> Mag > Musique > Le concert dans le ciel
Le temps d’un instant suspendu dans le ciel, Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp s’est mué en Orchestre Tout Terrain Marcel Duchamp pour donner un concert puissant et poétique à presque 2000m d’altitude.
Il faut reconnaître au moins deux qualités au festival Cosmojazz, qui se tient chaque été à Chamonix et alentours : l’idée fondatrice, d’abord, de voir des scènes partout, des théâtres de verdure à chaque col, sur chaque alpage, chaque cirque et puis d’avoir une conception large, ouverte du jazz, au point d’accueillir de multiples musiques cousines, adjacentes, parallèles.
Ici, c’était Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, la formation genevoise emmenée par Vincent Berthollet, qui, en version XXL – c’est-à-dire avec pas moins de 12 musiciens – s’était installée sur une petite plateforme à presque 2000m d’altitude, un peu en dessous du barrage d’Emosson. Le public est calé devant la scène ou dispersé entre les blocs alentours. Derrière le groupe : 1000 m de pente. Au-delà : séracs, glaciers, parois. Ca en jette, d’autant de plus que des bancs de gros nuages enveloppent et tour à tour cachent ou dévoilent les reliefs.
Le concert s’ouvre avec « Be patient », qui est aussi le premier morceau du nouvel album We’re OK but we’re lost anyway(dont on espère reparler très prochainement). Notes tenues des violons. Suspension. Puis poussée puissante de l’ensemble portée par les cuivres, massifs, pour un morceau tout en apesanteur majestueuse, parfaitement en accord avec les volutes cotonneuses de nuages qui enveloppe le groupe et donne l’impression qu’il flotte dans le ciel.
La setlist du concert sera majoritairement constituée des titres de ce nouveau disque. L’ambiance d’un concert d’Orchestre tout puissant Marcel Duchamp ne se résume pas à l’inspiration africaine, festive et dansante du groupe. L’atmosphère est parfois contemplative, le public se fait attentif, particulièrement lors des morceaux chantés en français – « Bêtes féroces », tiré du précédent album, ou le rayonnant « Danser soi-même », presque a capella, tout comme l’excellente reprise (d’un groupe catalan dont j’ai mangé le nom ) chantée par le trompettiste. D’autres moments font la part belle à l’énergie et aux sections de guitares stridentes et distordues – partie intégrante de l’ADN punk du groupe, instants The Ex-iens qui viennent zébrer et déchirer le ciel. Le concert se conclut sur « Beginning » - concentré exceptionnel d’énergie et de vibrations positives – mon morceau préféré de l’album et, à en juger de l’entrain des musiciens (musiciennes) eux-mêmes, aussi le leur !
La musique polymorphe et engagée d’Orchestre Tout-Puissant Marcel Duchamp, on peut la voir comme une énième ramification d’un courant musical finalement assez méconnu et qui constitue une sorte de version alternative et européenne au punk.
Depuis au moins le début des années 80, avec des formations comme Dog faced hermans [1], Dawson, Kampec Dolores, Archbishop kebab, Strechheads, Badgewearer ou bien sûr The Ex et une boussole qui a toujours indiqué autant le punk que les musiques traditionnelles, le free-jazz et les musiques improvisées.
Cette lignée de groupes fantastiques accomplissait ce que le punk ne réussit qu’occasionnellement : faire du punk une musique poétique. L’histoire de ce courant gagnerait à être davantage documentée et connue – en attendant, quelle chance d’avoir un groupe de la trempe d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp à portée de main. Profitons-en !
https://www.otpmd.ch/news.html
https://cosmojazzfestival.com/
Image d’emblème prise par Charlotte Brasseau
[1] l’ancien groupe de Wilf Plum, batteur d’OTPMD mais remplacé sur cette date