> Mag > Musique > Vive le punk-rock libre et non aligné !
La tournée Uz Jsme Doma plays F.P.B. de passage au Brin de Zinc
C’était une chouette surprise comme en réserve parfois le Brin de Zinc : l’apparition dans la programmation d’Uz Jsme Doma, vétérans tchèques – plus de 40 ans d’âge ! – d’une musique punk imaginative et libre. Une véritable page de l’histoire de la contre-culture qui s’est écrite en Europe de l’est, encore trop souvent méconnue.
Sacré Brin de Zinc. Même un lundi soir, avec un festival en même temps au centre-ville, le public est là – pas en très grand nombre, pas ridicule non plus. Uz Jsme Doma, qui d’ailleurs nous diront avoir joué de nombreuses fois par ici, c’était, jusque là, juste un nom – et quel nom… – croisé au détour de newsletters, de webzines, d’interviews. Si on creuse un peu, c’est aussi plus de dix albums studio, des tournées innombrables sur quatre continents, des livres, des collaborations pour le théâtre, le cinéma, un spectacle musical avec The Residents, entre autres. C’est aussi et surtout une musique inclassable, un punk-rock mâtiné d’influences improbables : ska, jazz, folk, rock progressif – terme qu’il est de bon ton de regarder avec dédain dans certains milieux mais qu’on peut juste remplacer ici par libre, créatif, aventureux.
C’est, à l’origine, le nom d’un festival qui, en 1978, devait regrouper des formations au ban de l’industrie du disque et pratiquant une musique rock inouïe, ouverte aux influences les plus diverses et fortement inspirée par l’esprit libertaire. Le terme a été utilisé par la suite pour désigner ce style de musique.
Si la musique punk était strictement réprimée dans la Tchécoslovaquie communiste du début des années 80, le jazz, et tout ce qui était estampillé jazz, bénéficiait d’une certaine tolérance. Certaines formations du mouvement Rock in opposition, telles que les Art bears de Fred Frith, par exemple, ont ainsi pu jouer très tôt dans les pays d’Europe de l’est. Cela explique en partie le caractère non-conventionnel de la musique de Uz Jsme Doma, ou d’autres comme Kampec Dolores ou Die Trottel en Hongrie.
Et c’est un groupe qui existe depuis 1985 – c’est-à-dire avant la révolution de velours et la fin du régime communiste en Tchécoslovaquie. Cette tournée de cinq semaines est d’ailleurs un peu spéciale, une tournée hommage à un groupe encore plus ancien : F.P.B.(Fourth price band), le groupe de Miroslav Wanek, chanteur-parolier-guitariste d’Uz Jsme Doma, en activité entre 1980 et 1985. Potentiellement le premier groupe punk Tchèque, rien que ça.
Au cours de sa longue existence, le groupe a connu de nombreux changements de personnels. Après une courte introduction par Macario (voir encadré), les membres actuels qui montent sur scène ce soir sont donc Miroslav Wanek (membre depuis 1986), le bassiste Pepa Červinka, Vojtěch Bořil à la batterie et le trompettiste Adam Tomášek. Si la musique de F.P.B. est très marquée par un punk-rock primitif et originel, elle surprend déjà par certains passages très originaux, assez barrés : voix suraiguës qu’on dirait tirées de dessins animés de la période, breaks enjoués dénotant avec l’ensemble et annonçant ce qu’on entendra plus tard de manière encore plus affirmée chez Uz Jsme Doma.
L’ensemble est à la fois vindicatif, entraînant et divertissant – peut-être d’une façon comparable à ce que pouvaient être des groupes comme les Béruriers noirs ou la Mano negra à une époque. Le public, en tous cas, réagit bien et apprécie. Même si peu de personnes dansent, les applaudissements sont nourris et les cris approbateurs ne laissent aucun doute.
Le groupe terminera son set par trois morceaux d’Uz Jsme Doma, auquel viendra s’ajouter un rappel. Ce qui était en germe s’est épanoui et affirmé : structures complexes alternant entre énergie punk et grooves proches du jazz, utilisation expressionniste d’un chant à gorge déployé, totalement décomplexé et souvent très drôle, et une liberté totale dans la construction des (longs) morceaux. Uz Jsme Doma joue une musique qui n’appartient qu’à eux, leur son reste très brut – du prog low-fi, en quelques sortes. Sur scène, il n’y a aucun jeu d’apparence, leur présence est totalement naturelle et laisse complètement la musique s’exprimer. J’adore ce genre de groupe où l’on sent presque la patine du temps. Je retrouve les sensations de concerts marquants, lovés dans les replis de ma mémoire, ceux de Fugazi, par exemple, de No Means No ou d’Ultra Bidé. Uz Jsme Doma quitte la scène sous les applaudissements chaleureux et sincères.
Argh-tiviste aux manettes du label Angrr depuis 1987, d’une liste de distribution et de l’organisation de concerts et de tournées à travers l’Europe – dont celle d’Uz Jsme Doma – Macario partage sa vie entre la route et l’activisme social et politique. Quel plaisir de discuter, de voir qu’il continue à poursuivre son rêve éveillé et de retrouver une vraie distro, à l’ancienne : des bacs et des bacs, bourrés jusqu’à la gueule de disques, fanzines et bouquins, où on peut fouiner et acquérir des pépites pour quelques euros ! Entrez donc dans son univers ici.
Le concert des Dijonnais de Diamond dog qui suivra pourrait difficilement faire plus contraste avec celui d’Uz Jsme Doma. New wave léchée, réverbérations froides, compositions référencées et très maîtrisées. Malgré le savoir-faire irréprochable, le jeu théâtral et la présence sur scène du chanteur, leur univers trop calculé tombe à plat, me paraît surjoué, artificiel. Je préfère rejoindre les membres d’Uz Jsme Doma au dehors, où Miroslav Wanek, amical et très accessible, me raconte la découverte de la musique punk, strictement interdite alors par le régime communiste, les reprises de morceaux dont on ne comprenait pas la langue, dont on ne connaissait pas le titre ni l’auteur et qu’on n’avait parfois entendu qu’une seule fois, partiellement, à la radio, les passages clandestins de la frontière pour aller jouer à l’étranger, les concerts secrets – Nico, Père Ubu – et l’obstination inimaginable dont il fallait faire preuve pour y assister. Quelle chance de pouvoir discuter avec lui et d’entendre tout cela de première main !