> Mag > Musique > Harmonies cérébrales dans une cabane devenue enchantée
Pierre Jolivet/P231au Festival des Cabanes
Les nombreux spectateurs du Bruit de la neige se sont grattés les méninges et la tête en écoutant la présentation du travail d’Art sonore de Pierre Jolivet au Festival des cabanes sur le site du Canyon de Montmin : Nous allions assister à une performance Mélodies Cérébrales : Voyage intérieur. Il s’agissait donc pour les membres de Rictus présent sur l’évènement d’assister à une expérience de fusion entre l’Art et la Science, rien que ça !
Dans une clairière isolée, cachée au cœur d’une forêt dense du Belvédère au Mont Bogon, s’est déroulée une performance exceptionnelle intitulée Mélodies Cérébrales : Voyage Intérieur, qui s’est tenue dans la pittoresque Cabane « Cuando las hojas caen » [1], située non loin du canyon de Montmin et du Mont Bogon et qui proposait une surface provoquant un état primitif du corps, comme une gradation entre le repos et le mouvement de l’environnement. Une cabane pour une réflexion sur « l’être », exaltant la manière dont la nature est nôtre refuge et nous abrite. Un bel endroit pour la création exécutée par le compositeur énigmatique Pierre Jolivet qui était venu en personne de Dublin pour ce concert organisé par le Bruit de la neige et Atelier Nautilus. Les spectateurs chanceux ont été invités à plonger dans le monde sonore intérieur de l’artiste, où il a créé en direct une musique utilisant les sons de son propre cerveau.
Pierre Jolivet / P231 [2] prolonge les travaux de Pierre Henry qui de 1971 à 1973 avait réalisé plusieurs concerts et disques vinyles avec le système inventé par Roger Lafosse qui, à partir d’électrodes fixé directement en contact avec le crâne de Pierre Henry permettait de traduire des ondes électriques en sons électroniques. L’appareil captaient les ondes Alpha sur l’arrière du crâne (état de relaxation, de détente, de repos), les ondes Bêta sur le devant du crâne (état d’éveil, d’attention, d’activité) et les signaux de l’arte fact liés à l’activité du globe oculaire. Ces différents signaux électriques de très faible voltage étant reliés à sept générateurs de sons électroniques, Pierre Henry devait intervenir manuellement sous forme d’improvisations musicales, grâce à des variations, manipulations et amplifications diverses. Étrange système avec lequel Pierre Henry produisit un disque O.V.N.I très synthèse modulaire et déroutant pour la gente académique : Pierre Henry « Mise en musique du Corticalart de Roger Lafosse qui dépasse les autres expériences sonores en qualité artistique [3] notamment celle d’Alvin Lucier Music for Alpha Waves (déclenchement de percussions à distance) ou plus récemment James Fung qui a tenté péniblement avec un système identique de modifier les sons de son synthétiseur. Cependant, il n’est pas interdit de prendre des risques pour faire avancer la science.
« Imaginez que vous puissiez connecter des électrodes à votre cerveau puis inviter quelques personnes chez vous et “penser” votre musique. Si vous voulez 1 000 violons vous pouvez les avoir, et si vous voulez que la contrebasse joue la partition de la flûte traversière, c’est possible aussi. » Raymond Scott – 1949
De la même manière que ses prédécesseurs, Pierre Jolivet [4] était équipé d’un casque sensoriel du commerce et d’un logiciel de transcription des données électriques cérébrales (mesurée à l’aide d’électroencéphalogrammes) qui lui permettaient d’interagir « les bras croisés » mais consciencieusement sur des sons de sa bibliothèque personnelle pour les déclencher et les déformer. Sa palette sonore produite était si envoutante qu’elles semblaient provenir de mondes invisibles. Pendant la performance tous les invités étaient rassemblés devant la cabane qui étaient en réalité un hamac, l’ambiance était chargée d’anticipation et de curiosité. Le soleil était en train de se coucher, teintant le ciel d’une palette de couleurs chaudes. Une douce brise agitait les feuilles des arbres, créant une mélodie naturelle.
Dès que les premières notes ont retenti, l’audience a été transportée dans un voyage sonore extraordinaire. Les compositions de Pierre Jolivet semblaient émaner d’une source intangible, créant des harmonies évocatrices et des mélodies enchanteresses. Mais ce qui a le plus captivé l’attention, c’était la machine complexe placée à côté de lui. Cet ordinateur réagissait à la concentration mentale du compositeur qui avec des mimiques semblait modifier le filtrage sonore de ses compositions. Il a par la suite, expliqué que cette machine était en fait un amplificateur de ses propres ondes cérébrales, transformant ses pensées et émotions en une expérience visuelle et auditive.
Au fil de la performance, il était difficile de distinguer où finissait la musique et où commençait la machine. Les sons semblaient fusionner avec les pulsations du cerveau, créant une expérience sensorielle immersive. Les mélodies semblaient émaner directement des profondeurs de l’esprit tissant une histoire complexe et envoutante. Les invités furent transportés dans un autre monde, où les frontières entre la réalité et l’imaginaire semblaient s’estomper.
La performance a atteint son apogée avec une deuxième composition complexe qui semblait transcender les limites du temps et de l’espace. Les invités se sont retrouvés plongés dans une symphonie émotionnelle, oscillant entre la contemplation profonde et l’effervescence exubérante. Les sons semblaient résonner avec les battements de cœur du public, créant une connexion intime entre l’artiste et son auditoire. Pierre Jolivet [5] eu le mérite de démystifier le dispositif sonore en expliquant toutes les détails techniques au public qui s’était approché de lui tout au long du concert, comme s’appropriant de ce fait un monde qui leur était inconnu. Les questions furent nombreuses et les spectateurs sont ressortis de la forêt avec des expressions émerveillées, partageant des discussions animées sur cette expérience unique.
Dans un dernier et troisième rappel pour des passionnés et retardataires, quelque chose de magique se produisit. Les lumières de la machine commencèrent à briller plus intensément, et la musique sembla se fondre avec les bruits de la nature environnante. Les chants des oiseaux et le murmure du vent semblaient se mêler harmonieusement à la mélodie créée par Pierre Jolivet ou P231. Cette fusion captivante entre la musique, la technologie et l’émotion a prouvé que l’art peut transcender les frontières de la réalité physique et ouvrir des portes vers les recoins les plus profonds de l’âme humaine. Faut-il parler ici de l’expérience paranormale de la relation de Rosemary Brown [6] avec Franz Liszt ? Non, ce n’est pas vraiment ni le lieu, ni le moment ! Nous attendrons le retour de vacances de Jean Pierre Girard [7] pour en discuter durant nos longues soirées d’hiver.
Finalement, la musique s’apaisa et s’éteignit doucement, laissant les invités dans un état de rêverie. Pierre Jolivet se leva et salua l’audience avec gratitude. « Mes amis, j’espère que vous avez ressenti ne serait-ce qu’une fraction de l’expérience que j’ai eue en créant cette musique. Merci de m’avoir permis de partager un morceau de mon monde intérieur avec vous… et à très bientôt pour une nouvelle performance expérimentale » ;
Les applaudissements retentirent, emplis d’admiration et de respect pour l’artiste. La performance Mélodies Cérébrales : Voyage Intérieur a laissé une empreinte durable dans les esprits et les cœurs de ceux qui ont eu la chance d’y assister.
[1] https://www.lefestivaldescabanes.com/fr/historique/2023/86-sources-du-lac-d-annecy/313-5-cuando-las-hojas-caen
[3] https://www.discogs.com/fr/release/487119-Pierre-Henry-Mise-En-Musique-Du-Corticalart-De-Roger-Lafosse