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AMR Jazz Festival 2024

Que ce chant soit sans fin

samedi 13 avril 2024 par Anatholie photographie , Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Retour sur une soirée éclectique de l’AMR Jazz Festival qui réunissait le voyage aux paysages changeants du duo Aufzug ! et de l’accordéoniste Mario Batkovic et le jazz hybride du Nduduzo Makhathini trio, d’une beauté à couper le souffle.

Aufzug ! : attention, départ imminent ! L’ascenseur est bondé et, lorsqu’on arrive, on doit se contenter d’une place en fond de salle ou debout, derrière la console et le public venu en nombre. Le duo Aufzug !, formé de deux batteurs — la genevoise Béatrice Graf et Dormi Chansorn de Zurich — invitait le fameux accordéoniste bosniaque mais établi en Suisse de longue date, Mario Batkovic.

Aufzug ! et Mario batkovic
Aufzug  ! et Mario batkovic
Anatholie Music Photography

La musique du duo est forcément très percussive, d’autant que, en fait de batterie, Béatrice Graf joue sur des objets et ustensiles divers disposés sur une table, aux sonorités variées, bricolées et ludiques. Ce sont donc de longues plages très rythmées agrémentées de synthés qui défilent, lancées à pleine allure, sur lesquelles l’accordéoniste pose le souffle puissant de son instrument ou fait miroiter ses motifs impressionnistes, serrés, virevoltants. Le rythme soutenu et imperturbable, le chant de l’accordéon et le développement linéaire des morceaux évoque irrésistiblement un voyage un peu kraut-rock et psyché, accentué par l’utilisation d’un instrument à archet, dont Batkovic tire des sonorités qu’il retraite ensuite. Avec sa carrure de docker, sa mèche rebelle et son regard pétillant de malice qui cherche constamment celui de ses partenaires, il incarne un plaisir de jouer très communicatif. Le trio terminera sous les applaudissements avec deux petits rappels, dont un court morceau tout en rim shots explosifs, très réussi.

Nduduzo Makhathini trio
Nduduzo Makhathini trio
Anatholie Music Photography
Anatholie Music Photography

C’est le nom de Mario Batkovic qui nous avait attirés ici et et c’est depuis le bar que nous entendons distraitement les premières notes du concert suivant. C’est léger, fin, aérien même. On s’approche. La musique est très vive, joueuse. Des arpèges scintillants façon Debussy sont soudain barrés par de gros accords, qui viennent assombrir l’horizon et peuvent eux-mêmes se développer en des volutes d’improvisations improbables, sur le fil escarpé de crêtes dissonantes. Entre le pianiste qui conduit et le contrebassiste et batteur qui donnent une réplique enlevée, on sent une connexion constante. Il y a des regards, des sourires, des éclats de rire, de voix, de surprise. Pas une connivence de musiciens qui pourrait mettre à distance : le trio est incroyablement naturel et fait immédiatement plaisir à entendre et à regarder.

Et puis apparaît le chant. D’abord une voix profonde en langue zoulou, parlée-scandée, puis la voix de tête, des mélodies d’inspiration encore plus nettement africaine. Un chant complètement surprenant, qui tient à la fois de l’invocation inspirée, mystique, et de la mélodie évidente, entraînante, limpide. Il se superpose à cette musique fluide tout en en restant distinct, la rend encore plus présente.

Découvrir une musique, la comprendre, ressemble à une chimie et il y a ce moment où, tout à coup, les éléments interagissent, la solution précipite. Ce qui était appréhendé séparément, de manière disjointe,

Anatholie Music Photography

éparse, prend corps et forme un tout qui fait sens. C’est comme une épiphanie, qui produit une impression de décollage, une fluidité inédite de l’écoute. Il n’y a plus les arpèges légers d’un côté et de l’autre le groove de la section rythmique, les improvisations cubistes abruptes tendant vers l’abstraction et le chant étonnant mais un ensemble liquide, où tout cela est possible en même temps et coexiste en harmonie. Avec beaucoup de tranquillité et un naturel déconcertant, ce jazz réussit le tour de force de marier les contraires, il vous réconcilie les deux sphères du cerveau, tient le monde entier dans sa main. Mes intérêts musicaux actuels ressemblent parfois à la quête d’un idéal, impossible, qui concilierait l’exigence des approches qu’on appelle savantes et l’émotion, l’évidence qu’on attend tous de la musique. Et voici que ce que j’entends ce soir s’en rapproche, m’apparaît comme un exemple magnifique et inespéré !

Dans le public, la ferveur est montée d’un bon cran. Chaque morceau est maintenant salué par de vifs applaudissements. Le pianiste abandonne un moment son instrument, se retourne vers nous et se lance dans un long discours inattendu sur le sens philosophique et politique de sa musique. Le sourire est toujours là, le débit est rapide, il y a des accélérations, des pauses, un rythme, un souffle. Cette improvisation-là ressemble beaucoup au jazz qui se joue et semble participer d’une même vision poétique.

Mais ce n’est que pour reprendre de plus belle, avec une salle désormais totalement acquise et qui applaudit chaque morceau à tout rompre. Après le salut final, les applaudissements et les cris ramèneront les musiciens sur scène et le pianiste expliquera en riant le concept de long song : de « chanson longue » – ou de « chant infini » ? Autrement dit : on peut durer vraiment longtemps. « All night long ! », s’écrient des voix dans le public. Et le groupe de repartir de plus belle, devant un public galvanisé, maintenant vivant et très animé.

Il y aura comme un fondu enchainé entre la fin du concert et les moments d’après, qui sembleront encore vibrer de la musique incroyable de ce trio, dont le batteur se nommait Francisco Mela, le contrebassiste Zwelakhe Duma Bell le Pere et le pianiste, compositeur et chanteur Nduduzo Makhathini. Ils ont reçu de nombreux prix et se produisent dans de très grands festivals. Les voir dans cette salle aux dimensions humaines et à l’atmosphère intimiste était une fête.

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