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Festival d’Annecy 2022

Who framed the piano player ?

dimanche 14 janvier 2024 par Walter Maurel rédaction Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Début Novembre, alors que je m’apprêtais à voir le dernier Miyazaki, je découvrais la bande annonce d’un nouveau film d’animation qui sortira en salle fin Janvier : They shot the piano player (90’). Bien que le trait me fût familier, je me demandais qui avait pu oser une animation aussi hachée, réduite au minimum, comme une simple animatique... A contrario, la musique, qui m’était tout autant familière, me paraissait chiadée, ce qui est la moindre des choses pour un documentaire sur un pianiste disparu… Soudain, au terme de l’annonce, les noms de Trueba et Mariscal sont apparus, et là je me suis emballé. J’ai enfin vu le film en avant-première, et c’est ce qui me motive à écrire cet article.

Les noms de Fernando Trueba, réalisateur, et Javier Mariscal, illustrateur, m’étaient totalement inconnus jusqu’à ce que je découvre leur précédent film d’animation, mon coup de cœur au Festival d’Annecy en 2011 : Chico & Rita.

Chico and Rita (piano rythm - Celia)

En dépit de quelques imperfections visuelles -– le trait épais, et l’animation rotoscopée qui donne parfois l’impression d’un décalage entre le cadrage du décor et celui de la caméra filmant les acteurs avant qu’ils ne soient redessinés -– cette love story impossible, si romantique et dramatique, entre un pianiste et une chanteuse cubains avant la révolution, m’avait complètement fait fondre comme d’autres couples maudits du cinéma hollywoodien –- ‎Scarlett O’Hara & Rhett Butler d’Autant en emporte le vent par exemple. Leur passion torride sur le piano endiablé de l’illustre Bebo Valdés m’enflamme encore aujourd’hui à chaque visionnage.

J’ignorais que cette histoire était partiellement inspirée de sa vie, que ce film avait été réalisé en son hommage, et qu’il en avait lui-même compose la BO. Je recommande d’ailleurs le CD, comme le DVD, à tous les amateurs de Jazz : la BO du film est juste sensationnelle !



Il était donc prévisible que je m’emballe en découvrant que le duo prodige était de retour à l’écran avec un nouveau long métrage musical. They shot the piano player s’apparente cette fois davantage à un documentaire ; le film suit l’enquête menée par Jeff Harris, journaliste nord-américain (doublé par Jeff Goldblum, pianiste de Jazz lui-même), sur la mystérieuse disparition, à Buenos Aires le 18 mars 1976, d’un jeune pianiste brésilien inconnu du grand public, Francisco Tenório Júnior, qui était précurseur de la Bossa Nova, et qui était vu par ses pairs comme l’un des meilleurs.

They shot the piano player (Bande annonce 2023)
Réalisé par Fernando Trueba et Javier Mariscal. Voix : Jeff Goldblum
Un journaliste musical de New York cherche a elucider le mystère de la disparition du jeune pianiste virtuose Tenorio Jr.
En célébrant l’origine du célèbre mouvement musical latino Bossa Nova, They Shot The Piano Player retrace une période fugace de liberté créative à un tournant de l’histoire de l’Amérique latine dans les années 60 et 70, juste avant que le continent ne soit englouti par des régimes totalitaires.

Il faut absolument lire le dossier de presse qui accompagne le film, pour comprendre que cette enquête n’est autre que celle que Fernando Trueba a menée lui-même pendant près de 15 ans auprès de plus de 150 personnes à travers le Brésil, l’Argentine, les États-Unis et la France, pour parvenir à retracer les derniers jours de ce jeune pianiste d’exception dont le style avait captivé son attention au détour d’un CD, jusqu’à en devenir une obsession.

Si on perd un peu le fil en route, du fait du nombre d’interviews et de témoignages qui jalonnent le film, l’enquête n’en demeure pas moins captivante, voire effrayante par ce qu’elle révèle de la menace qui planait à cette époque sur toute l’Amérique du Sud, et des exactions commises par les Services Secrets dans le cadre de l’Opération Condor. Ce qui au départ n’était qu’un fait divers — une disparition mystérieuse non élucidée parmi tant d’autres — est devenu tout à coup un emblème dénonçant cette chasse aux sorcières qui s’en est prise à tout ceux qui, de près ou de loin, avaient une allure d’intellectuel de gauche - « Le fascisme ne s’arrête pas devant l’innocence ». Le film est porté ici encore par une BO exceptionnelle qui rassemble les plus grandes figures du jazz que Ténorio Jr. avait pu rencontrer.

Quant à l’image, malgré l’épaisseur du trait, les illustrations et décors de Javier Mariscal demeurent admirables. Leur mise en couleurs est plaisante et chaleureuse, à l’instar de ces scènes fauves qui rendent à merveille l’ambiance des cabarets, salles de spectacle et autres studios d’enregistrement. La pauvreté de l’animation reste mon seul regret.

J’avais d’abord pensé intituler cet article : « They shot the animator », compte tenu de ma réserve là dessus. Mais ça aurait impliqué de descendre un film qui ne le mérite pas, d’autant que le travail mené par Fernando Trueba pour rendre hommage à Ténorio Jr. et à son influence musicale est monumental.
Si le titre du film est un clin d’œil assumé au Tirez sur le pianiste de François Truffaut, le titre de mon article est, quant à lui, un clin d’œil à Who framed Roger Rabbit — pauvrement traduit en Qui veut la peau de Roger Rabbit. En effet, « to frame someone » signifie « coincer quelqu’un », tandis que le procédé d’animation traditionnelle se dit « key-framing », parce qu’elle se décompose en poses clés, dit « key-frames ». Le titre original contenait donc un jeu de mots puisque Roger Rabbit est un Toon que l’on cherche à coincer. Who framed the piano player m’a donc paru plus judicieux pour bien restituer mon feeling.

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