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Stephen O’Malley est connu pour être l’ambassadeur du drone-metal et mener ses guitares distordues, en solo ou au sein du groupe Sunn O))), aux frontières des musiques contemporaines et expérimentales. Une résidence, aux côtés de la compagnie de danse Greffe de Cindy van Acker, de l’artiste électronique Kaly Malone et des percussionnistes d’Eklekto, a donné lieu à une version augmentée de sa pièce Les sphères (effondrez-les).
Minimaliste, répétitive, immersive. La musique de Stephen O’Malley, enrichie ici par les sonorités électroniques, est construite sur un accord se déployant inexorablement et ne fait appel, de manière évidente, ni au rythme, ni à la mélodie. Forcée de trouver ailleurs ses repères, l’oreille est d’abord frappée par la richesse de la matière sonore rugueuse dans laquelle elle se trouve plongée, son grain et les variations infinies et chaotiques de son agencement. Son assise dans les basses profondes, sa puissance tellurique, lui confèrent une ampleur de cathédrale. Lent, massif, grave, solennel : le bourdon qui enfle, se développe et dérive ce soir-là entre les hauts murs du Pavillon de la danse a des airs de rituel sombre.
Au centre de la grande pièce carrée, dans la lumière blanche et crue d’un éclairage au néon, le groupe des danseurs de la compagnie Greffe semblent se mouvoir sous l’emprise de cette matière sonore imposante. Ils tombent, trébuchent, tournent sur eux-mêmes, comme s’ils n’en finissaient pas d’être l’objet de forces invisibles, comme sous le coup d’une déflagration au ralenti. Un ballet chaotique aux airs de danse butō, mais dont les corps flottants, partagés entre attraction terrestre et élévation vers la lumière, dégagent aussi une impression d’apesanteur. Une légèreté de plume, inespérée, qui fait pendant à la lourdeur ambiante, à la matière pesante, lui résiste, la sculpte et parvient même à lui imprimer sa marque délicate.
Lorsque ce corps à corps prend fin, les lumières s’éteignent et les longues notes, les sonorités tenues et cristallines que les membres d’Eklekto tirent de leurs percussions métalliques prennent le relais. Un tintinnabuli ténu, en écho au fracas qui a précédé, qui vient clore cette pièce très contemplative, aux contrastes extrêmes.