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Jazz ContreBand 2023

Djazia Satour, une voix pour des voix

lundi 5 février 2024 par Bérénice Fléchard photographie , Jean-Pierre Biskup rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Avant son beau concert en duo acoustique à l’Auditorium de la Cité des arts de Chambéry dans le cadre du festival Jazz ContreBand, Djazia Satour a pu parler de son dernier album, mais aussi de la musique qui l’inspire et de ses projets. Une interview qui fait voyager dans le temps et écouter différentes musiques.

Alors pour commencer, je vais te demander de te présenter succinctement... ou pas !

Le « ou pas » est possible (rires)... Je suis chanteuse, je m’appelle Djazia Satour. Je suis née en Algérie, je suis arrivée en France à l’âge de 9 ans. Je suis chanteuse, et même musicienne, puisque je joue aujourd’hui de la percussion. Je fais une musique dans laquelle j’essaie de mettre un peu tout ce qui m’a traversé depuis mon enfance. Justement, avec le temps qui passe, je trouve qu’il y a une résurgence des influences de ce que j’ai pu écouter quand j’étais enfant.


On pourrait parler d’une fusion, mais en réalité je ne mets pas tout à fait tous les éléments de la fusion musicale qui me traversent au même niveau. Il y a pour ma part la présence des musiques arabes qui est très présente, je chante aussi en arabe, en arabe algérien, et je cherche un peu une espèce de fil rouge dans la musique qui serait celui des influences un peu plus traditionnelles des musiques arabes en essayant d’allier ça à des instruments occidentaux parce que la pop, le rap, la folk sont des styles qui m’ont aussi traversé.
Donc je pense que je pourrais me définir comme ça : une chanteuse qui fait des expériences avec des acquis anciens et une écoute aussi passionnée de tout ce qui se fait aujourd’hui en musique.

En parlant comme ça, tu commences à définir ce que tu fais en musique, et notamment concernant ton dernier album intitulé Aswât (traduit par « des voix » en français). Pourrais-tu dire en quoi consiste cet album, et pourquoi avoir choisi la formule d’un duo pour le présenter sur scène ?

Aswât est le dernier album en date qui est sorti, un nouvel album est d’ailleurs en préparation, mais c’est effectivement celui-là qui est joué ce soir, même s’il y a de nouvelles chansons qui sont incorporées dans le spectacle en duo. Il y a toujours des liens, les choses se lient entre elles.
En fait les voix, des voix, c’était volontaire que ce soit des voix indistinctes. Ce sont des voix, et pas les voix. Dans cet album-là au final, je crois que c’est d’abord un travail de collaboration avec l’auteur, parce que j’ai un auteur de textes en arabe. On a vraiment voulu au moment de l’écriture de ce disque à la fois mettre en avant la langue arabe, le parler arabe, la langue algérienne dans toute sa richesse en quelque sorte, parce qu’il y a dans cette langue pour moi à titre personnel la possibilité d’exprimer des émotions qui est particulière et qui viennent de loin.

C’est vrai qu’il y a ce rapport à l’enfance, aux racines, aux sources en fait, qui me permettent de parler de ce qui se passe aujourd’hui, et c’est ce qui raccorde ça aux voix, c’est-à-dire des voix indistinctes qu’on pourrait croire qu’elles sont une sorte de cacophonie car elles nous parviennent à la fois des réseaux sociaux, des réseaux d’informations à la fois de la télé et de la radio.
Mais ce sont en fait des voix qui portent une histoire, un récit. Ce sont ces voix-là qui existent dans ce disque, ce sont les voix des réfugiés, des exilés, des dominés, et toutes ces thématiques sont abordées, mais il n’y a pas que ces thématiques-là. Mais elles ont une présence dans l’album parce que c’est un disque qui a été créé au moment où il y avait eu ce qu’on a appelé la crise migratoire et le début de l’arrivée des réfugiés en masse en Europe, et une manière dont l’information traitait cet événement qui engendrait aussi des morts en mer, des déplacements, que ce soit des réfugiés syriens, des réfugiés subsahariens, mais aussi des réfugiés du Maghreb.

C’était donc un contexte d’actualité qu’il était difficile pour moi de ne pas évoquer dans ces textes. L’album Aswât au niveau des textes et des thématiques c’est ça, lié à l’envie d’exprimer pour la première fois en langue arabe l’ensemble d’un album, et avec l’envie aussi très naturelle de revenir vers les sources de l’enfance. Du coup coexistent sur ce disque des instruments traditionnels et des instruments occidentaux, parce que c’est ce que j’ai toujours aimé faire.

C’est donc comme cela que l’album Aswât a été conçu à l’origine, et comment est arrivé la rencontre avec le pianiste et l’idée du duo ?

La rencontre avec Pierre-Luc est une rencontre qui a eu lieu avec l’album précédent, Alwâne, dont il était coréalisateur. Je l’ai rencontré à ce moment-là, et il a continué à coréaliser avec l’album Aswât. Il est aussi intervenu en tant que pianiste et claviériste. C’est une rencontre artistique et humaine. Quand cette tournée d’Aswât a commencé, il y a eu aussi une envie de revenir en ce qui nous concerne à quelque chose de plus épuré dans sa formule, et aussi l’envie de prendre un peu plus de risques musicalement.
J’ai toujours été fascinée par la percussion que je joue, le bendir, qui est un instrument traditionnel nord-africain, donc je me suis mis à l’apprendre. Et de fil en aiguille, Arthur H nous avait proposé de faire ses premières parties parce qu’il avait écouté le disque Aswât et qu’il avait adoré.
On lui avait dit qu’on n’avait pas vraiment de formation légère pour faire des premières parties, donc on s’est mis à travailler autour de l’idée d’un duo. Cela nous a servi un petit peu de tremplin, de test, et on s’est dit que c’était vraiment intéressant. Il y avait déjà cette idée, et la proposition d’Arthur H nous a permis de mettre le pied à l’étrier. Au fond, pour moi cette formation c’est surtout entendre les chansons sous une autre instrumentation, avec une autre orchestration, avec quelque chose qui laisse plus de place aux nuances, et donc aux variations émotionnelles et musicales.

Ta musique est influencée par les musiques occidentales et les musiques maghrébines. Pour cet album, tu chantes seulement en arabe, mais par le passé tu as chanté en français, arabe, anglais... Cela montre que tu as eu beaucoup d’influences différentes, et cela peut être intéressant que tu en parles, que ce soit des groupes et artistes connus ou moins connus qui mériteraient d’être plus écoutés.

Comme artistes que j’ai beaucoup aimé en musiques occidentales, j’ai beaucoup écouté Björk, Erykah Badu, Oumou Sangaré qui est une artiste malienne, Nusrat Fateh Ali Khan qui pour moi est une référence ultime, Michael Jackson qui m’a probablement donné une envie folle de faire de la scène, en plus de mon frère qui est aussi musicien et qui a peut-être contribué pas mal à mon envie.
Il m’a certainement donné un exemple possible très proche, puisque c’est le chanteur de Gnawa Diffusion. J’ai écouté plein de trucs, comme Ray LaMontagne, The Roots, et beaucoup d’autres... Il y a aussi des artistes arabes et moyen-orientaux, le chaâbi qu’écoutait mon père m’a beaucoup traversé aussi, ça c’est vraiment toute la musique algérienne et même algéroise de son époque.

Je peux citer encore Skip James, tous les artistes blues, Buddy Guy... Concernant les chanteuses, ado j’ai écouté toutes les chanteuses à voix de la variété américaine comme Michelle, Mariah Carey, Whitney Houston... Après j’ai eu une phase plus rock avec Nirvana et tous les groupes de cette époque-là... Il y a des choses que j’ai écouté en boucle comme Oumou Sangaré, Nusrat Fateh Ali Khan, Björk... Je peux citer aussi Little Dragon avec un album en particulier avec une espèce de lapin dessiné dessus...

Quelle est ta définition de la musique ?

Pour moi, la musique pourrait être une sorte de chemin qu’on peut prendre et qui est protecteur. Cela dépend aussi si on est auditeur, mélomane, ou musicien, car ce n’est pas toujours pareil. Je suis contente encore d’écouter la musique sans forcément l’analyser tout le temps. Il y a dans la musique une possibilité à la fois de découvrir et de s’émerveiller vraiment en dehors du temps et du monde, car il y a quelque chose de magique dans la musique. Il y a quelque chose de magique dans le fait qu’une émotion passe quand on l’écoute sans en saisir toujours les raisons. Et en tant que musicienne je trouve qu’il y a quelque chose de protecteur.

Personnellement, je me suis toujours sentie un peu en dehors du monde. Il y a cette impression de quelque chose qui rassure parce qu’on se dit que quoiqu’il arrive, il y aura toujours la musique. On a toujours des angoisses quand on traverse une vie, on a peur, on a des peurs, on a des angoisses de la mort, de perte des autres, de déclassement, de ne pas subvenir à ses besoins, de ne pas avoir de boulot, etc... Et tout ça ce sont des angoisses qui nous traversent tous, à moins d’être rentier ou d’avoir beaucoup d’argent. Il peut y avoir tout type d’angoisse, il n’y a pas que des angoisses matérielles.
Personnellement, je me suis toujours dit qu’il y a au moins quelque chose qui m’appartient qui est la musique. Je pense que c’est quelque chose qui est abstrait mais qui est propre à chacun et qui peut appartenir à quelqu’un, comme un univers dans lequel il peut s’exprimer, produire quelque chose, exister.
À partir du moment où on touche à la création, on peut dire que ça c’est quelque chose qui est en notre possession, qui existe comme une sorte de petit trésor dont on peut sortir des choses. Tout dépend après si on y arrive, parce que c’est capricieux. Je dirais que c’est un peu un chemin comme ça, un chemin d’apaisement. Cela peut presque donner du sens à la vie.

Aujourd’hui, qu’est-ce que tu écoutes comme musiques ? Peu importe si elles t’influencent musicalement ou pas.

Je suis très touchée en ce moment par les artistes indépendants — comme moi un petit peu— qui produisent des choses aujourd’hui. Par exemple en France, j’aimerais beaucoup que les gens découvrent un artiste qui est très local qui s’appelle Léonid. C’est un super artiste, très créatif qui mériterait vraiment d’avoir une notoriété plus importante. J’écoute encore pas mal et je suis encore les artistes que je t’ai cités tout à l’heure, plus ou moins selon les artistes... J’écoute aussi Féloche, chanteur français dans un style encore différent de ce que j’ai dit auparavant...

J’écoute aussi une chanteuse sahraouie qui est décédée, Mariem Hassan, magnifique artistiquement et musicalement, qui défend la cause du Sahara occidental, porte parole de la cause sahraouie... Il y a aussi la musique sahraoui en général... Je peux parler aussi de Dimi Mint Abba, qui est une mauritanienne comparée à Nusrat Fateh Ali Khan, qui est monstrueuse, c’est magnifique... Tout ça, c’est mon côté des musiques trad mauritaniennes, du Nord de l’Afrique, que les gens ne connaissent pas forcément tant que ça, mais qui sont des musiques addictives à mon avis.

Quels sont les projets actuels et à venir ?

Un EP en duo qui sort bientôt, et un album avec le groupe au complet qui devrait sortir en 2024. Et bien sûr, des concerts encore à venir, et on espère de plus en plus !

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