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Vercors Musique Festival 2023

Unique et multiple à la fois, Zaho de Sagazan a illuminé la petite scène d’Autrans

vendredi 14 juillet 2023 par Claire Cholier rédaction , Sébastien Cholier photographie CC by-nc-sa

Compte-rendu

Cela commence comme un concert piano voix intimiste et puis, non… Très vite, cela change de direction, de tonalité. Zaho de Sagazan (avec ses deux complices) nous surprend dès le début du spectacle par la somme des contraires qu’elle porte en elle : sa jeunesse alliée à une incroyable maturité, son amour des chansons à textes combiné à un habillage électro très réussi ; tout cela mélangé à une sensibilité à fleur de peau qui nous la rend encore plus attachante…..

Le concert débute par deux notes planantes jouées et répétées plusieurs fois au piano par Zaho. Elle semble seule, dans sa bulle, avec le public autour d’elle. Les spectateurs sont dans l’attente. Puis, peu à peu, elle est rejointe, dans sa musique par ses deux comparses.


La première chanson (« la Fontaine de sang ») donne déjà le la en ce qui concerne l’écriture : des textes extrêmement bien écrits, ciselés, jouant sur les sonorités (« aspiration / spirale »), faisant référence à Baudelaire (« Le vin de ses vaisseaux / Au rythme de son cœur / Coule et donne à boire / À des bouches au hasard »). Ces textes sont mis en valeur par Tom Jeffrey (batteur) et Alexis Delong (musicien et producteur de son album) qui les « habillent » d’effets électro, d’une tonalité synthé à la « Stranger Things », « made in eighties ». Il y a donc une alliance entre deux choses en apparence éloignées (la chanson à textes et la musique électro) et la « mayonnaise » prend. Zaho fait la synthèse de plein de choses et en même temps, donne l’impression d’être unique.

Petit à petit, une sorte de transe collective se met en place avec le deuxième titre « Jolie cigarette ». Je lui trouve une ressemblance avec le Stromae de « Alors, on danse ». Comme lui, elle parvient à dire des choses profondes et personnelles qui touche le maximum de monde, tout ça dans une espèce de délire collectif. J’ai l’impression que les amplifications, les effets aident Zaho à sortir de sa réserve.

Après ces deux titres, elle parle au public d’une façon naturelle et touchante (« vos visages sont très beaux »). Elle présente ses « deux meilleurs copains (« deux bombes sexuelles »). Elle y va direct, sans filtre : « j’espère que ça va vous plaire et sinon, si ça ne vous plaît pas, c’est pas grave ». Elle met directement cette maxime en pratique en se livrant toute entière, sans crainte du ridicule, sur le titre suivant (« Le dernier des voyages ») qu’elle achève dans une escalade de rires et de cris.

Elle continue à se livrer, mais cette fois, dans ses propos, en parlant d’elle, de son habitude « à tomber en crush avec des inconnus ». Et elle précise : « je trouve dans l’inconnu une énorme possibilité d’inventer des histoires et ça me plaît beaucoup ». Cela peut durer « le temps d’un regard », ou parfois, plus longtemps ; comme pour un certain comédien de théâtre d’impro. Pour que cela s’arrête, pour passer à « autre chose », elle « écrit des chansons ». La suivante (précisément intitulée « Mon inconnu », en référence à cet acteur, des airs de confession : « Est-ce possible, mon père / Est-ce que vous en avez déjà vu ? / Des gens qui tombent amoureux d’autres inconnus / Est-ce possible dans la cour des grands ? ».

Encore une fois, la chanson est, pour elle, une manière de mettre à nu ses émotions. Elle ne connaît pas la personne dont elle parle mais ne pas connaître c’est aussi connaître à sa façon. « L’imagination est au coin de la rue ». Zaho raconte des histoires personnelles ; elle est proche des spectateurs en ce qui concerne cette confession intime ; mais intime voire intimiste, son show ne l’est pas : elle occupe toute la scène par ses aller-venues, ses gestes, ses effets sonores et ses mouvements de danse.

Dans les titres suivants, c’est toujours l’amour qui est au centre de ses préoccupations. Sa plume est précise et incroyablement mûre malgré son jeune âge. On a l’impression qu’elle a déjà vécu mille vies. Elle nous livre encore une fois ses contradictions, ses paradoxes : « je ne peux pas croire que tu m’aimes / mais je t’en prie dis-le quand même / Dis-le encore sans t’arrêter / Je veux l’entendre / Faut me surprendre pour m’aimer ». J’ai encore une fois l’impression que la chanson et l’écriture sont une porte de sortie pour une âme agitée et un esprit qui ne se repose jamais. Sa manière de se livrer est désarmante. Je ne la connais pas mais je la sens très proche de moi.

Elle continue de nous faire rentrer dans son monde intérieur. Sur un très beau solo piano (les arrangements sont en pause, momentanément), elle chante : « j’en ai vécu des amours miséreux / alors prends-en soin / prends-en soin du cœur que tu as entre les mains ». C’est comme si elle nous demandait, en même temps, de prendre soin d’elle : Elle a un univers à elle, tellement intense, qu’on a l’impression qu’elle se fait du bien en le partageant avec nous et que cela l’aide. Le partage de sa musique, de ce qu’elle fait est une thérapie, pour elle comme pour nous.

Sur le titre « Tristesse », elle fait pulser la foule d’une façon collective et gigantesque encore une fois avec tout ce qu’il y a de plus intime ». Elle parle à la tristesse et lui donne des ordres : « Qui va là ? / La tristesse / Dégage de là ». Zaho confesse qu’elle a « beau tout faire, tout dire pour la faire partir et elle reste là. Et en fin d’compte, je me demande même si elle ne serait pas là un peu tout le temps. « Je te déteste ! ». La tristesse est comme une hallucination, comme un zombie : « ça ne s’arrêtera donc jamais ! ». A la fois, elle veut que la tristesse s’en aille, mais elle reconnaît en même temps que la tristesse lui est nécessaire (« sans elle, il n’y a pas album »). /

À la suite de cela, Zaho nous retrace son parcours et nous révèle ce que ses chansons nous avaient déjà fait deviner. Elle a été une enfant très sensible et pensait, à l’époque, que c’était une grande faiblesse jusqu’au jour où elle a découvert la musique. La musique est devenue son métier parce c’était quand même « mieux de pleurer sur mon piano que sur mon oreiller » et cette faiblesse est en même temps devenu une force : « être sensible, c’est être vivant et nous ne sommes jamais trop vivants ».

À la fin du concert, Zaho passe encore une fois de l’intime au collectif et fait à nouveau danser le public. Elle lui demande de ne pas avoir peur du ridicule : « ne te regarde pas ». C’est comme une thérapie. Tout le monde danse, tout le monde se lâche complètement. Ce petit brin de fille a un charisme incroyable et une énorme force de persuasion C’est un plaisir de la regarder : « Dansez ! continuez ! ». Encore une fois, elle me fait penser à Stromae. En plein milieu de cette transe collective et libératrice, elle me fait également penser à Vernon Subutex et à ses convergences dans le roman éponyme de Virginie Despentes : les gens lâchent tout : famille, amis, téléphone et viennent danser toute la nuit pendant que Vernon est aux manettes : « ils sont un seul corps qui ondule et ça leur plaît d’être là » (Vernon Subutex 2, page 270)

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