> Mag > Musique > Otto, tambour battant
Avec Rond comme une tête de cheval, le trio de percussions Otto propose un « objet plastique sonore » à la fois exigeant et très accessible, propice à une autre expérience de l’écoute.
L’instrument, unique ou presque, du trio Otto, c’est le tapan, ce large tambour porté en bandoulière et joué avec des baguettes dans les fanfares balkaniques. C’est lui que les trois percussionnistes — Gabriel Valtchev (qu’on connaît dans Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et dans de multiples autres projets), Camille Emaille et Pol Small — explorent, oscultent et sondent tout au long des deux pièces, d’une durée de vingt minutes environ chacune, qui composent ce premier album autoproduit.
Que ce soit sur « Face A » ou « Face B », le rythme est souvent haletant, magistral, virevoltant et, lorsque les trois instruments sont à l’unisson, forme une maille dense, serrée, dans laquelle l’oreille se trouve complètement immergée. Basés sur des répétitions innombrables, les morceaux fonctionnent souvent comme de lentes dérives dans le spectre sonore de l’instrument, des aigus aigres et métalliques aux basses vibrantes et profondes. Les trois percussions, bien distinctes, délimitent un paysage sonore ample et mouvant dans lequel l’oreille perd à la fois ses repères et est guidée d’une main sûre. Tel pôle qui était au premier plan s’efface lentement et voici qu’un motif rythmique nouveau et inattendu se forme, s’étend, que d’autres viennent lui emboîter le pas et que l’ensemble, sous nos oreilles ébahies, se décompose et se recompose. Parfois le rythme s’immobilise et c’est le timbre des instruments qui migre, oscille, s’assèche ou s’humidifie dans des mouvements hypnotisants comme ceux de la flamme d’une bougie, propres à l’entrée en transe et aux visions auditives.
L’autre instrument d’Otto, ce sont les gongs ou plaques de bronze énormes que joue Camille Emaille, qui font leur entrée au premier tiers environ de « Face B ». Étranges, majestueux, comme en apesanteur, ils vont peu à peu s’imbriquer dans la danse des tambours et ajoutent encore à leur folie.
Cette musique, comme toutes les musiques dites répétitives ou minimalistes – et en particulier celle de Steve Reich à laquelle Otto doit probablement un peu –, procure une expérience d’écoute singulière, très différente de l’écoute construite par les formats narratifs habituels de type chanson. Elle est moins contrainte : si le tissu sonore est dense, l’oreille s’y meut en liberté et, au contact de ces pièces qui de prime abord peuvent sembler compactes ou austères, elle développe une attention au détail aigüe, délicate, en relation constante avec l’ensemble. On ne peut donc que chaleureusement conseiller ce groupe à la démarche très originale, dont l’effet est encore décuplé sur scène où l’impact visuel est très fort et où la sobriété des moyens mis en œuvre devient bouleversante.
Otto, Rond comme une tête de cheval (autoproduit, octobre 2024)
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