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...en revenant d’Annecy 2024

Era uma vez... Lisboa no ano 2000

vendredi 11 octobre 2024 par Walter Maurel rédaction Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Il était une fois... Et une fois n’est pas coutume... D’ordinaire, on parle ici de cinéma, de théâtre, de musique, d’art... Bref, de culture... Et pour une fois, j’ai envie de sortir des cases… de faire une entorse à la règle... faire un peu tout cela mais au travers d’un lieu, une ville... une cité illustre où j’ai vécu un an en l’an 2000… et où je suis retourné il y a près d’un an, plus de 20 ans après : Lisbonne. Tranche de vie

Quand j’étais gosse, alors que d’autres partaient déjà au bout du monde, nous partions toujours en vacances en famille dans l’hexagone — sinon en Italie voisine... L’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne paraissaient déjà loin, alors le Portugal... L’UE n’existait pas encore : on parlait d’Espace Economique Européen (CEE).

La première fois que j’entendis parler de Lisbonne, c’était au collège, en cours de Français, alors que nous découvrions les mésaventures du « Candide » de Voltaire dans les précieux manuels du Lagarde et Michard. J’étais loin de saisir que cette ville existait pour de vrai : son nom sonnait pour moi comme on m’aurait dit Constantinople, celui d’une cité qui avait fait son temps et qui aurait été détruite par un tremblement de terre suivi d’un tsunami puis d’un grand incendie... le 1er novembre 1755...

Pourtant deux événements remarquables susceptibles d’éveiller ma curiosité et ma conscience avaient déjà eu lieu...

Le premier fut la chute de la dernière dictature d’Europe, celle d’António de Oliveira Salazar, le 25 Avril 1974, quand, au lieu d’exécuter les ordres de leur hiérarchie, de braves militaires choisirent de faire face aux canons afin de protéger la foule qui manifestait, menant ainsi à la Révolution des Œillets...

... un tournant de l’Histoire honorablement mis en scène par Maria de Medeiros (oui, oui, la copine de Bruce Willis dans « Pulp Fiction » !) dans son film « Capitaines d’Avril » (Capitães de Abril), sorti justement en 2000...

Le deuxième fut le nouvel incendie de Lisbonne qui embrasa le cœur de la ville le 25 août 1988 et qui détruisit de nombreux bâtiments datant de la reconstruction menée par le Marquis de Pombal suite au séisme de 1755. On trouve encore quelques vidéos d’archives de l’annonce de ces événements au journal télé de l’époque... Mais j’étais alors en pleines révisions du Bac et bien trop occupé pour prêter attention à l’actualité...

Ce n’est qu’une fois mes études terminées que, pour la première fois, j’allais m’y rendre. C’était en 1993. J’avais un mois à perdre avant mon incorporation au Service National – lequel fut obligatoire en France jusqu’en 1996... Alors je suis parti à l’aventure, seul, avec un sac à dos et mon Guide du Routard, à travers la péninsule Ibérique, et je m’en suis mis plein la vue sur 16 étapes, dont l’illustre cité fondée par Ulysse peu après son départ de Troyes... L’Exposition Universelle de Séville venait d’avoir lieu, celle de Lisbonne n’était prévue qu’en 1998, les bâtiments détruits par l’incendie de 1988 achevaient à peine leur reconstruction…

Parler d’un coup de foudre pour la capitale portugaise à ce moment là serait exagéré : chaque étape de mon périple l’était, je quittais le nid, je n’avais encore rien vu, et je n’avais qu’un jour ou deux à consacrer à chacune... Autant dire que ma 1re visite fut éclair, le temps de parcourir en vitesse :
 ses quartiers historiques : Alfama, Rossio, Bairro Alto, Baixa, Chiado, Belém...
 ses places : Praça do Comercio, dos Restauradores, da Figueira, do Marquês de Pombal, do Duque de Saldanha...
 ses belvédères : Miradouro da Santa Luzia, da Graça, da Senhora do Monte, de São Pedro de Alcântara, da Santa Catarina avec son impressionnante statue de l’Adamastor, ce géant des Tempêtes qui tourmentait les navigateurs dans les récits de Camões...

 ses jardins verdoyants providentiels : Estufa Fria, da Cerca da Graça, da Estrela

 de goûter ses pâtisseries : qui ne connait désormais les pastéis de nata originaires de l’antique Pastelaria de Belém
 ses tapas (petiscos) : croquetes, bolinhos, rissóis, ...
 ses vins et ses fromages : un seul, l’introuvable queijo da Serra da Estrela, de la montagne du même nom, un régal...
 et de découvrir la culture portugaise : le Coq de Barcelos, emblème du Portugal, qui se serait mis à chanter depuis la table où il était dressé pour le repas, sauvant ainsi un innocent condamné injustement...
 et son chant traditionnel : le Fado, révélé au monde par Amália Rodrigues

C’est pourtant une autre figure tout aussi emblématique qui éveilla mon engouement pour la culture Portugaise. En 1995 sortait en salles « Lisbon Story » de Wim Wenders. Je n’avais encore rien vu du célèbre cinéaste, aussi y allais-je ravi, convaincu de visiter de nouveau cette ville à l’écran comme lors d’une séance de Connaissance du Monde... Quelle déception !!!

Quel ennui que d’accompagner cet ingénieur du son pataud à la recherche de son ami disparu. Un tiers du film s’était déjà écoulé qu’il ne s’était toujours rien passé. Et il ne se passera rien jusqu’à la fin...

... sauf quelques moments de grâce à chaque apparition de Teresa Salgueiro du groupe Madredeus, dont la douceur, la bienveillance et la mélancolie imprègnent la pellicule. On a tort de réduire un film à ce qu’il montre, et sa BO à son accompagnement. Ici, la musique est centrale, comme si le film avait été conçu pour la mettre en valeur... et ça n’a pas manqué : dès sa parution, j’écoutais en boucle l’album Ainda, la BO du film

Je garde un souvenir impérissable du concert de Madredeus à l’Uni de Fribourg en 1996 : la voix de Teresa, exquise, douce et puissante à la fois, la virtuosité des guitaristes, la brume s’élevant dans la salle sur les notes d’« As Ilhas dos Açores », l’intensité, l’émotion, la rêverie, l’espoir, tout y était sublime... Je ne pouvais manquer de retourner les voir une deuxième fois lors de leur passage à Genève…

À mesure que se développait ma relation au Portugal s’opérait un rapprochement avec des partenaires portugais dans le cadre d’un Projet Européen sur lequel je travaillais... Et c’est tout naturellement qu’une fois le projet terminé en 1999, ceux-ci m’offrirent de les rejoindre à l’IST pour poursuivre ensemble nos travaux. Je n’ai pas hésité longtemps, tant c’était pour moi une évidence, comme si dès le départ, mon destin m’y appelait...

C’est ainsi qu’un an plus tard, je débarquais à Lisbonne avec un sac à dos, comme six ans auparavant, sauf que je n’étais plus en terre inconnue. Ce fut pour moi l’opportunité d’approfondir ma visite de la ville avec celle de :
 ses édifices historiques : Castelo de São Jorge, Mosteiro dos Jerónimos, Torre de Belém, Padrão dos Descobrimentos,…
 ses églises (on ne les compte pas !) : igreja da Sé, da Graça, de São Vicente da Fora, do Carmo, vestige du séisme de 1755…
 ses musées : Museu do Azulejo, dos Coches, da Arte Antiga où réside le célèbre triptyque de Jérôme Bosch : « la Tentation de Saint Antoine », saint patron de Lisbonne

 ses centres d’art contemporain : le Centre Culturel de Belém où j’eus, dès mon arrivée, le privilège d’assister à une sublime représentation du Alvin Alley American Dance Theater... – et la Fondation Calouste Gulbenkian où résident de magnifiques sculptures et toiles admirablement mises en valeur, et une splendide collection de bijoux de René Lalique

Dans un courrier circulaire à mes proches que j’ai retrouvé, j’avais écrit ceci :
« Dès mon arrivée, je suis retourné admirer la ville depuis mes miradouros favoris et parcourir ses rues. Mon quartier préféré demeure sans hésitation Alfama. C’est avec émotion que j’ai retrouvé le désordre de ses toits rouges, ses ruelles pavées et tortueuses, ses carrelages, ses linges pendus aux fenêtres, ses petits jardins ombragés, ses marchés à la criée, ses petites mémés courbées, ses cireurs de chaussures, ses chats nonchalants... C’est chaque fois en Alfama que je me retrouve dès qu’il fait beau et chaud.
Je n’ai pas attendu non plus pour retourner à Belém déguster ses succulents pastéis de nata, crémeux et croustillants, savoureux et chauds, dont je ne saurais vous vanter les délices avec seulement des mots. C’est pour moi plus qu’un rituel, c’est une religion ! Enfin, Lisbonne a une chaleur, une atmosphère... cette âme portugaise qui imprègne tous ses délices, ses murs d’azulejos, sa musique... Certes, Madredeus, ce n’est pas vraiment du Fado, mais leurs compositions s’en inspirent, et chaque fois que je songe à Lisbonne, c’est la voix de Teresa que j’entends, sa mélodie, sa mélancolie chantant « Lisboa » dans « Lisbon Story ». Je ne saurais conseiller d’y venir sans d’abord les découvrir... »

En six ans, cependant, la ville s’était modernisée : deux ans auparavant s’était tenue l’Exposition Universelle, livrant de grands projets :
 la construction du pont Vasco da Gama sur le Tage (Tejo), le 2e plus long d’Europe (17km), en hommage à l’illustre navigateur portugais
 le creusement d’une nouvelle ligne de métro entre Alameda et Oriente,
 la conversion d’une vieille zone industrielle située au Nord-est de la ville en une vaste esplanade, le Parc des Nations (Parque das Nações), accueillant infrastructures événementielles et pavillons d’exposition, dont le plus fascinant reste l’Oceanário et sa multitude d’espèces marines et sous-marines cohabitant dans le même bassin...

Si trouver à se loger à Lisbonne ne fut pas chose aisée, s’équiper ne le fut pas vraiment non plus : hormis quelques boutiques d’époque et de petites épiceries Pingo Doce – l’équivalent du Bon Lait chez nous – disséminées un peu partout, le centre ville n’avait pas grand chose à offrir. D’où une certaine frénésie autour de ses 3 centres commerciaux...
 Amoreiras, depuis 1985, le plus ancien, le plus petit, mais aussi le plus élégant – l’équivalent de nos Galeries Lafayette...
 Colombo, depuis 1997, en hommage à Christophe Colomb, immense, accueillant carrément un parc d’attraction au dernier étage, près des salles de cinéma...
 Vasco Da Gama, le tout dernier, qui prit place dans un des Pavillons de l’Expo’98. Il faut comprendre combien leur ouverture fut une révolution pour les locaux, le principal loisir du lisboète moyen étant d’y passer le dimanche après-midi en famille à faire les boutiques et aller au cinéma en fin de journée...

Un petit clin d’œil s’impose à l’admirable campagne publicitaire signée Kenton Thatcher déployée par l’Amoreiras Shopping Center, qui rythmait les saisons de ses affiches pop art vertes agrémentant des salades à toutes les sauces… On cultivait la laitue autour du Castelo de São Jorge, dans le temps... Ainsi nomme-t-on désormais les habitants de Lisbonne à travers tout le pays… « No Coração dos Alfacinhas » (Dans le Cœur des Petites Laitues) : on ne saurait mieux toucher au coeur... et au porte-monnaie des lisboètes...

C’est en m’égarant à la recherche du Shopping Center la 1re fois, que je suis tombé par hasard sur un monument du street art portugais : l’Amoreiras Wall of Fame, un mur de fresques vivant, évoluant selon l’inspiration des tagueurs à la façon du mur de Berlin

Mon année s’est écoulée, paisible, routinière, bienfaisante... J’ai appris le portugais, me suis fait des amis, j’ai vécu des moments privilégiés, comme d’écouter le fado d’une épicière chantant pour son quartier le soir après sa fermeture, de traverser le Tage pour me baigner dans l’océan, et voir les immenses plages de Costa da Caparica, j’ai été visiter Cascais, Sintra, Batalha, Faro, Lagos, Obidos, Coimbra, Porto, Evora, …

Et puis je suis finalement reparti suivre mon chemin ailleurs en Europe... La vie active est telle que je n’avais pas pris le temps, depuis, d’y revenir - oserai-je dire à temps ? - avant l’an passé, 23 ans après jour pour jour. Ce ne fut pas sans désolation…

Certes, la ville est toujours là, avec ses ruelles et ses monuments, et les travaux de réaménagements et rénovation l’ont indéniablement rendue plus pratique, fonctionnelle, notamment avec l’extension du métro jusqu’a l’aéroport... Hélas, l’atmosphère d’antan n’a pas survécu au tourisme de masse, à easyJet et Airbnb

Aujourd’hui, en semaine, et par tous les temps, une procession continue de touristes se bousculent de bout en bout depuis la Sé en Baixa jusqu’à Graça tout en haut. À mi-chemin, une échoppe à touristes diffuse une pop eighties tonitruante qui couvre le bruit des moteurs. Les rues sont encombrées de tuktuks enfilés les uns derrière les autres pour véhiculer les touristes flemmards. Le miradouro de Santa Luzia est si saturé qu’on n’entrevoit plus rien de sa fresque ni de ses murs d’azulejos. Il n’y a plus de grand-mères vêtues de noir nulle part, plus de linge aux fenêtres, plus de chats errants… Seul demeure encore le vieil Eletrico 28 qui peine à progresser sur ses rails encombrés de piétons…

Au centre, les échoppes à touristes tenues par des indiens ou pakistanais s’enchainent en continu, écoulant toutes exactement la même camelote massivement produite à l’étranger, sans aucun bénéfice pour les locaux… Et c’est pareil dans toutes les villes du pays, parait-il…

Fini les pastelarias où l’on grignotait et buvait son café au comptoir avec les serveurs qui criaient « bica !... » « tosta mista !... »… Fermés les étals d’épiceries qui empestaient la morue (bacalhau) séchée… Disparus les restaurants traditionnels où l’on pouvait manger toutes sortes de poissons grillés à bon prix…

Il n’y a plus que fast food, tapas, enseignes branchées et usines à touristes. L’immense halle du Mercado da Ribeira où légumes et poissons se vendaient à la criée est à présent devenue un food court tendance.

La Rua do Carmo qui avait brûlé à deux reprises est à présent la rue des grandes enseignes et des boutiques chics et trop chères.
On ne peut plus se poser au café A Brasileira sans faire une heure de queue, et les groupes se succèdent près de la statue de Fernando Pessoa pour jouer toujours la même pop anglaise vintage qu’on entend de partout…
Les immenses salles de la Pastelaria de Belém sont bondées dès l’ouverture, et la queue pour visiter l’église et le cloitre des Hiéronymites se renouvelle en continu par tout temps toute la journée sur toute la longueur du Monastère…
Adieu l’authenticité, le touriste est venu jusque là le temps d’un WE pour faire la teuf, la même qu’on retrouve partout aux quatre coins du réseau easyJet...

Oh Cristo Rei, qui domine le Pont du 25 Avril, les bras en croix, as-tu vraiment voulu cela pour ta protégée ?

J’avais songé mettre à plat tout ceci dès mon retour, mais sans doute mon article aurait-il été trop amer... Puis je me suis convaincu qu’un tel article n’avait pas sa place ici...

Enfin l’improbable s’est produit : cette année, le Festival d’Annecy rendait hommage au cinéma d’animation portugais (à lire ici). À mon arrivée, j’ai été ébloui par ces énormes azulejos suspendus un peu partout dans le hall de Bonlieu, il ne m’en fallait pas davantage pour raviver mon inspiration.
À mon retour, il ne me manquait plus qu’une chose, j’ai cherché sur internet, et j’ai enfin mis la main sur un DVD de « Lisbon Story » à prix abordable. Je l’ai finalement revu... et je loue à présent Wim Wenders d’avoir à jamais fixé sur sa pellicule l’âme de cette ville telle que je l’ai connue... un saut dans le temps... en l’an 2000....

PS : anecdotiquement, je joins ici les liens sur les 2 premiers albums de Mãozinha (Mãe d’Água/Aerosferas), groupe électro suisse-allemand mené par Liliana Ferreira, que j’avais vu en live dans la Cave du Bleu Lézard à Lausanne avant de trouver leurs CDs sur les étals de la FNAC à mon arrivée à Lisbonne...
et ici les liens sur les 2 premiers albums (Kazoo/Lustro) de l’emblématique groupe de rock portugais Clã (prononcer « Clan »), que j’eus le privilège de découvrir ao vivo lors du Gala de fin d’études sur l’esplanade du Técnico (IST)...

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