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Vivian Maier Inedita à Turin, le singulier dans le quotidien

mercredi 25 mai 2022 par Anatholie rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Il y a maintenant quinze ans que les quelque 120 000 négatifs de Vivian Maier ont été découverts par hasard. John Maloof, qui en détient la plupart, et la Howard Greenberg Gallery ont donc pu les examiner, les numériser, les cataloguer et en sélectionner environ 250, ainsi que des films Super 8 et 16mm et de rares tirages originaux, pour constituer la plus complète exposition consacrée à ce jour au travail de la “nounou photographe”.

Après sa présentation à Paris en 2021, cette rétrospective a pris ses quartiers dans les Sale Chiablese des Musées Royaux de Turin où elle sera visible jusqu’au 26 juin et, pour qui s’intéresse à la photographie, elle mérite largement le déplacement jusqu’à la capitale piémontaise.

Dans des salles voûtées revêtues d’un enduit gris qui, associé à un éclairage bien étudié, met parfaitement en valeur les tirages, un parcours thématique (en italien, anglais et français) permet de mettre en lumières différents aspects de l’œuvre de Vivian Maier : au-delà des plus connus (autoportraits et photographie de rue), l’accent est mis sur les “indices” (gros plan sur des objets), les gestes, l’enfance, les portraits ou encore les “jeux cinétiques et faux semblant”, qui permettent de se plonger de manière plus approfondie dans un travail d’une grande richesse qui démontre, si besoin en était encore, que la photographe avait un œil digne des plus grands.

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Vivian Maier, Chicago, IL, September 18, 1962, Gelatin silver print, 2012 (...)
© ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Cet œil discernait, dans le quotidien d’une nounou aux Etats-Unis, les singularités qui échappent à la plupart d’entre nous : scènes émouvantes, cocasses voire surréalistes saisies sur le vif, compositions très structurées et esthétiques, parfois presque abstraites, créées par la combinaison aléatoire d’objets, d’ombres et de lumière ou encore idiosyncrasies de la société américaine des années 50 à 70.

Vivian Maier avait cette capacité à capter dans les rues, les parcs ou tout simplement la maison ou le jardin de ses employeurs, l’humain, le beau, l’étrange. Le grandiose, les grands espaces, les paysages à la Ansel Adams ne sont pas pour elle, beaucoup plus proche des Cartier-Bresson, Willy Ronis, Saul Leiter ou Sabine Weiss.

Cette dernière s’est éteinte fin 2021 alors qu’elle finalisait la préparation de la rétrospective de son oeuvre présentée actuellement à Venise, que nous avons, par les hasards du calendrier, pu voir quelques jours avant celle de Vivian Maier, et la question se pose inévitablement : quelles photographies aurait sélectionné cette dernière si elle avait pu, comme Weiss, participer à l’élaboration de l’exposition présentant son travail ? Sa vision de son œuvre aurait-elle été différente ?

La plupart des 120 000 clichés de Maier, qui couvrent plusieurs décennies, n’ont pas été développés de son vivant. Pouvait-elle seulement se souvenir de ce qu’ils contenaient ? On ne dispose d’aucun élément permettant de savoir quel regard elle portait sur sa pratique photographique, à part, de manière indirecte, à travers les rares tirages qu’elle a fait effectuer, mais dont on ne sait pas dans quel contexte ni à quelle fin (avait-elle repéré des clichés dont elle était particulièrement satisfaite ? Connaissait-elle les personnes photographiées ? Pensait-elle pouvoir exposer ou vendre les tirages ?).

Les tirages vintage présentés dans l’exposition sont au format 4x3 à partir de négatifs 6x6, ce qui semble indiquer que Maier n’hésitait pas à recadrer ses photos, alors que les tirages contemporains du même cliché ont conservé le format d’origine, ce qui interroge : fallait-il s’en tenir au recadrage effectué par l’auteur, même s’il est souvent moins réussi ? Ce recadrage représentait-il la version aboutie de la photographie selon celle qui l’avait prise, ou bien seulement un format adapté à l’usage envisagé pour ce tirage spécifique ?

Autant de questions qui rendent l’exposition d’autant plus intéressante.

Le cas Vivian Maier est en effet unique : même les rétrospectives consacrées à des artistes décédés de longue date se construisent sur la base d’une œuvre largement publiée de leur vivant et à leur initiative, alors que le choix des 250 photographies de Vivian Maier constituant l’exposition s’est fait non seulement sans aucune intervention de la photographe mais encore sans qu’aucune des personnes impliquées dans ce choix ne l’aient jamais rencontrée.

L’immersion dans l’œuvre au fil des thématiques qui la structurent constitue de ce fait comme un jeu de piste dont les indices contribuent à esquisser le portrait que chaque visiteur se fera de celle qui se tenait derrière l’objectif : grâce à des archives jusque-là inédites issues du Vivian Maier Estate, les photos sont accompagnées de planches contact, qui permettent de les placer dans la continuité des instants ayant attiré l’attention de la photographe ce jour-là, de films en couleur qu’elle réalisait en parallèle, suggérant parfois que les séquences filmées lui servaient de “repérage” pour des photos, comme si elle “voyait” mieux à travers l’objectif, et même de deux enregistrements sonores de conversations, toujours réalisés par ses soins et permettant d’entendre sa voix.

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Vivian Maier, Chicago, IL, 1960, Gelatin silver print, 2020 - Vivian (...)
© ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Également issus des archives inédites, des clichés réalisés pendant le voyage de Vivian Maier en Italie à la fin des années 50 constituant le pendant à Turin et Gênes du travail réalisé habituellement dans les rues de New York ou Chicago, et une sélection de photographies en couleur jouant sur les contrastes et les gammes chromatiques pour souligner, là encore, le singulier dans le quotidien.

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Vivian Maier, Chicago, IL, 1971, Vintage chromogenic print, c. 1971 - (...)
© ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

À l’issue de ce parcours — auquel il est facile de consacrer près de deux heures en ayant l’impression d’être entré vingt minutes plus tôt — on reste songeur face à la richesse de l’œuvre de Vivian Maier, qui ne s’est pas limitée à un style ou un genre tout en réussissant le tour de force de rendre la plupart de ses photos immédiatement identifiables comme siennes.

  • Vivian Maier Inedita :
    du mercredi 9 février 2022 au dimanche 26 juin 2022 Sale Chiablese, Turin

    du mardi au vendredi de 10h à 19h, le samedi et le dimanche de 10h à 21h.

    Billet à prix réduit : 12,00 € (plus de 65 ans, enseignants, 18-25 ans, groupes, journalistes non accrédités)
    Billet à prix réduit : € 10,00 (détenteurs d’un billet plein tarif des Musées royaux)
    Prix réduit pour les enfants : € 6,00 (enfants entre 12 et 17 ans)
    Forfait familial : jusqu’à deux adultes € 12,00 par personne et chaque enfant âgé de 12 à 17 ans € 6,00 par personne.
    Gratuit : Abbonamento Musei Piemonte Valle d’Aosta, détenteurs de la carte Torino+Piemonte, enfants de 0 à 11 ans, personnes handicapées, employés du MiC, journalistes de service sur demande d’accréditation à info@vivianmaier.it.

    localiser

    adresse

    2/R Turin Piazza San Giovanni


    TURIN (Italie)

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