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En 2019, Paracelze publiait un splendide disque de rock non aligné

jeudi 27 octobre 2022 par Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Chronique Entretien

Où l’on reparle de Jamasp Jhabvala, le violon de Convulsif, mais cette fois-ci au sein du power trio Paracelze : chronique de l’album Ptérodactyle , accompagné d’une mise en perspective avec l’intéressé.

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    Sous quelles auspices est né Paracelze ?

    Jamasp Jhabvala : Techniquement, le groupe existe depuis 2007 mais, avec Alexis Hanhart, on faisait déjà de la musique en duo pour pièces de théâtre ou des textes depuis 1999, déjà sous le nom Paracelze ! En 2007, on a eu envie de faire un groupe davantage rock, qu’on a appelé Atomic Parcelze. On était cinq : moi, Alexis, une batterie, un clavier et un chanteur, dans une mouvance Fantomas, Mister Bungle, John Zorn. Avec ce line-up, on a fait un album et tourné entre 2007 et 2014. Et puis le chanteur et le clavier ont décidé d’arrêter et on s’est retrouvé à trois à se demander si on continuait ou pas. On a composé quelques morceaux, tout en faisant d’autres groupes – c’est à cette époque que j’ai commencé Convulsif. On a aussi eu des enfants... On avait enregistré pas mal de morceaux toujours dans cette mouvance un peu « zapping », très Fantomas et autres. En réécoutant les bandes, on s’est rendu compte qu’on avait envie de quelque chose de plus linéaire, plus construit. A partir de ces bandes, on a donc monté les morceaux. On a coupé, allongé, collé et c’est devenu le deuxième disque.

    Huit ans sont passés entre vos deux albums, et vous semblez avoir fait un break de 5 ans sans concert, Parcelze existait-il pendant cette période ?

    C’est justement la période où on ne savait pas trop si on allait sortir le disque ou pas, si on allait reprendre un chanteur ou pas et quel style on voulait faire. On s’est finalement dit qu’on sortait le disque et qu’on verrait bien, que peut-être on ne ferait pas de concerts. Mais il se trouve que Cheap Satanism, le label belge qu’on connaissait déjà un peu via Convulsif, était hyper motivé pour sortir le disque ! On s’est donc finalement mis à chercher des concerts, les retours étaient assez bons : on trouvait plus facilement des concerts avec ce disque-là qu’avec l’autre ! C’était aussi beaucoup plus simple de partir en tournée à trois qu’à cinq. Durant toute cette période de cinq ans, on a n’a pas du tout répété : juste repris ce qu’on avait enregistré, remonté, mixé et sorti le disque. A partir du moment où le disque est sorti, on a dû apprendre à jouer ces morceaux. Le batteur, Dominic Frey, avait enregistré toutes ses prises en 2014 et c’est ces prises qui sont sorties sur le disque en 2019 !

    Est-ce que l’épidémie a nui à la dynamique du groupe suite à la parution de ce 2d album ?

    Heureusement, on a sorti le disque en 2019 et on a fait une quinzaine de concerts dans la foulée On avait encore deux concerts prévus en 2020 qui ont été annulés mais c’était un peu la fin de ce qu’on imaginait en terme de concerts pour la sortie de ce disque. Donc cela ne nous a pas vraiment impactés, même si après, évidemment, il y eu un long moment sans concert. On s’est quand même vus un peu pour répéter, essayer de nouveaux trucs mais sans vraiment de but et heureusement, en 2021, on a fait la musique d’une pièce de théâtre. C’est le metteur en scène et acteur lausannois Jonas Lambelet, avec lequel Alexis avait déjà collaboré, qui est venu nous voir en concert une fois en 2019. Il a bien aimé et pensé que ce serait parfait pour faire la musique de sa pièce. On devait le faire en 2020 et ça a été repoussé en 2021 à cause de la pandémie. C’était une pièce de trois heures, on était sur scène. Il y avait même un mini concert prévu au milieu de la pièce, intégré dans la pièce ou il y a un groupe qui joue. Cela nous a bien relancé dans une dynamique de répétitions et de jouer le set.

    Vous jouiez le set tel quel ou vous l’adaptiez ?

    Le concert durait 20 minutes. On jouait des morceaux du disque mais pas tout le disque. On a adapté certains morceaux pour que les comédiens puissent parler par dessus.

    "Funnel tunnel" est un des morceaux les plus singuliers de l’album, notamment à cause de la batterie en retrait et de l’écriture qui semble proche du collage. Peux-tu nous parler de comment ce morceau a été composé ?

    C’est un morceau que je joue en solo et quej ’ai proposé à Paracelze en 2014, quand on a refait le set. Comme la structure du morceau était déjà complexe, on s’est dit que la basse et la batterie feraient une sorte d’orchestre qui jouerait un peu contre le violon, qui parfois le couvrirait. C’est un morceau qu’on a composé de manière un peu picturale à partir de ces deux entités.

    Il y a sur The Sheikh un break qui me fait beaucoup penser à un passage d’un morceau de groupe hongrois Kampec Dolores ? Est-ce que Kampec Dolores ou la scène free punk européenne — The ex, Dog faced hermans, Badgewearer, die Trottel, Archbishop kebab… - pourrait faire partie de vos inspirations ?

    The Ex, oui, les autres groupes que tu cites, moins. On a une grosse influence de groupes comme Sleepytime Gorilla Museum ou Estradasphere, qui tirent souvent vers la musique de l’Est. J’ai eu un groupe de musique balkanique pendant assez longtemps, qui s’appelait The Raspoutine smoked band. Alexis , avec lequel on a cet ADN commun de musique balkanique, jouait également dedans. Quand on joue du violon, la musique balkanique, c’est un des trucs intéressants à faire. A l’époque j’avais moins d’effets. On était plus inspiré par des groupes de rock balkanique comme le No smoking orchestra ou Farmers Market qui est un groupe assez marrant, une sorte de mix entre Fantomas et le No smoking orchestra.

    Quels sont vos projets pour l’avenir ?

    On arrive à la fin d’un cycle. On a sorti le disque, on a joué, il y a eu la pièce et encore quelques concerts dont le dernier était à la fête de la musique à Genève. L’idée maintenant c’est plutôt de recommencer à composer pour un troisième album mais on ne sait pas encore comment : si on va reprendre cette idée d’enregistrer plein de choses et de monter le disque ou si on va faire différemment. On a déjà commencé à travailler quelques idées. J’aimerais avoir des riffs un peu plus ouverts, un peu plus improvisés, sortir un peu du carcan de la composition. Ne pas forcément avoir de set en début de concert et arriver à le construire sur le moment quelque chose de cohérent. Une sorte de composition instantanée mais, bon, il faut qu’on en discute !

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On peut dire qu’entre son premier album « Atomic paracelze » et celui-ci, enregistré par le groupe et sorti sur les labels Cheap Satanism et Get a life !, le trio Lausannois a sacrément évolué. Certes, il s’est entre temps notamment séparé de son incroyable vociférateur, Antoine Läng, mais ce n’est pas la seule raison. Alors que la première version du groupe évoluait dans une sphère musicale frappadingue à la Mister Bungle, ce deuxième disque est davantage un album de recherche et de recomposition, où le groupe semble se laisser aller à des penchants plus personnels.

L’album s’ouvre sur un court morceau éponyme, sorte de petit anthème metal à la Ministry, démonstration de la puissance du trio et donnant un aperçu de ce qui fait la spécificité de ce groupe : la présence du violon en face du traditionnel dyptique basse/batterie. Prenant en charge ici le rôle de la guitare rythmique, il apporte également des sonorités stridentes, très prisées dans ce style de musique et qui sont généralement obtenues par des samples.

Des variations de ce thème seront reprises par deux fois au milieu du disque, comme des interludes aux six autres compositions plus étoffées. Le trio y explore les possibilités qui s’offrent à lui : ici une utilisation très percussive, non mélodique, des instruments (Desert tractor), flirtant parfois avec des ambiances de cabaret (The mystic ride) , là au contraire des fracas noise-rock frénétiques menés par les mélopées distordues du violon (The Sheikh). L’album peut d’ailleurs quasiment se lire comme un manuel d’utilisation du violon en configuration rock, tant son utilisation est riche. Parfois uniquement rythmique, voire atonal et bruitiste, il peut également ciseler des mélodies inspirées de musiques traditionnelles, - on jurerait le break syncopé de The Sheikh tiré d’un morceau de Kampec Dolores ! – qui finissent par se démultiplier, se détendre, se distordre et se déchirer dans des contorsions grimaçantes assez flippantes. La fin du disque réserve de très beaux moments. Funnel Tunnel est le petit bijou de l’album, une composition aux airs de post-rock aérien, toute en collages abrupts mariant noise et délicatesse et où la batterie passe complètement en arrière-plan. Le morceau qui clôt le disque, Sugar Aliens, avec ses mélodies tendues de toute beauté offre peut-être le meilleur exemple d’intégration du violon ou en tous cas celui où il s’exprime le plus naturellement et sans plus aucune référence à la guitare.

Ce disque intrépide ne captera probablement pas l’imagination de tout le monde, trop ceci pour les uns ou pas assez cela pour les autres, il parlera aux oreilles les plus hardies et sans attentes trop formatées par les genres et les sous-genres. C’est, en tous cas, une sacrée invitation à sortir de son trou.

Le festival de musique expérimentale Akouphène, à la création duquel Jamasp Jhabval a participé, se déroulera à Cave12, du 25 au 27 novembre 2022 http://www.akouphene.org/festival/2022/

Photo de Jamasp Jhabvala : Perrine Levet

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