui a bossé un moment pour Rock sound, qui sort maintenant des livres… Il paraît que la ville était la soit-disant « capitale du rock » dans les années 2000...
Jean : Il n’y a plus de vraie grosse scène rock comme dans les années 2000. Il y a plein de groupes mais il n’y a plus vraiment de scène.
J’ai l’impression que ce que tu décris, c’est une situation générale : plein de groupes mais plus vraiment de scène…
Fab : Ce qui est cool, c’est de trouver des gens qui font un peu la même chose que nous, comme Mornifle avec qui nous jouons ce soir. On ne les connaissait pas, on leur écrit, on fait un échange avec eux…C’est ce qui est intéressant et stimulant dans cette "scène". Enfin, bon, ça a toujours plus ou moins fonctionné comme ça !
Est-ce que vous êtes autant des fans de noise-rock que vous en avez l’air ?
Jean : Putain, il nous avait pas encore parlé d’Unsane ! (Rires) On est partis un peu là-dessus, c’est vrai, mais l’idée, après le split de One second drive, notre ancien groupe, c’était de faire juste des musiques qu’on kiffe.
Hugo : On est pas un groupe à la Wrong, genre copié-collé des 1ers albums d’Helmet !
Fab : Je kiffe autant les Smiths que Sonic youth, le punk-rock mélo ou la noise.
Hugo : On parlait de USA Nails ou Blacklisters : c’est des groupes qu’on adore mais ce ne sont pas des références.
Fab : Beaucoup de reggae et de ska, aussi. (Rires)
C’est un son qui est assez marqué années 90 et qui évoque des groupes comme Condense, Deity guns, Bastärd, Basement… Vous aviez quel âge à cette période ? Comment vous avez eu accès à cette scène-là ?
Jean : J’étais trop jeune, je suis passé complètement à côté. C’est des groupes que j’ai récupérés plus tard. Avec le temps, tu affûtes tes goûts musicaux...
Hugo : Moi, j’étais jeune et con : j’écoutais de tout et même de la dance, c’est dire !
Fab : A l’époque de Condense, Drive blind et tout ces trucs-là, j’avais quinze ans. J’étais pas non plus là-dedans, j’écoutais beaucoup Nirvana, Dinosaur Jr, Sonic youth, Alice in chains qui m’ont quelque-part amené à tout ça quelques années plus tard. D’ailleurs dans les deux ou trois dernières chroniques, il y a des gens qui citent « Bleach » de Nirvana et, pour moi, c’est autant ça, nos influences. Finalement, Black ink stain est, je pense, un retour un peu inconscient vers ces trucs-là.
Comment est-ce que vous découvrez de la nouvelle musique ? Est-ce que vous lisez beaucoup et est-ce que les fanzines ont été importants pour vous ?
Fab : Vers 20 ans, j’ai découvert toute la scène indé française avec des fanzines comme Kerosene notamment. C’est ce qui m’a permis de creuser un peu et de découvrir plein de choses, quelques fois à retardement. Et puis il y a eu aussi internet beaucoup plus tard – enfin, cinq ans plus tard ! Les webzines ou blogs aussi, j’en lisais et en lis toujours quelques-uns, notamment le tien ou celui d’Hazam à Lyon [1] par exemple.
Est-ce que vous pouvez parler un peu de l’enregistrement de votre disque aux studios des Forces motrices à Genève avec David Weber ?
Jean : On avait déjà collaboré avec lui sur le EP – ça fait bien de dire ça, « collaborer » (Rires) ! David a une vraie expertise, a enregistré pas mal de groupes, il connaît le style. Il ne fait pas qu’enregistrer, il apporte des conseils tout au long des sessions. « Tu veux pas essayer ça ? Tu veux pas essayer de mettre un petit lead, ici ? » Et il a une vraie patte même si son truc c’est quand même The Jesus Lizard et qu’il va avoir tendance à t’emmener un peu par là. (Rires) On a enregistré live, pour l’EP et pour l’album puis on a doublé les guitares et ajouté les chants.
Fab : Ça avait un côté rassurant, pour un premier album, d’aller bosser avec un mec qui nous connaissait déjà. Il sait où on n’est pas bons, où ça va pinailler et comment gérer le temps en studio avec ça : on a vraiment l’impression d’être dans de bonnes mains. Et puis c’est un gars en or, qui nous a notamment laissé squatter chez lui pendant toute la semaine d’enregistrement.
C’était le 5 décembre, dans un Bistro des Tilleuls comme d’habitude bondé, frisant la surchauffe. Devant le public dense qui déborde presque sur l’espace scène, Black ink stain déroule le feu roulant de ses accords plombés, zébrés de dissonance, ses rythmiques poids-lourd.
À travers l’épaisse couche sonore, on perçoit une voix gueulée, comme lointaine, au bord de l’implosion. Voix beuglée, basse massive, guitare trouble et batterie martelée : une espèce de formule minimale magique, une façon de faire du rock sur le fil, de s’enivrer d’épaisses vapeurs soniques, de groove lourdingue et de distorsion qui a toute une histoire et fait encore mouche aujourd’hui !
En deuxième partie, les locaux de Mornifle font entendre pour la première fois les titres de leur EP devant un public acquis. Le son est métal, les structures alambiquées évoquent le hardcore dit moderne. - mais elles savent aussi prendre la tangente, se faire binaires, dansantes presque. Une formule originale, très en place, qui accroche l’oreille et sur laquelle on verrait volontiers d’autres instruments se greffer.
Comment vous avez reçu toutes ces chroniques qui vous reliaient beaucoup à un son, un genre, une époque ?
Fab : Les chroniques ont globalement toutes été très positives, on préfère que les gens trouvent ça bien plutôt qu’ils trouvent ça nul, hein.
Hugo : Ça n’a jamais été fait de façon négative.
Fab : Quand l’album a été enregistré, les morceaux étaient déjà vieux et dataient d’une époque où on était très branchés Unsane. Maintenant, on part dans d’autres directions. Les morceaux sont quasiment tous faits en répètes, ce qui est quand même beaucoup plus cool que de composer tout seul dans son coin et ça permet d’avoir un truc très spontané et correspondant à l’humeur du moment.
Hugo : Oui, personne n’arrive avec un morceau tout fait.
Quelle est l’histoire du morceau « Pont des goules » ? C’est toi qui l’avait composé, Fab ?
Fab : Pas du tout, c’est un morceau qu’on a composé ensemble, c’est le nom d’un bled à côté de chez nous.
Jean : Il y a pas mal de bleds aux noms un peu gothiques ténébreux par chez nous : Crevant-Laveine, avec lequel on a fait un morceau.
Fab : Et en grattant un peu pour Pont des Goules, on a trouvé un fait divers hyper glauque associé à cet endroit : l’histoire d’un braconnier qui pêchait sous ce pont et qui a dézingué plusieurs mecs du bled d’à côté qu’il soupçonnait d’avoir volé sa barque. Le texte parle de ça. C’est un titre qui dénote un peu sur l’album et, perso, c’est une direction qui m’intéresse, aller vers des choses plus "atmosphériques", un peu moins bas du front. Je dis ça... et la suite sera peut-être que du bas du front et ce sera très bien comme ça ! (Rires)
[1] NDLR : Instant bullshit