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L’homme à la tête d’épingles

lundi 13 juillet 2015 par Xavier Depraz rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Alexandre Noyer est bien connu de la communauté rictussienne, il est l’auteur de nombreux articles portant sur son domaine de prédilection : le cinéma d’animation. Ancien de l’AAA, co-fondateur du Folioscope, réalisateur de plusieurs courts métrages, il se définit lui-même comme un « fou d’anim ». Depuis 2012, il avait en tête la conception d’un écran d’épingles, inspiré par ceux réalisés par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker.

Son rêve est devenu réalité en mai dernier : plus de 26 000 épingles dans un rectangle d’un format A4. Heureuse coïncidence, l’écran d’épingles était à l’honneur du Festival d’Animation d’Annecy, non seulement avec la superbe exposition sur Alexeïeff /Parker (visible au musée Château jusqu’en octobre), mais aussi avec un stage de formation à l’écran d’épingles organisé par le CNC, animé par la personne de reférence en la matière : Michèle Lemieux. Réservé aux professionnels confirmés, Alex a pu assister à ce stage en tant qu’observateur. Il a bien voulu faire quelques confidences à Rictus...

Comment tout cela a-t-il commencé ?

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© K’s Photos

Quand j’étais à l’AAA, il y avait un écran d’épingles qui avait été fait par Alexeïeff (ndlr : cet écran « simplifié » est exposé au Musée Château) et puis il y avait surtout une reproduction de Jacques Drouin du film « Ex-child » où l’on voyait une tête en gros plan avec un œil étonnant... J’avais demandé si c’était fait avec du sable et l’on m’avait répondu que le film avait été fait avec un écran d’épingles. Je m’étais dit : « il faut que j’en fasse un ! ».

10 ans ont passé. En 2012, j’ai vu le film de Michèle Lemieux, « Le grand ailleurs et le petit ici » au Festival d’Annecy, ce qui a réactivé mon intérêt. En 2013, Michèle Lemieux devait venir en France pour animer une master class, qui n’a finalement pas eu lieu, et rapporter en France l’un des écran d’Alexeïeff , l’épinette. À l’époque, je me suis renseigné pour avoir accès à cet écran, mais on m’a répondu qu’il était réservé aux professionnels.

J’ai donc commencé à me documenter ici et là, à lire des ouvrages sur Alexeïeff [1]. En janvier 2015, j’ai décidé de réalisé mon propre écran car j’ai compris que je ne réussirai pas à en approcher un. Paradoxalement, maintenant que j’ai fait mon propre écran, j’ai pu avoir accès aux autres ! J’ai aussi acheté 70000 épingles en me disant : « maintenant qu’elles sont là, il faut en faire quelque chose ». J’ai pris énormément de contacts pour obtenir des éléments techniques. Et c’est là que j’ai appris qu’il y aurait une grande exposition consacrée à Alexeïeff et Parker à l’occasion du Festival d’Annecy cette année.

Cela m’a beaucoup motivé car je pensais qu’il pouvait y avoir quelque chose autour de l’expo, pourquoi pas la master class qui n’avait pas pu avoir lieu en 2013. J’ai contacté le CNC et l’ONF avec des questions très techniques, mais je n’ai pas eu de réponse. J’étais alors dans une impasse.

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© K’s Photos


J’ai alors décidé de contacter directement Jacques Drouin et Michèle Lemieux. Cette dernière m’a confirmé qu’il y aurait un stage en marge de l’exposition, organisée par le CNC. Jacques Drouin, quant à lui, m’a donné énormément d’éléments techniques et de précieux conseils. J’ai également présenté mes prototypes (ci-contre, cliquer pour agrandir) à Maurice Corbet [2], qui a été intéressé et qui m’a aidé en me fournissant beaucoup de documentation.

Depuis Alexeïeff, personne n’avait créé d’écran d’épingles ?

Non, Jacques Drouin m’a dit qu’il avait eu connaissance de plusieurs projets qui n’avaient pas abouti, en raison des difficultés techniques et surtout, du problème du nombre d’épingles à manipuler (entre 30000 et 100000 pour avoir une « résolution » suffisante).

Début mai, tu t’es vraiment lancé...

Oui, j’ai reçu mes 4 cartes et j’avais déjà mes épingles, que j’avais noircies. Comme je savais que ça allait être long, j’ai fait des « apéros épinglés », durant lesquels des ami(e)s sont venu me prêter main forte pour placer les épingles. Le 19 mai, l’écran était terminé.
Depuis, je fais deux dessins par jour sur l’écran, pour me faite la main. Je n’ai commencé à animer que depuis peu.

Et le stage ?

Oui... je n’avais pas le droit d’y participer car je n’étais pas un professionnel et que je n’avais pas le niveau artistique requis. Mais j’ai été accepté en tant qu’observateur, car les organisateurs savaient que j’avais fait un écran « sérieusement ».

Quel était le but du stage ?

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Jacques Drouin, Theodore Ushev
,Michèle Lemieux, et Georges Schwizgebel découvrent l’écran d’épingles (…)
© Julie Roy

C’était un stage de passation, de transmission de savoir, pour huit animateurs français qui n’avaient jamais pratiqué l’écran d’épingles et qui pourraient s’approprier cette technique particulière pour, à leur tour, la transmettre et/ou travailler avec cet écran, l’Épinette, entièrement restauré par le CNC.

Ce stage a duré 3 jours, avec une partie théorique passionnante assurée par Michèle Lemieux, puis des exercices pratiques, notamment un cadavre exquis. Michel Lemieux était assez émue à l’idée de faire ce stage, car elle avait été elle-même initiée à l’écran d’épingles par Jacques Drouin (lui-même ayant découverrt lors de son stage à l’ONF) lors d’un tel stage. Il y a un rapport quas-mystique des animateurs avec cet écran : certains en rêvent la nuit, Michèle Lemieux lui parle... Il y a une véritable magie des épingles.

Ce stage m’a permis de rencontrer de grands artistes, avec des univers graphiques très forts (Florence Miailhe, Pierre-Luc Granjon, Florentine Grelier, Céline Devaux, Cerise Lopez...).

Et maintenant ? Tu as un projet de film ?

Je n’ai pas conçu cet écran pour faire un film, mais pour tester une technique. J’ai été tellement pris intellectuellement par sa réalisation que je n’ai pas encore pensé à la suite. Michèle Lemieux a testé mon écran et m’a donné des conseils pour l’améliorer... J’ai en tête un nouveau modèle, plus grand (format A3), avec plus 100000 épingles sans tête (ce qui n’est pas le cas actuellement), soit 102 au cm2. Il faut que je fasse faire mes épingles sur mesure, c’est assez compliqué, et cher...

De même, le budget apéro épinglé ne sera pas le même ! (rires). Je réfléchis à un financement participatif. Je sais aussi que certains animateurs sont intéressés par mon écran, ainsi que des écoles d’animations. Des animateurs aimeraient également travailler avec. Son format est très pratique, on peut l’emporter partout, dans un sac. Je vais aussi proposer des stages d’initiation, dans le cadre du Folioscope.

Notes

[1ceux de Gianalberto Bendazzi , de Nicole Salomon

[2Maurice Corbet est responsable des collections de cinéma d’animation au musée château d’Annecy

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