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Un vélo dans la tête

mercredi 2 octobre 2013 par Olivier Dutertre rédaction CC by-nc-sa

Discussion à bâtons rompus avec Vincent Couëdic, un jeune annécien, qui fait de sa passion pour la petite reine son métier et le centre de ses engagements.

Rictus Info : Peux-tu présenter ton parcours ?

Vincent Couëdic : Originaire de Bretagne, j’ai une formation initiale de guide de kayak et j’ai appris la vente en magasin. Je voulais vendre des kayaks, je me suis retrouvé chez différentes enseignes de sport, à vendre des vélos…

J’avais déjà bricolé mes BMX étant ado. Quand j’ai eu la chance de bosser dans le vélo j’ai découvert un univers qui me correspondait impeccablement. J’ai beaucoup appris sur le tas en magasin et surtout pendant les 6 mois que j’ai passés chez un artisan ; j’ai pu apprendre à carrosser, à souder, à plier - un peu grossièrement, pour sortir des vélos-taxis.

J’étais ensuite responsable pendant deux ans d’un atelier haut de gamme avec des grandes marques de VTT ; j’ai vraiment appris à régler des suspensions, à vidanger des fourches et j’en ai profité pour valider mon diplôme (Certificat de Qualification Professionnel Cycle) en candidat libre.

premier voyage

Vers 2005-2006, j’en ai eu marre du salariat en magasin, j’ai arrêté mon boulot. Une fois rapatriées mes affaires chez mes parents, je suis parti en voyage en vélo pour un premier voyage avec un vélo randonneur en acier, bien lourd.

Je suis parti de Bretagne jusqu’en Gallice. Les chemins de St Jacques, c’est tout organisé, avec des étapes toutes jalonnées, avec beaucoup de lieux où faire étape. Pour un premier voyage c’est facile et je voulais rencontrer des gens.

J’ai rencontré la solitude sur le début du parcours. C’était dur. J’ai rencontré l’amitié après le passage en Espagne avec Miel, un belge que j’avais dépanné en haut d’un col ; on a bien parcouru quelques centaines de kilomètres ensemble en pédalant à fond de cale. C’était un « bon furieux », je suis toujours en contact avec lui.

En voyage, tu pédales avec tantôt la rage au ventre (quand il fait froid et que t’es fatigué), tantôt avec un sentiment d’euphorie, tellement le paysage autour de toi est énorme (amplifié par l’effet de l’endorphine lors des efforts prolongés).

Arriver à l’étape, prendre la douche chaude sont les seuls objectifs de la journée. La vie est super simple puisque ça se résume à pédaler ; c’est un moment où on peut laisser les pensées aller longuement, ce qui peut soulever des trucs obscurs, comme des pensées de haine, parce que t’as le temps d’explorer ton intérieur. C’est une forme de méditation, sauf qu’elle est hyperactive.

Tout seul avec le compteur et les km qui n’avançaient pas des fois, on peut avoir des moments de colère, se mettre à pédaler comme un enfoiré, c’est vraiment des moments rageurs.

La montée d’un col ressemble à une lutte, ce qu’on ne trouve pas du tout dans le kayak, où on accompagne le courant ; mais les sensations de glisse en descente sont également grisantes. Descendre à 70km/h sur Pampelune, c’était vraiment fun.

Après cette expérience de voyage, je suis entré chez Mavic, Pendant un an, je me suis déplacé sur les compétitions internationales pour rayonner les roues de champions. Grosse expérience et véritable tremplin pour un mécano passionné ; ça restait toujours dans le domaine sportif.

pas que le sport....

Il y a un autre côté qui m’intéressait depuis des années : le vélo en tant que mode de déplacement . C’est devenu aujourd’hui un vrai marché qui décolle. J’ai donc décidé d’essayer d’en vivre en tant que mécanicien indépendant. Je ne gagne pas énormément, mais cette activité me convient.

En parallèle, je travaille aussi avec le magasin Cyclable, qui vend des vélos urbains et de voyage, et j’ai participé à l’association Roule&co de promotion du vélo dès le lancement de cette aventure.

Je mélange aujourd’hui l’associatif, l’engagement militant et la vie professionnelle, ça marche plutôt bien pour l’instant.

RI : Quelle est ton approche du vélo ?

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VC : Dès gamin, ça a toujours été naturel pour moi de me déplacer en vélo.
C’est un mode de vie passion, j’ai toujours aimé me déplacer à la force humaine (comme dans mes autres loisirs avec le canyoning, kayak, raft, la spéléo).

J’ai commencé à bosser à Vannes, ville pleine de bouchons. J’en suis arrivé à prendre mon vélo pour aller bosser, et j’ai plus arrêté ensuite.

J’ai à nouveau pris des vacances en vélo cette année, pour explorer la côte bretonne, c’était super : Morlaix, le Roc des Monts d’Arrées (raid de100km) avec mon papa, puis Belle Île.

Je serais incapable de couvrir de telles distance à pied, le vélo est pour moi le meilleur moyen d’explorer la nature.

J’aime aussi rouler sur des engins atypiques, monocycle, skate-board de descente, toujours cet esprit fun de faire rouler les choses…

Sinon, au long de l’année, je me déplace facilement sur la journée ou quelques jours pour aller voir des amis, avec un vélo un peu léger. 100km, ça passe sans problème. Pas forcément le voyage au long cours systématique, même s’il fait rêver, mais il demande de la disponibilité en temps, en argent.

La compétition VTT ne m’intéresse pas vraiment. Pour moi le vélo est un moyen d’exploration en pleine nature. Mon loisir sportif est d’aller voir tel point de la carte où je ne suis pas déjà allé. Explorer, mais à petite échelle.

Alors que certain font des aventures lointaines et ne vivent que pour le prochain voyage, en font leur mode de vie, je suis plus modéré, je me sers du vélo au quotidien, ma copine également.

J’essaie aussi de militer pour le développement du vélo en participant à l’association Roule&co depuis le début. Je me sens ainsi utile autrement que pour gagner ma vie, c’est concret, c’est simple.

J’essaie d’avoir une approche réaliste du vélo. Le vélo n’arrêtera jamais la pluie. les gens qui ne peuvent pas se changer en arrivant au travail ne peuvent pas prendre le vélo quand il pleut ou en hiver. Je suis pragmatique.

La société s’articule complètement autour du confort, on arrive à un summum de confort où les gens sont complètement sédentaires. On n’est plus dans l’homme qui se meut ; l’homme est le plus polyvalent des animaux, mais cette intelligence l’amène à la fainéantise et on assiste dans la classe moyenne à une population qui se laisse aller et va se faire rattraper au niveau santé.

Le vélo, c’est une façon très classe de se déplacer - pas forcément rétro, au contraire : avec les moteurs électriques on arrive à se déplacer à 30 km/h sans problème, sans transpirer.

On n’est pas dans un monde où l’on peut vivre intégralement avec la propulsion humaine, c’est pour cela que l’électrique à toute sa place. J’ai le projet de créer un vélo cargo et de le motoriser.
Je pourrai ainsi me débarrasser de ma camionnette, et ne louer que ponctuellement ce genre de véhicule si j’en ai besoin : one less car !

militantisme

Je suis d’abord pragmatique et et réaliste, je suis écolo par constat : je refuse de laisser une terre aussi polluée à mes enfants !

Le vélo est le meilleur outil que j’ai trouvé pour faire passer des messages environnementaux, et ça va plus loin que ça : à l’association on recrée du lien social. À chaque fois que je repars de l’asso après avoir appris à quelqu’un à s’occuper de son vélo (du plus simple au plus compliqué), je suis super content d’avoir participé à ça ; c’est super gratifiant, ça me fait plaisir de faire ça.

Vendre des beaux vélos, c’est classe aussi, parce que le client qui investit dans un beau vélo ou un biporteur pour se déplacer avec ses enfants en ville a un rôle d’exemplarité. Là j’ai le sentiment d’être acteur, de vendre l’antidote du 4x4.

Le vélo amène du calme en ville, comme le centre-ville de Nantes actuellement, qui est aujourd’hui largement pacifié.

L’association Roule&co a une action globale qui va plus loin que le signalement de points noirs. On vise à observer les politiques, leur façon de faire et anticiper leurs réactions par rapport aux échéances électorales pour les pousser à agir.
On va dans les réunions publiques, on pousse, on rappelle, on relance, on sympathise avec les urbanistes, qui sont souvent des gens très intéressants.

On va réussir à avancer là-dessus, mais doucement. Annecy, ce n’est pas un ville hostile aux vélos, comme peut l’être Clermond-Ferrand, où c’est la culture de la voiture qui continue à marquer la ville.

RI : Ta relation à la culture du vélo ?

VC : Le vélo, c’est un moyen, ça ne déteint pas trop sur mon look. Il y a un effet de mode autour du vélo, notamment fixie en ville, avec des fringues spécifiques. C’est bien, mais je ne ressens pas le besoin de m’habiller spécifiquement pour faire du vélo.

Pour moi, la culture vélo, c’est de se tenir au courant de tout ce qui se passe au niveau technologique. On est capable de faire des choses extraordinaires avec les matériaux actuels, pour des sommes très modiques par rapport à l’automobile.
Ce que un très bon vélo peut faire en terme de champ d’action et le rapport investissement/retour est énorme.
Se payer un machine à 1500€, pour utiliser tous les jours, c’est finalement un bon calcul.

J’utilise mon vélo de 1 à 4h par jour, donc je suis très sensible à l’usure. donc ma recherche se porte vers le vélo le plus fiable, rapide et qui consomme le moins d’énergie humaine possible pour un usage donné.

Mon métier m’amène à avoir cette même démarche pour chaque personne : donner aux gens le moyen de prendre le plus de plaisir possible en vélo.

Il y a un réseau qui s’établit avec les voyageurs en vélo épris de liberté. Le vélo a ce capital sympathie qui est super intéressant ; ça fédère, ça passionne. On passerait des heures à partager nos expériences. La culture vélo du voyage m’imprègne ; je fais partie du réseau warm-shower qui accueille des cyclistes de passage.

RI : Comment vois-tu l’impact culturel du vélo sur la société ?

VC : LE phénomène de masse, c’est le tour de France, qui est planétaire, avec ses enjeux, ses drames, ses histoires. Ça déchaîne les passions, en particulier chez les Américains qui sont dingues des pionniers - ces gars qui partaient avec deux vitesses, chambre à air autour du cou, un petit sous-pull en laine et avec du vin rouge dans la poche.

Une autre vague d’intérêt est venue avec le mouvement hipster et les coursiers en vélo, c’est à eux qu’on doit le retour du vélo en ville avec un engouement sur le fixie qui est super intéressant.
Personnellement, je trouve que c’est un objet anti-rendement, anti-polyvalence : pas de garde-boue, pas de vitesse, parfois même pas de freins. Moi qui roule beaucoup et vite, je ne m’y vois pas.

Dans la foulée un grand engouement s’est développé, on a vu des vélos sur les estrades les grands couturiers, dans des vitrines de magasins de mode. Les T-shirts avec des slogans pro-vélo se sont répandus.

Le mouvement Critical Mass est devenu une icône de la culture branchée, dans le sens d’une attitude anti société de consommation conventionnelle. Là, c’est des publics de jeunes actifs branchés, avec le dernier smartphone, mais pas forcément de voiture, qui considèrent que la télé, c’est ringard (c’est mon cas).

Au niveau culturel, la génération 2.0 s’approprie très bien l’engin rétro qu’est le vélo. Du coup dans ces pratiquants, on trouve les gens qui retapent des vieux vélos, pour se faire le vélo de ville à la mode. On trouve aussi des engins technologiquement aboutis qui ont un look vintage ; la technologie est intégrée, mais invisible.

Le vélo représente un futur qui promet de casser avec le trop de confort qu’on eu nos parents, avec la sédentarité qui amène l’obésité. On a la chance de pouvoir se développer physiquement, socialement parce qu’il y a des communautés et des tribus citadines intéressantes.

Au délà, c’est un prise de conscience environnementale où on s’aperçoit qu’il y a une place à donner à un engin simple, abordable, pratique, qui a un bon capital sympathie, ce qui devrait amener le vélo à se développer encore.

RI : le vélo, c’est décroissant ?

VC : Je ne suis pas affilié à un mouvement précis. Je ne me réclame pas de la décroissance, des altermondialistes, des hipsters ou dieu sait quelle tribu ou courant de pensée. Je prends ce qui m’intéresse et vise à avoir une vie vraie, et j’essaie d’être cohérent. J’observe ce qui se passe autour de moi et j’essaie de vivre en adéquation avec mes convictions, c’est-à-dire, entre autres : ne pas laisser un environnement pourri à mes gamins.

J’essaie d’avoir une pensée globale, par rapport à mon mode de vie, dans mon environnement.

J’essaie d’être plus humble, peut-être, et de communiquer cette joie de vivre.

J’arrive à gagner ma vie en étant utile, en faisant acheter un beau vélo de ville qui soit un vrai moyen de locomotion durable, et là, j’apporte ma pierre à l’édifice. C’est une façon pour moi de faire de la politique, in fine.

RI : Quel avenir pour le vélo dans la ville ?

VC : En France, on trouve à la fois des comportements rationnels et des comportement latins. Le but du jeu est de faire pencher la balance en participant à rendre moins désirable le modèle des énormes tonnes de ferraille pour déplacer une personne ; on va peut-être apporter un peu de modestie dans notre vie du trop, du toujours plus.

La masse critique de cyclistes présents dans une ville amène à être pris en considération de façon indiscutable par les élus en place, et le but de R&Co, c’est d’amener à cet effet boule de neige.

Pour l’instant, on n’est pas encore assez nombreux pour être incontournables, donc on est obligés de faire des actions, de pousser les aménagements urbains à se faire pour arriver à l’effet de masse critique. Cette logique se met en place petit à petit et, avec l’énergie des membres de l’association, je suis convaincu qu’on va arriver à des choses intéressantes.

Le même phénomène est dupliqué dans toutes les villes moyennes de France.

Au niveau équipement en France on est à la bourre.
Les élus réfléchissent au retour sur investissement des travaux d’aménagement en termes électoraux. Dans cette optique, faire un piste cyclable en demi-cambrousse pour quelques personnes qui partent travailler à vélo n’est pas intéressant. Les jardinières et les ronds-points sont bien plus importants à leurs yeux, ça leur rapporte directement aux élections suivantes.

Obtenir des anneaux de circulation cyclable légèrement surélevés sur les ronds-points, reste difficile. C’est pourtant un aménagement intéressant. Les solutions existent, les urbanistes les connaissent. Si l’anneau cyclable de l’avenue de Genève est aussi catastrophique, c’est justement que le projet des urbanistes n’a pas été validé. On aboutit à un rond-point ou le vélo doit s’arréter 5 fois pour faire le tour [1]

Le meilleur moyen est de canaliser et séparer les flux des différents usagers et de d’attribuer une partie de la voirie aux vélos. Les parc Relais n’offrent îci pas encore un service satisfaisant. Mettre de la signalétique claire en entrée de ville, canaliser les flux d’usagers, comme d’autre pays d’Europe savent le faire, ce ne serait pas très compliqué à mettre en place.

Aménager une ville comme Annecy au niveau cyclable, avec des vraies pistes et de la signalétique intelligente, ça coûte la même chose que 1 km d’autoroute !
(voir)

À nous de créer notre lobby. Nous bénéficions d’un capital sympathie. À nous de faire en sorte que la politique vélo ne soit pas juste du greenwashing. L’état de saturation des villes nous met le vent en poupe, la montée des discours sur la transition énergétique également.

Le scénario énergétique proposé par l’association négawatt repose sur ce slogan : « sobriété, efficacité et énergie renouvelables ». Le vélo présente ces trois aspects.

C’est l’avenir, j’essaie à mon niveau d’y participer.

Notes

[1proximité du supermarché Carrefour d’Annecy en provenance de l’hôpital.

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