> Mag > Musique > The Limiñanas et la fée électrique
Je retourne enfin à Grenoble pour voir un concert d’un de mes groupes rock préférés The Liminãnas à la Belle électrique, salle qui ressemble à l’Olympia et me rappelle la peinture de Raoul Dufy avec ses murs que l’on voit éclairés au loin comme une invitation à la lumière du son.
J’apprécie particulièrement cet endroit dédié à la musique amplifiée avec ses terrasses extérieures où on peut boire un verre dans le silence de la nuit froide et se refaire une petite oreille souvent maltraitée par le niveau sonore low fi des groupes de rock ou techno.
Lionel et Marie Limiñana, duo de Perpignan, couple à la ville comme à la scène, se sont rencontrés au Lycée. Ils ont formé en 2009 « The Limiñanas » après avoir eu plusieurs activités musicales comme disquaires spécialisés en musique garage-punk. C’est avec la mise en ligne sur Myspace de deux morceaux (« I’m dead » et « Migas 2000 ») qu’ils se font repérer par des labels américains. Je les connais depuis 2015 grâce à un album avec le pianiste et compositeur catalan Pascal Comelade [1].
Première surprise à Grenoble, le groupe arrive sur scène avec pas moins de 7 musiciens… Dès les premières notes, on ressent que la musique sera psychédélique avec une rythmique et un geste musical mis en boucle jusqu’à atteindre un état hypnotique : « Tu tournes en boucle ».
Leur musique pourrait être définie comme un mélange de répétitifs américains (Philip Glass, Steve Reich), de Krautrock allemand (Faust, Can) et de rock n’roll (The Kinks, The Cramps, The Stooges, Jesus and Mary Chain…).
Néanmoins, le texte, les voix, les rapprochent également du côté de la scène yéyé de Jacques Dutronc, il y a des récits d’amour surréalistes et romantiques qui sont racontés et les paroles sont chantées de manière spoken word : « La plus belle fille, la plus chouette que j’ai jamais vu ouvrit la porte, et me sourit. Ce qui se passa ensuite ? Je marchais dans la rue de l’ange c’était déjà trop tard, j’étais fou amoureux d’elle ». Évidemment nous sommes loin du dramaturge Tchekhov mais ils se veulent « élémentaire mon cher Watson » comme une bande dessinée des années 60, alors circulez il n’y a rien à comprendre, The Limiñanas c’est juste la liberté de se lever et de partir : « Oye tu, ven a mi… Que quiero verte y olerte ».
Et pourtant, Lionel Limiñanas avoue que les textes c’est ce qui lui prend le plus de temps, il faut faire simple mais aussi éviter le ridicule, trouver les mots justes qui touchent. Mais bizarrement, je me pose une question sans doute débile, pourquoi chante-t-il en espagnol et en français mais pas aussi en catalan… Et ce public de vieux ringards dont je fais partie qui dansent comme des gamins, ils sont où les vrais adolescents ? Les jeunes n’aiment-ils que du rap, questions pour une prochaine interview.
Marie est devant la scène, précisément au milieu, elle utilise une batterie minimaliste composée d’une grosse caisse, d’un tom basse, et d’une caisse claire … pas de tom, pas de cymbale, pas de charleston.
Le jeu est syncopé, la frappe est tribale mais puissante menant tous les garçons du bout de sa baguette. Iggy Pop a déclaré un jour, à propos des femmes : « Aussi intimes qu’on puisse devenir, je les laisserai toujours tomber. C’est de là que vient ma musique ». Tout le contraire avec les Limiñanas, Marie et Lionel montre leur complicité de jouer de la musique ensemble, ils ne font que se chercher du regard et participent à la rébellion de la femme dans le rock.
Leur conception du rock est un voyage de sons rythmés de guitare fuzz, ondulants comme des serpents, iridescents et transcendants comme la lave qui sort du volcan.
Et toujours, on retrouve dans toutes leurs compositions ce désir de mouvement de pure vitesse au cœur de l’extase. Depuis le balcon en buvant une dernière bière, j’ai même eu une vision du film de Fritz Lang Metropolis, hallucination d’un groupe se transformant en Moloch, divinité pour laquelle nous, public, serions sacrifiés par un virus malhonnête… C’est là qu’elle me donna son cœur ! passé ce délire de transe d’avion supersonique, je me retrouve de nouveau dans la caravane de Juliette où Saul vient de se faire planter ! On ne joue pas sans conséquence le mythe d’Orphée allant chercher Eurydice en enfer dans une discothèque de série Z.
Marie et Lionel Limiñana sont des gens qui ont le goût des autres. Ils aiment collaborer avec d’autres artistes et les aventures sont nombreuses. Et c’est dans un esprit de partage qu’ils produisent des musiques avec Emmanuelle Seigner, Bertrand Belin, Eduardo Henriquez, Anton Newcombe (The Brian Jonestown Massacre), Pascal Comelade ou encore Peter Hook (Bassiste de Joy Division, New order), Ivan Telefunken (Bel Canto Orchestra).
Le dernier disque De Pelicula réalisé en collaboration avec Laurent Garnier est un disque de studio qui s’éloigne des bricolages du home studio des débuts mais tout cela conserve néanmoins une certaine fraîcheur d’adolescents amateurs de comic books centrés autour de nos super héros : Lionel et Marie.
Le concert se termine et la fée électrique me fout gentiment dehors, il me reste plus qu’à conduire ma Brand New Cadillac pendant 150 km et deux heures trente sur une autoroute non déneigée, juste le temps d’écouter à nouveau l’album Malamore et de vivre ma propre ballade sauvage.
[1] un ami du légendaire et magnifique compositeur écrivain Victor Nubla