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Yann Le Masson a pris le large

samedi 18 février 2012 par Franz Narbah rédaction , Salomé Aubry rédaction CC by-nc-sa

Portrait

C’est un article signé par Salomé Aubry que je publie aujourd’hui. Vous allez comprendre pourquoi. Elle est la belle fille de Yann Le Masson, marinier et cinéaste.
Je lui laisse donc la parole.…et la musique…

Hommage au capitaine naviguant entre ombre et lumière

Yann Le Masson, cinéaste et chef-opérateur, né à Brest le 27 juin 1930 a pris le large le 20 janvier 2012 à bord son bateau NISTADER [1] , amarré aux berges de l’île de la Barthelasse à Avignon.

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Le Nistader
© Catie Aubry

Empreint des idéologies libertaires de son temps, il avait choisi de servir leur cause avec l’art qui était le sien : L’art du cinéma, l’art de l’image, l’art de la provocation, l’art du militantisme, l’art de la désobéissance, l’art du témoignage, l’art de la rébellion.

Tout juste diplômé de Louis Lumière (IDHEC - promo 1953), il est contraint au service militaire et envoyé en Algérie comme officier parachutiste en 1955. A son retour en 1958, traumatisé, la rage au cœur d’avoir combattu aux côtés des colons, sur les conseils de Michèle Firk il reprend la barre de sa vie et s’engage dans un cinéma militant. Il signe la photographie du film anti-militariste de Paul Carpita « La récréation » (1959). Et co-réalise « J’ai huit ans » (1961) avec sa femme, Olga Poliakoff, sur une idée de René Vautier. Ils donnent la parole à des enfants algériens réfugiés en Tunisie dans la clinique du docteur Frantz Fanon, filmant leurs dessins et récits de guerre. Un court-métrage qui dénonce le militarisme et parle au cœur de l’Homme, censuré sur le territoire français pendant 13 ans (saisi 17 fois !).
Ils participent alors à la fondation du Groupe pour le cinéma parallèle dont ils publient le Manifeste pour un cinéma parallèle.
En 1963, dans « Sucre Amer », il dénonce la fraude électorale de Michel Debré _ ce nostalgique de l’Algérie française craignant l’indépendance des autres colonies _à l’île de la Réunion.
En 1964, naît son quatrième enfant, Yuna, cadette de Stephane et Gurvann (nés en 1959) et de Vladimir, déjà petit garçon quand il rencontre Olga en 1958.

En 1970, Il part au Japon avec la sociologue Bénie Deswartes. Ils y co-réalisent « Kashima Paradise » qui témoigne de l’incidence de l’industrialisation sur la société japonaise, notamment sur le monde paysan. Ils filment la mutation de la ville de Kashima où les paysans vendent leurs terres à Mitsubishi qui y construit un complexe industriel. Et la violente expropriation des paysans de Narita, refusant de vendre les leurs pour la construction d’un aéroport. Chris Marker en signera le commentaire. Le film est sélectionné au Festival de Cannes en 1973 et nominé aux Oscars en 1974.
De retour en France, il co-réalise avec René Vautier « Le poisson commande », sur la chaîne du poisson jusqu’à nos assiettes, qui reçoit l’Oscar du meilleur film sur la mer en 1976.
En 1979, Il témoigne de la lutte des femmes pour l’avortement et la contraception dans « Regarde elle a les yeux grand ouverts » avec le MLAC d’Aix-en-provence. Yann s’immerge dans leur vie et les filme de l’intérieur, avec amour.
Puis en 1985, il signe un documentaire plus intimiste, Heligonka, sur un homme, son frère Patrick, confronté à la perte de la vue, suivant un traitement au laser qui détruit l’oeil pour en stabiliser la dégénérescence. Il nous fait partager ses sensations, y compris sa vue.

La beauté de l’Image et la capacité à épouser le point de vue de ceux qu’il filme sont deux qualités qui font de ses films des chefs d’oœuvres.
Il signe d’ailleurs la photographie et le cadre de nombreux films de 1954 à 1985, travaillant, entre autres, aux côtés Pierre Lhomme (son ami de jeunesse, rencontré à l’IDHEC) et de Serge Gainsbourg, avec qui il partage l’amour et l’art de la provocation.

Dans les années 80, il devient marinier et parcourt le réseau fluvial pendant plus de 10 ans avec le Nistader affrété.
Durant ces années-là, il prépare un film sur le démantèlement de la batellerie et écrit le scénario « Déchirage » (en référence aux bourses au déchirage mises en place par l’état) mais ne le tournera pas. Vient le temps de transmettre son amour de l’image, sa façon de voir et de concevoir le cinéma direct. Avec Catie Aubry, sa femme (ma mère), ils envisagent de naviguer le long des canaux avec des élèves pour leur apprendre à réaliser un court-métrage, mais les travaux pour homologuer le bateau coûtent trop cher. Yann donne des cours à l’ENSAV à Toulouse, puis dirige la chaire de la section « Chef-Opérateur » à l’EICTV à Cuba, où il vit avec Catie et Mathilde (leur fille née en 1993), invité par son amie Jacqueline Meppiel, qui avait monté « J’ai huit ans » et créé la chaire de « Montage » de l’EICTV.
Il aimait ce pays, le dernier bastion du communisme, avait même eu envie de faire un film sur Fidel Castro, mais il me semble que sa proposition était restée sans réponse… Depuis quelques années, il luttait contre un cancer aussi résistant que lui. Il est parti paisiblement, allongé dans son lit, les mains dans celles de Catie et Mathilde, sur un air de Bob Dylan.

Yann ! Imposant personnage que beaucoup admiraient.
Bon vivant, force de la nature, souvent convaincu d’avoir raison, aimant d’ailleurs donner des leçons et affirmer ses convictions, tout en cherchant la dialectique ! Il disait aimer le conflit pour son pouvoir de faire accoucher d’un changement, changer soi-même pour changer, un temps soit peu le monde.
Professeur passionné et convaincu, il aura marqué plus d’un élève, et plus d’un cinéaste ! … Plus d’une personne aussi ! ... dont je fais partie.
Au revoir Capitaine !

Salomé Aubry

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Chanson pour Yann de Salomé Aubry

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Filmographie :

Réalisateur :
 J’ai huit ans (1961)
 Sucre Amer (1963),
 Kashima Paradise (1973)
 Le poisson commande (1978) - co-réalisé avec René Vautier
 Regarde elle a les yeux grand ouvert (1980)
 Heligonka (1985)

Chef-Opérateur :
 Quand le soleil dort (1954)
 La recréation (1959)
 Aicha (1960),
 Les Morutiers (1966),
 L’Or et le plomb (1966)
 Tu imagines Robinson (1967),
 Kashima Paradise (1973),
 L’Homme qui voulait violer le monde (1974),
 La Cecilia (1975),
 Les Prisons aussi... (1975),
 Nucléaire danger immédiat (1977),
 Aïnama (Salsa pour Goldman) (1980).

Cadreur :
 Grand Prix (1966),
 Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages (1968)
 Cannabis (1970),
 Sans sommation (1973),
 Je t’aime moi non plus (1976),
 Equateur (1983).

A voir :Le coffret Kashima Paradise / Le cinéma de Yann Le Masson (éditions Montparnasse, 2 DVD)


Toutes les photographies illustrant cet article sont aimablement prêtées par © Catie Aubry, compagne de Yann Le Masson et mère de l’auteure


Rajout le 28 mars 2012 : programme soirée hommage à Paris le 10 avril 2012 :

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Le programme à télécharger

  • Hommage à Yann Le Masson :
    le mardi 10 avril 2012 de 19h00 à 22h00 Forum des images

    Rens. : 01 44 76 63 00 www.forumdesimages.fr Tarif / séance : 5€ -
    Tarif spécial pour les 2 séances : 8€ Tarif réduit / séance : 4€
    (adhérents à Documentaire sur Grand Ecran)

    localiser

    adresse

    2 rue du Cinéma / Forum des Halles - 75001 Paris

Portfolio

Notes

[1« Ne Compte que sur toi-même » (source : Yann Le Masson)