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Le lac des cygnes du Ballet Preljocaj à Château Rouge
La création de 2020 Le Lac des cygnes pour 26 danseurs était présentée de nouveau le 9 février 2022 à Annemasse au Château Rouge. Il fallait oser revisiter le ballet le plus connu au monde et le défi est magnifiquement relevé par le chorégraphe de Blanche Neige, Angelin Preljocaj. Il y avait pendant ces deux heures de plaisir et de vibration un parfum enivrant de sensualité sur scène avec une calligraphie de corps, magnifiée par les couleurs des costumes d’Igor Chapurin et les vidéos de Boris Labbé.
Le ballet original dont s’inspire Angelin Preljocaj est un monument du répertoire du ballet classique. L’intrigue s’inspire d’un conte allemand, Le Voile Dérobé. Sur un livret de Vladimir Petrovitch Beguitchev et Vassili Gueltzer et une musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, Le lac des cygnes a été créé à Moscou pour le Théâtre Impérial (Bolchoï) en 1877.
Dans une interview, Angelin Preljocaj avoue que Le Lac des cygnes est comme le Mont Everest : « C’est escalader une montagne magique mais à la fois terrifiante… ». Le spectateur doit retrouver en effet l’aventure amoureuse, l’histoire de cet amour impossible entre un prince terrestre et une princesse-oiseau, ballerine par excellence, l’ambiance de mystère du conte d’origine, mais aussi de nous reconnecter sur les enjeux de notre société. Pour cela, Angelin Preljocaj transpose le palais royal dans un univers contemporain, un quartier d’affaires qui aurait cette âme du double maléfique. Un PDG souhaite implanter au bord d’un lac une nouvelle usine et Siegfried, son fils, s’y oppose.
Le lac des cygnes d’une eau très précieuse devient multicolore comme une palette de peintre en manque d’oxygène et annonce la destruction d’une matière première essentielle pour l’humanité. Il y a une interrogation sur notre avenir et notre responsabilité par rapport aux futures générations, nos descendants, nos enfants. Les petits cygnes sont très vifs et remplis de légèreté, comme dans le ballet classique mais ce sont aussi des animaux qui pourraient être en voie de disparition comme beaucoup d’autres aujourd’hui.
Serions-nous victimes nous-mêmes d’un sort jeté par un entrepreneur véreux et sorcier à ses heures tel Rothbart qui découvre dans le ballet un gisement d’énergie fossile aux abords du lac et cherche à exploiter ces terrains ? Sommes-nous responsables de la situation écologique actuelle ? Record de chaleur, multiplication des catastrophes météo, fonte des glaces, déclin de la nature … Comment pouvons-nous réparer ? C’est une des questions posées par le chorégraphe dans son ballet.
Mais Le Lac des cygnes est également une histoire de psychanalyse, un sujet de notre intérieur. le Prince Siegfried (Laurent Le Gall) doit choisir une épouse lors d’un bal organisé par ses parents. Il part donc la nuit dans une forêt où il tombe sur une créature délicieuse (la très belle Théa Martin), un cygne blanc qui se transforme en … princesse (Odette), conséquence d’un sort du redoutable sorcier, Von Rothbart (le terrifiant Antoine Dubois). Le lendemain, le Prince Siegfried danse avec la jumelle Odile, vêtue de noir, fille du sorcier, et lui déclare son amour condamnant sans le savoir Odette à rester un cygne pour l’éternité.
D’ailleurs Noureev exprime en ces termes son interprétation du livret : « Le Lac des Cygnes est pour moi une longue rêverie du prince Siegfried […]. C’est lui qui, pour échapper au destin qu’on lui prépare, fait entrer dans sa vie la vision du lac, cet “ailleurs” auquel il aspire. Un amour idéalisé naît dans sa tête avec l’interdit qu’il représente. Le cygne blanc est la femme intouchable, le cygne noir en est le miroir inversé. Aussi, quand le rêve s’évanouit, la raison du prince ne saurait y survivre. »
Dans la proposition d’Angelin Preljocaj, les décors, la lumière, la musique, le cinéma, tous ces médias participent à rendre une atmosphère de cérémonie de sorcellerie, « La danse ne peut pas ne pas se souvenir qu’elle est née rituel », a dit Maurice Béjart. Certaines scènes de groupe ressemblent un peu à du Crystal Pite (Body and Soul) ! Les décors notamment l’assemblée d’hommes en noir m’ont rappelé les films expressionnistes allemands de Fritz Lang (Metropolis), les costumes des cygnes sont très réussis et j’adore leurs tutus asymétriques esthétisés mus par le désir d’Éros de Marylin Monroe (mais en brune) ! Quant à l’ajout d’une musique techno (Collectif 79D), je militerais plutôt pour l’utilisation d’une musique acousmatique de Denis Dufour, sensuelle et plus expressive pour des émotions complexes.
« Le monde du Lac est celui du mystère, du fantasme, de l’érotisme à travers les cygnes. » nous annonçait Angelin Preljocaj dans un songe. Mon rêve est devenu réalité, son lac des cygnes est devenu un rendez-vous incontournable de la danse contemporaine.
Distribution :
Danseurs
Lucile Boulay, Celian Bruni, Elliot Bussinet, Zoé Charpentier, Baptiste Coissieu (Père de Siegfried), Leonardo Cremaschi, Mirea Delogu, Lucia Deville, Antoine Dubois (Rothbart), Clara Freschel (Mère de Siegfried), Isabel García López, Jack Gibbs, Mar Gómez Ballester, Naïse Hagneré, Verity Jacobsen, Jordan Kindell, Beatrice La Fata, Laurent Le Gall (Siegfried), Théa Martin (Odette/Odile), Florine Pegat-Toquet, Agathe Peluso, Mireia Reyes Valenciano, Simon Ripert, Manuela Spera, Micol Taiana, Khevyn Sigismondi
Chorégraphie Angelin Preljocaj
Musique Piotr Ilitch Tchaïkovski
Musique additionnelle 79D
Vidéo Boris Labbé
Costumes Igor Chapurin
Lumières Éric Soyer
Assistante répétitrice Cécile Médour
Choréologue Dany Lévêque