> Mag > Musique > Fred Frith & co à la buvette de Beaulieu : l’après-midi d’un drone
Cela ressemble à un rêve mais, non, c’était bien réel : Fred Frith se produisait samedi en duo avec Paula Sanchez sur un bout de scène en bois, en bordure des jardins partagés de Beaulieu. Le jeune trio de percussions expérimental Otto et Reptilian expo - pas vu par manque de temps - l’accompagnaient. La vie réserve parfois de bien jolies surprises !
Petit écrin de verdure dans la ville de Genève, convivial et dans un esprit associatif stimulant avec sa buvette, ses jardins partagés, ses cabanes : le parc de Beaulieu, c’était vraiment un très joli lieu pour un concert. Cette fin d’après-midi estivale pas comme les autres était une initiative du collectif Rotule, qui organise régulièrement des soirées autour de l’improvisation et de l’expérimentation.
Fred Frith : héraut de la guitare brute, une figure incontournable de la musique improvisée depuis les années 70. L’appélation peut induire en erreur : il ne s’agit pas ici juste d’improvisation mais plutôt d’une musique qu’on dit parfois « libre » et qui repose sur une vision très large du son et de ce qui fait musique. Tout est musique, en quelque sorte, et aussi - et peut-être surtout - ce à quoi on n’aurait pas pensé. En avant pour les surprises, donc, les oreilles grandes ouvertes !
Fred Frith joue aujourd’hui avec Paula Sanchez, violoncelliste argentine dont le jeu bruitiste très modulé n’est pas sans rappeler une version plus rugueuse d’une autre figure de la free music : Tom Cora. Ouverture sur bruits heurtés, tâtonnements, emballements, pressions maintenues puis brusquement relâchées. Ce sont des figures typiques de cette mouvance musicale mais, chez Fred Frith, ce jeu des bruits cohabite avec des approches multiples, et souvent une sensibilité folk très poétique qui est pour beaucoup dans le charme de sa personnalité musicale. Petites touches mélodiques lumineuses et inspirées aux airs de folklore imaginaire, qui irradient l’environnement sonore de leur caractère naïf, presque enfantin. La pièce improvisée que les deux musiciens créent sous nos yeux sera traversée de plusieurs de ces moments magiques. Sans compter quelques passages épiques en tapping, qui rappellent que Fred Frith a été le guitariste de grandes formations de rock progressif !
Otto, le projet qui suit, n’est pas moins digne d’intérêt. On y trouve Gabriel Valtchev, membre du collectif Rotule et d’autres formations genevoises comme Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp ou Fairuz for lunch, accompagné de deux autres percussionnistes : Camille Emaille et Pol Small. La pièce qu’ils vont jouer sur leurs tapan – sorte de grosse caisse portée en bandoulière qu’utilisent les fanfares balkaniques – est composée d’une longue première partie hyper rythmée, précise et répétitive jusqu’à l’hypnose. On se retrouve complètement immergé dans le son, collé au battement haletant, fasciné par la précision de gestes qui en deviennent presque irréels. On développe une hypersensibilité aux variations parfois minimes des motifs – décalages rythmiques, lentes dérives, son plus sec ou plus mouillé. L’ensemble finira par se désarticuler, comme un édifice qui céderait sous son poids, mais c’est pour mieux se reconstruire sous la forme d’un final magistral et solennel sur une énorme cloche de bronze. Très impressionnant.