> Mag > Musique > Editors, l’humeur de la rupture
Originaires de Birmingham (UK), Editors a souvent été comparé à des groupes de la New Wave pour l’atmosphère « Noire » de leurs compositions et paroles mais finalement il n’en est rien ! Le groupe est jovial et sportif, Tom Smith, sautille sur scène pendant plus de deux heures sans avoir d’ampoules aux pieds et les autres ne sont pas en reste du point de vue de leur énergie laissé sur le tarmac. Edward Lay est hallucinant à la batterie tant il ressemble à une pile Wonder, l’effort est par ailleurs collectif. Pour ce concert consacré à leur dernier opus EBM, la musique se fait de plus en plus électronique avec l’arrivée de Benjamin John Power aux claviers. Les rivages de la Pop Rock « Brutale » s’éloignent pour laisser la place à un son plus travaillé et complexe grâce aux synthétiseurs. La magnifique salle des Docks affichait complet pour ce concert, environ 900 personnes assistaient à un concert de très haut niveau de ce groupe majeur de la scène actuelle.
Les nuits durent moins longtemps aujourd’hui ! Partout où nous allons, les lumières restent basses, je suis Golem, être une star de rock est devenu un métier qu’on pratique dans l’excellence d’une organisation parfaite et professionnelle… Et les monstres se défoncent de chagrin ! Le rock n’a plus l’image de flammes de l’enfer, de figures emblématiques qui ont des rapports avec les puissances du mal. Après tout, pourquoi se pendre comme Ian Curtis, avoir une overdose dans un hôtel miteux comme Jimmy Hendrix, Brian Jones, Janis Joplin, Jim Morrison, avoir des comportements à risques et rejoindre le « Forever 27 club » et mourir avant 27 ans pour rejoindre de tragiques destins. Editors nous le disent de manière simple : c’est juste « Strawberry Lemonade » et footing le matin au bord du lac Leman. Il n’y a donc rien de sensationnel à chercher dans les poubelles… Et aucun reproche ne leur sera adressé !
Calmes et peinards ? Pas vraiment, car c’est pourtant le titre « Heart attack » qu’ils nous jouent en montant sur scène, « les anges se sont perdus dans le noir et blanc », une histoire d’amour « Personne ne t’aimera plus que moi », répète à l’infini Tom Smith au public médusé par cette promesse. La soirée démarre très fort pour les spectateurs que nous sommes, les têtes balancent de gauche à droite, de haut en bas, il y a une drôle de chorégraphie à regarder ce soir les gens danser depuis le balcon, seul le service d’ordre reste inflexible.
« Bones » (2007), titre de leur deuxième album, coule dans la même veine, il y a une continuité dans les mots « Est-ce que l’amour que tu as ressenti est égal à la douleur que tu as traversé ? »… Ce sont toujours des chansons où les portes s’ouvrent et se referment aussitôt ! Editors ne raconte pas d’histoires mais laisse uniquement transparaître des empreintes d’une présence qui se serait évanouie, on n’en ressent parfois une frustration de ne pas mettre le « grappin dessus » à ce foutu mal d’amour.
Les morceaux se suivent et se ressemblent, il y a une sorte de perte de l’aura qui s’installe dû à la reproduction mécanique répétitive des musiques, des images sonores hypnotiques et rythmées, une sensation de physique plutôt que rituelle et psychologique. Bizarre car leurs textes cherchent pourtant habituellement à nous égarer et à nous perdre dans l’Ombilic des limbes.
Portfolio the KVB
Le groupe The KVB en première partie avait choisi de diffuser leurs vidéos durant leur concert, finalement on regrette qu’Editors ne le fasse pas aussi ! On aurait sans doute gagné en intensité émotionnelle tellement qu’elles ajoutent une dimension artistique à leur travail. Je pense notamment aux clips de « Papillon » avec ces tunnels et rues traversés d’une course frénétique, vitesse, solitude, et cette magnifique vidéo en noir et blanc de « Munich », vision dynamique des mouvements d’une femme… « Magazine » où Tom Smith se déguise en trader de London City, dans un monde froid, mur gris et incommunication des personnages qui se touchent mais ne se regardent jamais ni se parlent.
Le groupe britannique joue maintenant « Frankenstein » et régulièrement en live depuis quelque temps. Il n’a rien de monstrueux ! C’est un morceau inédit qui figure sur un single de 2019, une belle mélodie avec une rythmique électronique où les synthétiseurs sont déjà mis en avant ! « Je comprends l’harmonie du monde ; quand en surprendrai-je la mélodie ? » nous disait Paul Claudel, Editors construit ici un dialogue de créateur à créateur en jouant des ressources rythmiques de la langue et de ses sonorités, vecteur métaphorique pour exprimer leur projet poétique :
« Qu’est-ce que tu as, parce que tu parles beaucoup comme une comptine ? ».
Pour en finir avec le jugement de Dieu, si Editors souhaite devenir un groupe mythique comme Joy Division et ne pas rester une référence à l’insipide groupe commercial Duran Duran, il va falloir que ses membres acceptent une certaine humeur de la rupture. Pour le moment, le premier étage de leur processus créatif est plutôt réussi avec de nombreux tubes produits que nous reconnaissons à la première note pour les avoir tous écouté au moins une fois. Mais cela ne suffit pas, d’influent et populaire, il faut passer maintenant à la création divine, se gratter la tête pour défaire un pareil nœud, choisir un modèle de créer à partir de « rien », se désunir du passé pour saisir une mission dans le néant !
Dieu insiste Augustin n’est pas tombé sur une matière coéternelle à lui, mais il l’a lui-même établie à partir d’absolument rien, ainsi que les réalités qu’il a faites à partir d’elle.
Bref, bonne chance les gars, à la prochaine ! Avec Tanja, on vous aime !
Compte rendu par Phil, Rictus Info
Portfolio Editors
En février 2020, les fribourgeois ont eu la joie d’accueillir Editors au Fri-Son. Très belle prestation scénique de leur part à cette soirée qui marquera forcément les esprits car exactement 4 semaines plus tard, le pays s’arrêtait pour cause de Covid. Comme pour conjurer ce mauvais sort de 2020, nous décidons de nous rendre à Lausanne où les Editors sont annoncés aux Docks. Nous avons eu la chance de pouvoir parler avec le groupe qui a eu la gentillesse d’accepter de répondre à quelques questions avant leur concert. Un merci tout particulier à ces deux belles âmes que sont Edward Lay, batteur et Russell Leetch, bassiste des Editors qui nous ont rencontré.(intro/outro par Tanja)
Tanja : Comment allez-vous ?
Ed & Russell : Très bien, quoi qu’un peu fatigués, nous venons de Paris où nous avons joué à l’Olympia et c’était fantastique. Nous avons eu de la chance de pouvoir y faire déjà quelques live. La nuit passée était vraiment spéciale.
Tanja : Parfait, bienvenue en Suisse et j’espère vous aurez tout autant de fun ce soir ici à Lausanne.
Benjamin de Blanck Mass a rejoint Editors en tant que nouveau membre du groupe. Pourriez-vous nous dire comment cela s’est présenté pour le nouvel album après votre collaboration sur « Violence » et, est-ce que le nouvel album EBM est un hommage aux groupes Kraftwerk ou Front 242 ?
Russell : Oui, le fait qu’il nous rejoigne était, comment… en fait, il a fait un peu de production et nous avons sorti l’album The Blanck Mass Session, version alternative de Violence. C’était une sorte de pont, je suppose, à ce qu’il soit impliqué davantage dans le groupe plutôt que de faire que de la production en plus de ce que nous faisions déjà. C’était logique dans un sens et ça s’est très bien passé sur scène où nous pouvons maintenant avoir toute l’électronique qui joue en direct plutôt que d’être juste en backing track. Donc oui, tout ça a été finalement une grande aventure sur grand écran.
Ed : Quant à savoir si c’est un hommage à Kraftwerk ou à Front 242, en fait tout simplement, non. Ce que c’est, et je suppose qu’il est fait allusion au titre EBM de l’album (ce n’est pas seulement Editors et Blanck Mass qui se réunissent) ou même pas « Electronic Body Music », que j’ai trouvé assez drôle dans un sens. Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour le présenter de cette manière en faisant une couverture un peu plus graphique et en faire une célébration de la musique électronique. C’est certainement un album agressif mais ce n’est pas seulement un album de musique électronique. Il y a de la batterie et de la basse partout sur cet album, et je pense que cela se voit également bien en live.
Tanja : Oui, il est vraiment puissant et Benjamin Power convient parfaitement à cet album.
Ed : Ouais, c’est un musicien assez brutal, mais il fait des sons très mélodiques, sa musique agressive sonne de façon incroyablement émouvante aussi.
Tanja : Une question un peu plus scientifique. Vous êtes en tournée en ce moment, et je me demandais ce que vous pensiez des tournées écologiques, de la durabilité, des festivals ou encore des vinyles bioplastiques, par exemple ? Votre groupe a-t-il changé quelque chose ces dernières années, sachant que vous devez de toute façon partir en tournée ?
Russell : En effet, tu essaies un peu mais évidemment, je pense qu’avec un groupe comme le nôtre, nous avons nos bus pour les tournées, nos camions où nous allons partout avec et il n’est pas vraiment possible de s’en passer à moins qu’il y ait des bus électriques qui tiennent la distance. Malheureusement, il n’y a pas encore de batteries qui peuvent le faire. Il y aura toujours des choses comme ça, mais tout est en train de changer, et les gens en sont très conscients. Il faut juste un peu plus de temps pour le faire. Lors de notre dernière tournée, nous avons essayé de nous débarrasser des bouteilles en plastique, mais elles reviennent toujours.
Ed : ouais...c’est un peu spécifique aux lieux aussi et surtout pendant les festivals, certains sont beaucoup plus axés sur le sujet et d’autres malheureusement pas.
Tanja : Pourriez-vous imaginer dans un futur des festivals différents, plus dans les villes avec des infrastructures qui existent déjà ?
Ed et Russell : oui, tout à fait !
Ed : Zürich Open Air par exemple, qui est dans la ville, Meltdown Festival au Royaume-Uni (Londres) ou le Montreux Jazz. Les festivals en Suisse sont finalement assez proches des villes et assez facilement accessibles.
Tanja : C’est vrai...mais parfois, si tu veux aller voir un concert à Genève, il n’y a pas d’offres intéressantes avec des trains en soirée si je veux rentrer chez moi.
Russell : Non en effet ! Idem, chez nous au Royaume-Uni non plus. Manifestement, il y a eu un changement global dans les pouvoirs afin que les gens s’éloignent du pétrole, car nous savons que nous devons le faire de toute façon. Si nous commençons tous à être durables sans avoir une grande poussée mondiale pour le pétrole, alors on sera dans un monde meilleur.
Phil : Vous êtes souvent comparés à des groupes des années 80, Joy Division ou Echo and the Bunnymen... même si au final, ces deux groupes sont très différents de vos productions. Quelle est la relation que vous avez avec la période new age ou le mouvement punk ?
Ed : Il y a quelque chose dans la façon dont la production musicale des années 80 utilise les balances, les synthétiseurs avec de vraies guitares, batteries et autres à la manière de New Order, dans ce calibre. Cette simplicité de la production est assez attrayante et permet à la chanson de vous emmener émotionnellement quelque part. Je pense que c’est quelque chose que nous avons toujours voulu essayer de faire. Non pas que notre production soit nécessairement toujours aussi simple, mais je pense qu’à mi-chemin, on essaie d’obtenir une chanson rock émotionnelle avec une aura électronique et il y a beaucoup de groupes des années 80 qui ont fait ça très bien, donc on s’est plié à la comparaison.
Phil : Il y a souvent du bien et du mal dans vos chansons, des anges et des atmosphères sombres. Avez-vous une relation avec la spiritualité ou la
religion ?
Russell : Pas vraiment, aucun d’entre nous.
Phil : J’ai toujours la sensation que vous n’ouvrez pas la dernière porte pour comprendre ce que vous voulez délivrer. Quelque chose comme un secret ?
Ed : Non, il n’y a pas vraiment de secrets. En vieillissant, nous devenons un peu plus spirituels en termes d’intérêt pour les choses et les gens dans le monde qui nous entoure, mais c’est la nature humaine. On ne se préoccupe pas autant quand on est plus jeune, parce qu’on est juste là pour faire quelque chose de créatif, et on n’est pas vraiment conscient de ce qui se passe dans le monde. Nous ne sommes pas religieux, nous ne sommes pas anti religion, certainement pas, et nous n’avons pas de croyances que nous voulons faire passer à quiconque et certainement pas dans notre musique.
Phil : Vos vidéos sont toujours très soignées, beau travail, nostalgiques, d’une esthétique perdue de noir et blanc ou en couleur avec des corps de danseurs qui bougent simultanément. Avez-vous des références à des mouvements artistiques du passé ou à des mouvements actuels ?
Russell : Nous nous inspirons beaucoup de films et de cinéma car nous en regardons beaucoup. Et vous savez, comme toujours, le fait de vouloir faire des films...
Phil : Quel genre de films exactement ?
Russell : Ceux que nous aimons. Un large éventail de tout, du art house au nouveau Top Gun. Un peu de films noirs. Vous savez, nous prenons un peu de tout, je veux dire même le nouveau Batman est noir. Nous sommes assez dingues de cinéma.
Phil : Et des films expressionnistes ?
Russell : Pas vraiment école d’art mais nous regardons beaucoup de choses.
Ed : Ben (Benjamin) est peut-être un peu plus école d’art. Il est allé dans une école d’art, donc il a un esprit artistique un peu plus concentré sur les choses visuelles. Il fait beaucoup d’art, notamment il peint beaucoup et fait de la musique avant-gardiste avec Blanck Mass.
Phil : Il y a beaucoup de personnes qui courent dans vos vidéos. Qui est cette jeune fille qui court dans « Smokers » ?
Russell : C’était l’idée d’Arni & Kinski. Nous demandons juste aux réalisateurs d’interpréter la musique et c’est ce qu’ils ont fait. C’est donc leur vision. Quand il s’agit de vidéos, ce n’est généralement pas notre interprétation.
Phil : Parfois, on vous voit voler. Avez-vous déjà fait des expériences hors du corps (rires) ?
Ed : Une fois nous avons fait un photo shooting dans un énorme réservoir d’eau, et c’était assez cool mais légèrement effrayant. Je n’étais pas très à l’aise, mais c’était assez expérimental. Le réservoir d’eau est aussi haut que cette pièce dans laquelle nous nous trouvons actuellement et on a essayé de faire semblant de voler je suppose. C’était assez étonnant.
Phil : Les relations sociales et humaines dans l’album Violence vous semblent compliquées ? C’est en tout cas ce que l’on peut constater dans « Magazine », un monde de mensonges ?
Ed : Et bien, il y a pas mal de mensonges, surtout dans notre système politique au Royaume-Uni. Je pense que nous essayons de donner un sens à tout cela mais la vérité est que cela ne se passe pas bien. En fait, être en tournée et être loin de tout cela est un peu une bénédiction. Oui, c’est quelque chose dont nous ne sommes pas très fiers. Il est certain que sortir de l’UE était une idée horrible pour la plupart des musiciens qui partent en tournée ou à quiconque dans l’industrie musicale. Pour quoi faire ? Pour dire que vous êtes indépendants ? Pour quoi d’autre ? Ça ne me semble pas avoir de sens pratique. C’est juste une idée bizarre.
Phil : À propos, vous avez joué hier soir à l’Olympia, la place d’Edith Piaf ?
Russell : Oui, il y a beaucoup de belles photos en backstage et un bar, c’est assez grand finalement. Nous avons beaucoup apprécié.
Tanja : Il y a deux ans, vous êtes venus donner votre concert à Fribourg au Fri-son. Au fait, j’ai pris quelques photos ce soir-là, je suis actuellement l’une de leur photographe...
Russell : Oh yeah, c’est un endroit génial !
Ed : Oui oui, nous avons vraiment apprécié cette soirée !
Tanja : ouais c’est un endroit très cool…mais apparemment deux d’entre vous se sont perdus dans notre petite ville ? Que s’est-t-il passé ? (rires)
Russell : Oui, nous sommes partis pour une longue promenade et avons traversé la rivière et du coup, nous étions un peu comme si nous ne savions pas où nous allions…(rires).
Tanja : Et du coup, quelle est la chose la plus folle ou la plus drôle vécue en tournée ?
Ed : Et ben, nous sommes des gens plutôt normaux. Nous sortons juste un peu de temps en temps et généralement ensemble. Aujourd’hui, Elliot et moi sommes allés courir au bord du lac. Je me sens vraiment fatigué maintenant, mais c’était incroyable et je suis finalement content d’avoir pu le faire. Nous sommes allés là où il y a une piste de course bleue à Vidy Lausanne. Ensuite, je crois que nous avons souvent joué aux Docks...je ne suis pas sûr, peut-être six fois ? C’est aussi un endroit cool.
Nous terminons l’interview ici. Phil leur parle brièvement de Luigi Russolo (art of noise) et leur offre deux CDs. On discute encore un peu de leur scène pour ce soir avant de les laisser se préparer. Nous les remercions pour le temps qu’ils nous ont consacré et je leur demande : Alors on se revoit à Fribourg ? Ils nous disent « oh yes absolutely ! »
Tanja, Rictus Info
Editors
Edward Lay (batterie, percussions, chœurs), Russell Leetch (basse, synthétiseur, chœurs), Justin Lockey (guitare solo), Benjamin John Power (Blank mass) (claviers, arrangements ), Tom Smith (chant, guitare, piano), Elliott Williams (claviers, synthétiseur, guitare, chœurs)
Site du groupe
Playlist Docks Lausanne 16 octobre 2022
1. Heart Attack (EBM)
2. Strawberry Lemonade (EBM)
3. Bones (As End has a start)
4. Karma Climb (EBM)
5. Picturesque (EBM)
6. In This Light and on This Evening (éponyme)
7. Sugar (The weight of your love)
8. Magazine (Violence)
9. All Sparks (The back room)
10. Vibe (EBM)
11. The Racing Rats (As end has a start)
12. Frankenstein (Single inédit)
13. Nothing (Tom Smith acoustic solo)
14. All the Kings (In dream)
15. Blood (The black room)
16. Smokers Outside the Hospital Doors (As end has a start)
17. Kiss (EBM)
18. No Harm (In dream)
19. Strange Intimacy (EBM)
Encore :
20. An End Has a Start (éponyme)
21. Munich (The back room)
22. Papillon (In this light and on this evening)