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Le syndrome de Stockholm

samedi 31 octobre 2015 par Sébastien Cholier rédaction , Willy Wax rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Rencontre avec Jay-Jay Johanson avant son concert grenoblois du 14 octobre. Discussion autour de sa carrière, de ses projets, de son rapport à la France... et du sampling, avec un musicien très accessible.

Alors, pour commencer, merci de nous accorder cette interview, et bienvenue à Grenoble. Tout d’abord, pour les gens qui vous découvriraient éventuellement ce soir, pourriez-vous nous dire quelques mots sur vous-même et votre musique ? Qui est Jay-Jay Johanson ?

Oh, c’est une question difficile... alors, j’ai sorti 10 albums en l’espace de 20 ans, et ma musique est, à la base, un mélange entre des chansons jazzy et des arrangements influencés par la vague trip-hop anglaise (Mo’ Wax, Massive Attack, Portishead...). Ces deux « ingrédients » sont la fondation de tout mon travail, même si, durant ces 20 ans, j’ai tenté d’autres expériences en matière d’arrangements et de production.
Les mélodies et ma voix restent toujours plus ou moins les mêmes, tout comme les textes et les thèmes abordés, mais les arrangements ont parfois évolué, dans des directions plus électroniques ou, au contraire, plus acoustiques. Mais on a toujours gardé comme influences principales le jazz et les bandes originales de films, particulièrement en ce qui concerne la dramaturgie, qui est un élément sur lequel je travaille beaucoup. Nous essayons aussi d’inclure des instruments rares et des éléments un peu inhabituels dans la pop.

Il y a une relation très forte et très spéciale entre le public français et moi

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Avez-vous souvent joué en France ? Et, si oui, trouvez-vous qu’il y a quelque chose de spécial chez le public français ?

Nous avons commencé à jouer en France en 1997, et nous avons donné beaucoup de concerts dans la période 1997-98 et 1999-2000, plusieurs centaines de concerts. Par la suite, le reste du monde, et pas seulement l’Europe, a commencé à s’intéresser à ma musique. A partir du début des années 2000, nous sommes allés jouer aux USA, en Amérique du Sud, au Canada, en Asie, en Russie... donc entre 2001 et 2005, nous sommes moins venus en France, mais depuis 2006, je reviens en France, peut-être pas chaque année, mais au moins tous les deux ans, à chaque sortie d’un nouvel album.

Il y a vraiment une relation très forte et très spéciale entre le public français et moi, car c’est le pays où tout a commencé pour moi, du coup le public français reste celui qui connaît le mieux mon travail, je veux dire : depuis les premiers articles de presse il y a 20 ans. Ça me plaît beaucoup, et il m’arrive souvent que des gens viennent me voir en me disant « je vous ai vu jouer il y a 20 ans, c’est génial », et qu’on me souhaite de continuer pendant 20 ans de plus...

En ce qui me concerne, par exemple, j’ai toujours votre premier album, « Whiskey », en cassette ! En parlant de ça, si vous deviez choisir, dans votre répertoire, une chanson qui vous est particulièrement chère, qui vous « représente », ou la chanson que vous avez le plus de plaisir à jouer, laquelle choisiriez-vous ?

Eh bien, il y en a effectivement une que nous jouons à presque tous les concerts depuis que je l’ai écrite, et je me sentirais mal à l’aise si je ne la chantais pas. C’est une chanson que j’ai écrite à l’occasion de mon 29me anniversaire : à l’époque je vivais littéralement dans mon studio à Stockholm, j’étais entre deux appartements pendant un certain temps. On travaillait sur mon album « Poison », et ce jour-là, tous mes musiciens avaient pris leur journée, on avait décidé de ne pas travailler le jour de mon anniversaire. Du coup je me suis retrouvé seul dans le studio, pour la première fois depuis longtemps, j’ai décidé d’allumer les machines, de travailler tout seul, et le soir, j’avais fini de composer ce morceau qui s’appelle « Believe in us » (le deuxième single de l’album « Poison »). En 20 ans de carrière, cette chanson a été mon plus grand succès, pour des raisons économiques (c’est le morceau qui m’a le plus rapporté), mais aussi parce que je l’ai créée tout seul, le jour de mon anniversaire, et que j’ai mis beaucoup de moi-même dans ce morceau.
C’est mon plus grand hit, et c’est aussi un morceau qui représente ce que j’essaie de faire : des arrangements un peu mystérieux, un beat lourd, une belle mélodie...

J’ai vu beaucoup de vidéos de vos concerts, et j’avais envie de savoir ce qu’est un « bon » concert pour vous. Quelle atmosphère cherchez-vous à créer ?

C’est très différent d’un concert à l’autre. Nous avons joué dans tellement d’endroits différents, du club de jazz intimiste aux grandes salles avec un public debout... du coup, un concert reste toujours difficile à préparer.

C’est pendant le concert que tout se passe. On a toujours une petite feuille de route, avec la liste des chansons à jouer, mais on change assez souvent l’ordre pendant le concert, selon les réactions du public. C’est un peu comme pour un DJ, qui doit sonder l’état d’esprit de la salle pour pouvoir enchaîner les titres au mieux. Si personne ne danse sur sa musique, il ne peut pas continuer sur sa lancée, il doit changer d’approche. Nous faisons la même chose : nous changeons la playlist en fonction des réactions du public. Et les réactions sont plus difficiles à ressentir dans une salle où le public est assis, comme ce soir.
Après, il nous arrive de faire de très bons shows devant un public assis, mais je crois que je me sens plus à l’aise quand le public est debout : c’est plus facile pour moi d’avoir du retour. Nous avons joué aussi bien pour 50 spectateurs assis dans un petit club de jazz que dans des festivals de rock devant 25 000 personnes, et j’aime toutes ces différences de taille, d’ambiance... mon travail de chanteur, en soi, n’est pas différent, mais je dirais que ce qui change, c’est l’énergie déployée par mon groupe selon la salle où nous jouons.


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Chaque fois est une première fois, en quelque sorte ?

Tout à fait, dans le sens où jusqu’à présent, même si nous jouons depuis 20 ans, nous ne nous sommes jamais enfermés dans une routine. Il y a toujours une certaine anxiété quand on se lance sur scène et qu’on se livre au public. Et même si on a fait ça toute sa vie, on sentira toujours cette poussée d’adrénaline, cette impression de se jeter dans l’insécurité. C’est presque une addiction, car quand on a commencé à monter sur scène, c’est très dur de s’arrêter ! Tout ce que vous voulez, c’est recommencer, encore et encore, même si ça peut être dangereux, et c’est ce qui m’intéresse, j’adore ça !

Au début de cette interview, nous avons discuté de l’influence des musiques de films et de votre rapport à la France, et j’ai découvert que sur votre album « Whiskey », pour le premier morceau, « It hurts me so », vous aviez utilisé un sample tiré d’une B.O. française [1], et je voulais savoir : y a-t-il des artistes français que vous aimez particulièrement écouter ?

À vrai dire, avant mon premier album, je n’écoutais pas beaucoup de musique française, car il n’y avait pas beaucoup d’importations musicales françaises disponibles en Suède.
Quelques chansons françaises ont connu du succès, comme « Je t’aime moi non plus » de Serge Gainsbourg, qu’on pouvait entendre à la radio. Mais je crois que tout a vraiment commencé avec mon amour pour les musiques de films (quand j’étais petit, j’écoutais les B.O. des films de James Bond), et ça m’a permis de découvrir Francis Lai, Michel Legrand... Mais c’est vraiment lors de ma première venue en France, en 97, que j’ai découvert plein de compositeurs, de chanteurs... et plus je me déplace en France, mieux j’apprends à connaître la scène française et son histoire. Ce que j’ai apprécié très tôt et qui a stimulé ma curiosité, c’est la musique psychédélique française, fin des années 60-début des années 70, c’était assez dur à trouver. Je me suis aussi beaucoup amusé à découvrir ce qu’en Allemagne on appelle le Kraut-Rock, et son équivalent ici en France, et plein de musiques planantes locales...

pierre Henry [2] a été pas mal samplé, par exemple...

Oui, bien sûr ! J’ai aussi des albums géniaux de gens comme... Olivier Bloch-Lainé, je crois, ou Alain Markusfeld, plein de magnifiques compos des années 60-70

Avec Robi Guthrie nous travaillons sur quelque chose qui pourrait sortir à l’automne 2016

Une autre question... à Rictus, nous aimerions connaître vos projets à venir. Pourriez-vous nous en dire deux mots ?

En ce moment, nous faisons une tournée qui se poursuivra jusqu’au mois d’avril prochain, minimum. Ensuite, au printemps 2016, mon album « Whiskey » fêtera ses 20 ans, alors nous allons sortir une édition anniversaire, pour la première fois en vinyle, et nous donnerons une série de concerts où nous le rejouerons, tout en incluant des « surprises » trip-hop, ce sera sympa. Voilà mes projets pour l’année prochaine.
Je travaille aussi sur mon prochain album : j’ai fait une chanson avec Robin Guthrie, des Cocteau Twins. Nous avions déjà travaillé ensemble en 1998, pour deux chansons de mon album « Poison », et nous travaillons sur quelque chose qui pourrait sortir à l’automne 2016, et bien sûr, je travaille de mon côté pour cet album, que je prévois de sortir en 2017, donc oui, je continue (rires)

Et c’est ce qu’on vous souhaite ! Est-ce la première fois que vous visitez Grenoble ?

Non, j’ai déjà joué une fois à Grenoble, je crois que c’était en 1998, ou en 99, mais je n’étais pas revenu depuis. Nous sommes repassés dans la région, dans les alentours, il y a 2 ans, je me souviens des paysages, je les trouve très beaux.

Un dernier mot, en français peut-être ?

Eh bien, je suis marié à une Belge, donc mon français s’améliore d’année en année, même si on se parle encore en anglais, mais (en français :) je comprends presque tout, mais je ne parle pas bien, et quand je parle, c’est seulement au présent, je suis nul en imparfait et en futur (rires)

Ça aide à mieux saisir l’instant présent. C’était ma dernière question, merci encore de nous avoir accordé cette interview, et nous vous souhaitons plein de bonnes choses pour le concert de ce soir.

Merci, merci beaucoup.

Portfolio

Notes

[1ndlr : «  Plus fort que nous  », par Francis Lai, sur la B.O. de «  Un homme, une femme  »

[2ndlr : l’auteur de la «  Messe pour le temps présent  », notamment du fameux «  Psyché Rock  »

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