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Guitare en scène 2018

Rencontre avec Joe Satriani

lundi 23 juillet 2018 par Anatholie photographie , Jean-Pierre Biskup rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Le célèbre guitar hero américain Joe Satriani était jeudi 19 juillet 2018 au festival Guitare En Scène à Saint-Julien-en-Genevois pour un concert où il a notamment partagé la scène avec Doug Aldrich (Dead Daisies, Whitesnake, Dio…) et Uli Jon Roth (Scorpions, Electric Sun…).

L’occasion était belle de rencontrer le maestro et d’avoir une discussion autour de la musique, et de la guitare bien sûr !

La rencontre avec un musicien et guitariste d’une telle envergure est exceptionnelle. Il a joué et collaboré avec bon nombre de grands artistes et de grands groupes, et sa carrière en solo l’a placé dans les sommets du monde de la guitare. Il est un des plus grands noms de la guitare, tous styles confondus, pas seulement en rock. Une légende de la guitare, tout simplement. L’interview se déroule avec la collaboration de United Rock Nations représenté par Laurent Sage (accompagné de Myriam Perret). Voici donc une interview à plusieurs voix : bien sûr celle de Joe Satriani dans la place de l’interviewé, et celles des intervieweurs Laurent (pour United Rock Nations) et votre serviteur écrivant ces lignes (JP pour Rictus Info).

JP : Bonjour et bienvenue, c’est un grand honneur et un grand plaisir de vous rencontrer. Pouvez-vous parler de votre dernier album ?

What Happens Next est le titre de mon album le plus récent. Cet album est la représentation d’une renaissance, d’un changement créatif qui est vraiment arrivé. Il arrive après le précédent album Shockwave Supernova et le tournage par mon fils d’un documentaire sur la tournée qui a suivi. Cet album particulier était à propos d’une longue histoire, d’une sorte de fiction avec une personne très timide qui devait être en public tout le temps. À la fin de la tournée, je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment une fiction, et que cela était plus proche de la réalité, que c’était plus vrai que ce que j’avais imaginé au début. Je pense que c’est mon fils qui a trouvé la narration de ce film documentaire en m’observant à travers différentes phases de création avec ses difficultés, quand je cherchais à faire autre chose que ce que j’avais fait avant, en cherchant quelque chose de nouveau.

Cela m’a ramené à mes débuts, à mes premières influences, à mes racines, à ce qui a fait que je suis tombé amoureux de la musique rock et de la guitare rock, et ça a été la base de What Happens Next. Le titre vient de la question que je me posais à ce moment-là : « What happens next ? » (rires). La musique répond finalement d’elle-même à la question.


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L’interview
Laurent Sage face à JS
© Myriam Perret

Laurent : Etes-vous conscient d’être un modèle pour beaucoup de guitaristes, et est-ce que cela vous impose certaines conditions ou de la pression quand vous enregistrez un album ?

Non, je ne pense pas. Je pense que la personne la plus difficile à convaincre et faire plaisir est moi-même. Je suis très critique.
Émotionnellement cela n’a pas de sens, car il est tellement difficile de faire un album. L’album existe dans le monde réel, mais pendant presqu’une année avant c’est un ensemble de sentiments et d’émotions, et quand il sort c’est différent de tout ça et de ce qu’on avait imaginé, c’est juste un petit CD. Un album est une réduction de toutes ses idées et ses sentiments. Pour un artiste ce qui est le plus difficile c’est de se préparer soi-même pour la complète réduction de tous ses sentiments et de toutes ses idées en 45 minutes ou 10 chansons (rires).
La bataille n’est pas à propos de ce que les gens vont en penser, mais c’est interne, une bataille à l’intérieur de soi.

JP : Les gens qui vous suivent aiment votre carrière en solo, mais aussi vos différents projets et différentes collaborations, comme le G3 et Chickenfoot par exemple. Où en êtes-vous dans ces projets, et avez-vous d’autres collaborations dans votre esprit ?

Je pense que ces dernières années, j’espérais vraiment enregistrer un nouvel album avec Chickenfoot. Mais on ne sait jamais ce qui va arriver. Pour l’instant ce n’est pas d’actualité. J’espère faire quelque chose avec Glenn Hugues cette année, mais ça sera sûrement reporté à plus tard. Actuellement je pense surtout à ma musique en solo, encore plus de musique en solo et différents projets liés à cela.

Laurent : Votre soif de découverte ne s’arrête jamais, pouvez-vous être satisfait, n’est-il pas trop difficile d’être un perfectionniste ?

(Rires) Je ne pense pas être perfectionniste, mais je suis en constante recherche de quelque chose. Tous les jours je me réveille et je pense à de la musique. Je pense que tous les artistes sont comme ça. Ils sont attirés par ce qui est inconnu. Cela fait partie de la nature d’un artiste. C’est ma façon de vivre depuis que je suis un jeune adolescent, j’ai toujours agi de cette manière, ça me paraît assez naturel.


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Joe Satriani, Doug Aldrich, Uli Jon Roth
Guitare en Scène@St-Julien Genevois, juillet 2018
© Anatholie Music Photography

JP : Je me souviens d’avoir lu quelque chose dans la presse il y a quelques années à propos de Steve Vai et vous concernant un possible projet en commun. Pensez-vous composer et enregistrer ensemble un album un jour ?

Oui je pense, mais on ne sait pas quand ça se fera. C’est vrai que Steve et moi nous jouons des genres de musique assez différents, avec des manières de créer et de travailler différentes… Mais on se rejoint dans le fait qu’on sent qu’on a beaucoup de musique à créer mais qu’on a peu de temps pour le faire. Nos vies sont faites pour accomplir toute cette musique, et il est difficile de trouver du temps. Cette question vient surtout de l’extérieur, car nous avons déjà beaucoup joué ensemble depuis que nous étions gamins, nous ne ressentons pas spécialement le besoin d’enregistrer un album ensemble.

C’est surtout le monde extérieur qui demande ce projet. Je joue avec Steve depuis que j’ai 15 ans, ce n’est pas comme si nous n’avions jamais fait quelque chose ensemble. Et nous avons tellement joué ensemble de manière professionnelle sur scène. Ce n’est donc pas aussi important que nos désirs intérieurs pour nos projets musicaux en solo… Mais on garde ça dans un coin de nos têtes, on en a déjà discuté, et pourquoi pas partir de quelques idées de chacun d’entre nous deux et de développer ça… J’ai parlé à Steve il y a deux jours de cela, il est bien occupé, comme moi !

Laurent : Gibson est en banqueroute, et dit que cela est à cause du fait que de moins en moins de gens jouent de la musique avec de vrais instruments de musique et en achètent de moins en moins. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est une histoire particulière et plus complexe que ça. C’est vrai en partie en un sens. Aujourd’hui, beaucoup de gens dépensent plus d’argent avec un téléphone portable et tout ce qui va avec. L’idée d’abonnement n’a plus de sens. Concernant les albums, l’argent qui servait à les acheter est désormais utilisé avec le téléphone portable qui contient en lui-même différents médias et supports pour le divertissement. Cela a eu un impact sur la société. De plus en plus de gens font cela au lieu de prendre une guitare.


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JP et Laurent Sage avec Joe Satriani
GES 2018
© Myriam Perret

Mais l’histoire de Gibson est une toute autre histoire que ça, c’est surtout celle de l’échec de la direction d’une entreprise qui ne pouvait pratiquement pas être tuée. Sa légende est si forte, ses instruments sont merveilleux, les gens qui travaillent pour Gibson sont de merveilleux artisans qui fabriquent de superbes instruments. La manière dont le directeur de Gibson a tué cette entreprise est un miracle ! C’était quasiment impossible de tuer quelque chose d’aussi fort ! Mais il a réussi à ruiner cette entreprise, notamment en vendant trop de choses dont les gens ne voulaient pas. Il a acheté différentes entreprises pour faire des produits dont les gens ne voulaient pas, et il a cherché à obliger ses partenaires, les magasins de musique, à commander toutes ces choses dont personne ne voulait.

Quand il se plaint que moins de personnes veulent acheter de guitares, il faut préciser que ce sont ces dernières guitares dont personne ne voulait. Ce n’est pas le cas des classiques Les Paul, SG, ES-335… Par contre personne ne voulait de ces guitares comme la Robot Les Paul avec son système d’auto-accordage. Tout le monde peut accorder une guitare, ce n’est pas un problème. Pourquoi il a voulu faire des guitares dont personne ne voulait au lieu de faire des guitares que les gens voulaient, c’est un total mystère. Il a lui-même ruiné l’entreprise.

Le problème aujourd’hui pour les magasins de musique est que trop de fabricants d’instruments font trop d’instruments. La façon dont les fabricants forcent les magasins de musique à commander en grand nombre leurs instruments ruine le business. C’est comme si nous avions chacun un magasin de musique et que l’on voulait vendre quatre Les Paul, mais la direction de Gibson nous oblige chacun à commander vingt Les Paul dont dix d’entre elles sont des Robot Les Paul avec leur système d’auto-accordage… Cela n’est pas possible ! C’est comme une histoire derrière l’histoire.

JP : Quelle est votre définition de la musique ?

(Rires) C’est du bruit et du temps, dans sa définition, son niveau le plus simple. Peu importe le nombre de notes. La musique qui a du succès est celle qui touche le cœur des gens. Il y a plein de musique partout, mais elle n’a pas toujours du succès et ne touche pas forcément les gens. Il y a nourriture et nourriture, il y a temps et beau temps, dans la musique je pense que c’est à peu près pareil. Il y a plein de gens qui font des bruits et qui les mettent dans du temps (rires). Mais seulement une poignée de gens savent ce qu’ils font, s’enregistrent, s’écoutent, se réécoutent, jouent et rejouent. Je pense que la musique est une chose très puissante avec laquelle les humains sont venus. Je pense que cela change la culture. C’est une formidable chose pour nous aider à essayer de comprendre pourquoi nous sommes ici.

JP : Merci Joe !

  • JP avec Joe Satriani
  • JP et Laurent Sage avec Joe Satriani
  • JP et Laurent Sage avec Joe Satriani
  • L'interview

(Merci pour l’interview à Joe Satriani bien sûr, au festival Guitare En Scène, au Bureau de Lilith chargé des relations avec la presse, à United Rock Nations avec Laurent Sage et Myriam Perret. Merci également à Emmanuelle Nemoz pour les photos de concert.)

 

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