> Mag > Musique > Le nouveau poème électronique des Young Gods
Le 17 septembre, les Young gods présentaient au Brise-Glace leur version de In C, une œuvre majeure de la musique contemporaine américaine minimaliste composée en 1964 par Terry Riley. Polyphonie hypnotique et psychédélique, se tordant sur elle-même, tissant les couleurs et les tonalités au fil de ses 53 mouvements, The Young gods play In C constitue une belle pierre dans la discographie magistrale du groupe. Depuis leur légendaire concert inaugural au squat d’Argand à Genève jusqu’à aujourd’hui, le groupe n’a cessé de susciter l’enthousiasme de la rédaction de Rictus, qui a profité de l’occasion pour rencontrer les trois dieux toujours jeunes : Franz Treichler (voix, synthétiseurs, guitare), Cesare Pizzi (sampler-synthétiseurs) et Bernard Trontin (batterie).
On doit avoir le même âge donc je me pose une question : quand même, 37 ans de carrière, vous devez avoir mal au dos en vous levant le matin. C’est quoi, la motivation, pour continuer à faire de la musique ?
Franz Treichler : Si tu ne fais rien, tu as mal au dos aussi. Tu es obligé de continuer à bouger, non ? C’est vrai qu’on n’a pas forcément le même rythme mais disons qu’on n’a peut-être plus d’entourage, aussi. La dernière tournée, on a pris un roadie, tu te rends compte ?
Moi, je l’aurais pris avant !
Franz Treichler : Et encore, on hésitait ! Le premier jour à Paris, un flight case commence à rouler au bas du camion puis à descendre Ménilmontant — tu vois la catastrophe. Un gars de la Maroquinerie a plongé dessous et s’est cassé le pied.
Bernard Trontin : Il l’a arrêté, en se cassant le pied !
Franz Treichler : On s’est dit... C’est quand même peut-être le moment de prendre un roadie !
Le matos pour les Young Gods, c’est quoi ? Une camionnette ? Des semi-remorques ?
Bernard Trontin : Depuis qu’il y a César, c’est beaucoup plus léger.
Cesare Pizzi : Un ordi, un clavier et puis un double, c’est tout ! Et un lutrin !
Franz Treichler : Il y a un ampli basse, la batterie... C’est quand même un peu de matos et, effectivement, quand tu fais ça quatre à cinq fois par semaine, tu as mal au dos. Il nous fallait quelqu’un.
Au niveau du matériel, des instruments de musique : un synthétiseur, ça ne doit plus être lesampler du début ?
Cesare Pizzi : Non, non, Data mirage tangram c’est toujours du sampling mais c’est un ordi avec un plug-in de sampler. À part cette pièce qui est différente, Young Gods ça reste des samplers.
Franz Treichler : Ça s’est élargi, quand même. On n’est plus avec 5-6 sons pour faire un morceau. J’ai sorti la guitare, tu joues quand tu es en live. On adore le sampler, c’est vraiment la base de notre son, mais on a aussi voulu apprendre d’autres trucs.
Tu es en 128 touches ou tu descends au quart de ton ?
Cesare Pizzi : Non, non, je suis au demi-ton.
C’est ce qui donne ce caractère.
Cesare Pizzi : Oui, oui.
Vous parlez beaucoup du son. Je m’intéresse à la recherche de nouveaux timbres et je me demande quelle est votre approche au niveau du son pour lui-même. Est-ce que vous avez un repère par rapport à L’Art du bruit de Luigi Russolo, de 1913 ?
Franz Treichler : Ces gens sont des pionniers, ils ont ouvert la voie et nous ont appris que le son est musique. C’est pour ça qu’au début, le sampler, c’était tellement magique. A cette époque, on coupait des bandes, on devait copier. Il y a eu toute une expérimentation avant le digital, qui était très laborieuse. À partir du moment où le sampler est sorti, avec un prix abordable, tu avais tout ça au bout des doigts : tu pouvais aller dans leur sens, que ce soit celui de Pierre Schaeffer ou Luigi Russolo ou d’autres pionniers. Tu pouvais rythmer des sons concrets. Nous, on venait du rock, du punk, de la musique expérimentale des années 60/70 donc on a mélangé tout ça. Ce sont des gens qui ont marqué. Même pour la musique électro, pour ne citer qu’un exemple : l’acceptation du fait que que le bruit blanc fasse partie d’une possibilité de composition. Les oreilles se sont énormément agrandies grâce à tous ces gars...
Bernard Trontin : Ce qu’il y a de fou, c’est le temps incroyable qu’ils mettaient pour faire une pièce, à l’époque. Les mois de boulot, d’édition, de couper-coller... C’était un boulot de malade ! C’était pas facile et absolument pas commercial. Ce qui en est resté, dans notre manière de faire, c’est que, quel que soit le genre qu’on attaque, on est d’abord intéressé par un son. C’est un son plutôt qu’une mélodie qui va nous inspirer un morceau.
Un timbre, quoi...
Ouais.
Vous recherchez l’inouï ou le perpétuel ?
Franz Treichler : L’inouï ou le perpétuel ?
Je veux dire le son inouï que tu trouves au clavier, par exemple, et puis tu te dis « Putain, ça n’a jamais été entendu avant ! », parce que tu l’as bricolé, ou alors le perpétuel qui est... Par exemple, on pourrait enregistrer les norias en Syrie qui tournent depuis le temps des Romains et on cherche parfois ça, quand on fait du drone, dans l’album « Mirage » je sens ça, parfois...
Franz Treichler : Il y a un peu les deux, nous n’avons pas vraiment de méthode. Si ! La seule méthode qu’on ait, c’est de passer des heures à faire de la recherche de sons. C’est là que tu trouve les idées. Ça peut-être un sample, effectivement, sa consistance même, qui te donne l’idée rythmique. Ça peut être son timbre qui te donne envie, qui déclenche l’imagination de ce que tu pourrais mettre comme mots dessus. Il n’y a pas vraiment de formule.
Bernard Trontin : On cherche beaucoup mais je n’ai pas le sentiment de rechercher absolument l’inouï. Moi, je recherche l’émotion. Quand une combinaison sonore te procure de l’émotion, je pense que je suis sur la bonne voie, mais c’est personnel. Effectivement, je vais écouter des choses contemporaines comme des choses pop, rock ou jazz et on est très axés sur la recherche sonore mais pas pour elle-même : il faut que quelque chose se passe en nous quand on l’écoute, quelque chose de physique ou, comme tu disais, de spirituel. Pour moi, l’idée de spiritualité dans notre musique c’est... de se poser des questions, de faire que les gens aient des points d’interrogation. On amène pas du pré-mâché, quelque chose auquel on peut s’identifier immédiatement. Il faut qu’il y ait un petit pas à faire et que nous aussi on fasse un petit pas. Une espèce de rencontre au milieu… Je ne sais pas si ça à voir avec de la spiritualité, faire quelque chose qui soit ouvert sur ce qu’on n’arrive pas à expliquer, qui soit davantage de l’ordre de questions que l’on pose, plutôt que de réponses qu’on amènerait.
Vous êtes l’un des seuls groupes à utiliser le sample et la batterie, comme ça… De manière une peu sauvage et, en même temps, il y a beaucoup de spiritualité chez vous. C’est un autre sujet que je voulais développer avec vous..
Franz Treichler : Oui, c’est un drôle de mot, la spiritualité...
Ellah A. Thaun et Young gods au Brise-Glace
Sur le papier, la proposition était prometteuse : une soirée en collaboration entre la Fabric/Fondation Salomon – acteur majeur des arts visuels à Annecy – et le Brise-Glace, croisant arts visuels et rock aventureux.
En ouverture : set plutôt tonique d’Ellah A. Thaun. Rock déconstruit où, en vrac, rock garage, grunge, noise, pop et kraut-rock sont comme les pièces d’un puzzle que le groupe bricole joyeusement et librement. Certaines parties laissent l’impression que les boulons pourraient être davantage serrés et ne rencontrent pas complètement l’adhésion, mais Ellah A. Thaun a pour lui (elle ?) les inflexions et la présence convaincantes de sa chanteuse et une volonté palpable d’oser, que le public accueille avec bienveillance.
A concert exceptionnel, début exceptionnel : Franz Treichler, guitariste et voix des Young Gods, prend la parole pour introduire In C, la pièce de Terry Riley qu’ils vont jouer ce soir. Il explique le principe des 53 mouvements que chaque musicien fait durer à sa guise pour composer une pièce qui n’est jamais tout à fait la même et conclut malicieusement que, pour une fois, les Young gods vont devoir s’écouter.
Dans la pénombre résonnent alors les premiers do, clairs et lumineux, premières pièces du puzzle, source vive du flux ininterrompu de motifs aux couleurs changeantes qui, une heure durant environ, vont se dessiner, naître, s’affirmer, s’effacer et laisser place à d’autres figures. Limpides et harmonieux, ils défilent comme des images mentales dans la mémoire, mutent en impressions puis en souvenirs, jusqu’à former un tissu complexe de sensations parfois contradictoires et pourtant indiscernables. Les sonorités synthétiques du groupe accentuent l’impression de programme, de machine à produire de la musicalité, caractéristique de certaines pièces minimalistes et sont soulignées par un joli travail de lumières miroitantes, pointillistes.
L’interprétation des Young Gods, en grands mouvements de montées en puissance portés par la batterie féline de Bernard Trontin, accentue autant que possible le caractère dramatique à la pièce. Mais In C reste une pièce minimaliste derrière laquelle le groupe, dans la lignée de ses travaux ambient et électronique, s’efface. Si certains dans le public ne s’y retrouvent pas alors que d’autres sont comblés, c’est peut-être que cette soirée aura atteint son objectif d’explorer et de traverser les limites de genres — même si, des arts visuels, on n’aura pas trop vu la couleur.
C’est une messe, c’est une célébration, quand on voit les Young Gods !
Franz Treichler : Pour moi, la musique est un peu un outil de guérison. Elle m’a beaucoup aidé à grandir, à passer de l’âge d’enfant à l’adolescence. J’avais l’impression que les groupes que j’écoutais me comprenaient. Alors que c’était des gens qui chantaient anglais ! Je ne comprenais pas ce qu’ils racontaient mais il y avait un truc, un peu comme la continuation d’un rêve. Les vieux Floyd, ce sont des choses qui étaient importantes dans mon rapport aux autres, qui me faisaient me sentir moins seul. C’est peut-être déjà le début de la spiritualité, l’empathie. La musique peut déjà créer quelque chose qui t’amène à te sentir proche des autres. C’est pour ça que je parle d’outil de guérison. C’est quelque chose qui aide, parfois dans les moments durs, parfois dans les moments gais. Dans ce sens-là, oui, c’est spirituel parce que ça travaille sur l’esprit, ça travaille sur l’âme.
Vous avez des lectures qui vous inspirent sur ce sujet ?
Franz Treichler : Je lis toutes sortes de trucs, ça va de la science-fiction à des essais anthropologiques. Bien sûr que ça inspire aussi. Qu’est-ce que je lis en ce moment ?
Par exemple, Pierre Schaeffer était l’ami de Georges Gurdjieff
Franz Treichler : Ca, je ne savais pas
Bernard Trontin : Tu nous l’apprends.
Je m’intéresse aussi à Luigi Russolo, qui était mystique avant d’être futuriste, et qui a ensuite écris un bouquin, Au delà de la matière. On ne les affiche pas forcément mais on a tous des considérations de spiritualité, évidemment.
Franz Treichler : Oui, ce n’est pas pour rien qu’on s’appelle les jeunes dieux...
Cesare Pizzi : Je pense que la lecture est très importante. Elle fait partie intégrante de mon monde, mon monde-musique, mon monde-lecture...
Franz Treichler : Même le nom du groupe, cette espèce d’aspiration à quelque chose de plus grand que toi... Il y a de la spiritualité là-dedans.
Et, en même temps, c’est de l’humour. Je pense aussi au Domaine des dieux.
Franz Treichler : Oui, c’est drôle, il y a les deux, en fait. Ça fait réagir les gens, tu vois tout de suite un peu leur caractère. Si ils ont de l’humour, ils vont trouver ça drôle mais il y en a qui pensent qu’on se prend pour je ne sais pas qui.
Bernard Trontin : Oui, il y en a qui trouvent ça très prétentieux.
En même temps, si tu te rappelles des années 80-85, quand tu étais jeune à cette époque, fallait rentrer dedans, fallait pas rigoler si tu voulais exister.
Franz Treichler : Fallait être là.
Je me souviens que, toi, tu étais là. Il fallait une grosse volonté et tu étais là, je connaissais votre manager Laurence Desarzens, aussi...
Bernard Trontin : je viens de lire un article sur elle, dans Le Courrier... Elle préside maintenant le jury du prix suisse de musique.
Elle est formidable...
Bernard Trontin : Ça se passe bien pour elle.
On va peut-être parler de la pièce de ce soir...
Franz Treichler : Oui, volontiers.
Avec le sample, cet emprunt qu’évidemment on ne reconnait pas, il y a chez vous un acte très intéressant de collectionner, de collecter. C’est d’autant plus surprenant que vous repreniez In C de Terry Riley, parce que c’est une œuvre qui a été beaucoup jouée — notamment par l’ensemble Batida dernièrement, qui a été finaliste du prix Russolo il y a deux ans. J’avais beaucoup aimé ce groupe. Est-ce qu’il y a des aspects qui différencient votre projet du leur ?
Franz Treichler : Ce qui est marrant c’est qu’on l’a jouée aussi avec les Batida.
Je m’en doutais...
Franz Treichler : Ce n’est pas une idée qui est venue de nous mais de Benedikt Hayoz, le directeur musical d’une harmonie d’une centaine de personnes de la ville où on a grandit, Fribourg, qui s’appelle la Landwehr. On en avait une image un peu cliché d’un truc militaire ringard : l’antithèse de ce qu’on voulait faire étant ados. Ils nous ont approchés pour faire un projet ensemble. Je suis allé au rendez-vous et j’ai vu qu’ils avaient pas mal changé, qu’il y avait plus de mixité, qu’il y avait beaucoup de jeunes et que, finalement, c’était un peu nous les vieux, dans l’histoire. Le directeur a eu cette idée : il fallait qu’on fasse quelque chose que ni nous, ni eux n’avaient fait. On serait tous en train de découvrir quelque chose, de remixer et rejouer du répertoire, ce serait rigolo. Il m’a proposé In C, je connaissais la pièce mais ne l’avais jamais jouée, je trouvais l’idée excellente. On en a parlé ensemble, on a fait nos recherches, écouté différentes versions, commencé un peu à la bosser et puis, oui, on allait faire ça, c’était super. Les timbres de la première version sont réalisés avec 85 souffleurs et des percussions, des vibraphones, des marimbas. Mais, pour cette version-là, on voulait brouiller les cartes. On voulait avoirs des marimbas mais électroniques, des vibraphones pour tenir un peu la baraque. Quand tu as 85 souffleurs, tu as une inertie incroyable donc il fallait qu’on soit très rythmiques. Ça, c’était la première palette des timbres. Ensuite, on a fait différentes versions, j’ai commencé à sortir la guitare, et puis on s’est décidé à faire une version uniquement à trois.
On a fait une résidence au Swiss Museum for Electronic Music et aussi à Fribourg. Là, c’est une collection de plus d’un millier de synthétiseurs qu’un privé a mis à disposition, avec une convention à long terme pour qu’ils soient entretenus et que les gens puissent y accéder. On s’est inscrits et on a fait une résidence de trois jours, pendant lesquels on a préparé les phases, les machines, et enregistré des tonnes de tous ces modules, pour revenir chez nous les éditer et les inclure dans notre banque de sons. Voilà donc ce que tu vas entendre ce soir. Sur l’album, c’est ça : des parties qui sont des modélisations de marimbas, de batterie live, des basses, des vieux synthés, un peu de guitares, un peu de tout !
Ça travaille bien les oreilles !
Bernard Trontin : On s’est très vite dit qu’il y avait un potentiel, quand on a commencé à travailler la pièce, pour cette rencontre avec la Landwehr de 85 musiciens. Evidemment, au départ, on ne bossait que tous les trois, pour trouver les sonorités et la manière de rentrer dans cette musique. Tout de suite, on s’est dit : « c’est quelque chose qu’on pourrait faire à trois, qui amènerait vraiment quelque chose », parce que, effectivement, il y a tellement de versions.
Il y a eu donc deux projets : le projet avec les 85 musiciens et le projet de ce soir...
Bernard Trontin : Et d’autres étapes, comme la collaboration avec les Batida, qui nous avait invités pour leur anniversaire et qui parallèlement travaillaient sur cette pièce aussi. On s’est dit « Pourquoi ne pas essayer de la faire ensemble ? »
Cesare Pizzi : Je trouve que la grande difficulté, quand on est avec 85 personnes, c’est qu’on ne peut faire qu’une seule répétition. A trois, on commence à rentrer dans une intimité musicale qui est beaucoup plus profonde parce qu’on répète, qu’on joue et que, là, les sons aussi prennent une très grande importance. C’était superbe avec les 85 musiciens mais c’était une partition qu’on a lue, avec un chef d’orchestre qui nous dirigeait un tout petit peu quand même. A trois, je trouve que c’est vraiment plus émotionnel.
J’ai hâte d’entendre ça ! C’est ce que je trouve intéressant avec vous : il y a toujours du fond. Je me rappelle des groupes de kraut-rock qui se réclamaient de Stockhausen et qui apportaient cette musique élitiste, savante, et c’est un mot que je n’aime absolument pas. J’ai programmé beaucoup de musique concrète avec des gens qui la présentait comme de la musique savante. Mais je me disais : « Mais fermez vos gueules ! Plus personne ne va venir ! ». Vous, vous jouez de la musique savante de manière pop. Finalement, c’est faire un pont. Pierre Henry par exemple, apporte lui aussi ce côté rock rythmique génial dans "Psyché Rock". Finalement, on retrouve l’idée du triptyque qui est quelque chose de formidable : quand je pense un truc c’est toujours trio, triptyque. Sauf en sexe peut-être : le trio, j’aime pas !
YG : Ha ha ha !
Franz Treichler : On dit « power trio », c’est pas pour rien. Quand tu es trois, tu dois être à 100%. C’est dans les directives de Terry Riley aussi ! Nous, on triche. Par exemple, moi, au début, j’ai trois thèmes en même temps. Je ne pourrais pas faire les trois thèmes sur un seul instrument. Avec l’électronique, je peux avoir plusieurs thèmes et jouer celui-là ou ces deux-là. En quelque sorte, on est plus tout à fait trois musiciens. Si on était basse/batterie/guitare, on ne pourrait pas faire tout ce qu’on fait. L’électronique amène quelque chose mais on reste quand même dans les directives de Terry Riley. Si tu te dis « Tout va bien je n’ai pas besoin de jouer », tu ne joues pas, tu n’as pas besoin d’être tout le temps présent, d’être à fond. C’est évident quand tu es avec un ensemble. Et puis, les Batida, elles sont percussionnistes virtuoses, parfois, tu avais juste envie d’arrêter et de les écouter.
Bernard Trontin : Ce qu’on a même fait, par moment !
Le silence dans la musique, c’est hyper important : s’il n’y en a pas, c’est de la merde !
Bernard Trontin : C’est clair.
Et vous avez beaucoup de silence dans vos ruptures...
Franz Treichler : C’est important aussi...
Bernard Trontin : Moi, c’est à travers le krautrock que je connaissais cette pièce. Je suis assez fan de cette musique séquencée des années 70. J’ai vraiment beaucoup beaucoup kiffé ça quand j’étais gamin. Ça m’est resté et eux citaient comme influence Terry Riley. Je suis allé écouter, ils jouaient ces séquences, ce n’était pas des machines, ils étaient très admiratifs de ce gars. J’ai découvert comme ça, à rebours.
Ce qui est intéressant c’est que le public qui n’est pas habitué à ces musiques-là les découvre. C’est une passerelle incroyable. C’est moins vrai avec les groupes d’aujourd’hui. Bon, je vieillis mais il me semble qu’il y a moins cette relation à l’histoire de la musique.
Franz Treichler : Déjà à l’époque, quand on faisait du sampling, c’était dans cette optique de créer des ponts : du classique dans des morceaux super violents, un peu punk, mélangés avec des accords de grattes, des bruits, des coups de fusil, peu importe. On mélangeait et c’était déjà un peu pour créer des ponts. On a toujours voulu amener nos potes punks à écouter du classique !
Bernard Trontin : Ils détournaient des appareils qui n’étaient pas conçus pour ça. Je me rappelle — je ne le faisais pas partie des Young Gods à l’époque — quand j’ai entendu du Chostakovitch avec des coups de fouet par dessus, je me suis dit : « Qu’est-ce que c’est que ce mélange ? »
Pour finir : votre prochain projet ?
Franz Treichler : On bosse sur un album et, à première vue, on est de nouveau dans un format de chansons — pour dire simple — avec des textes, des paroles, de la voix et des morceaux un peu plus courts. Peut-être que chaque projet donne envie d’en faire un autre, un contre-pied par rapport au précédent, je ne sais pas… En tout cas, on est en train de faire des maquettes de la suite. On a quand même eu pas mal de temps avec ces histoires de covid, surtout la deuxième année, pour essayer des choses.
Oui, le covid c’était bien, pour lire un peu plus, pour écouter, pour créer. Après, on en a vite eu marre.
Franz Treichler : Ça s’est dégradé... En 2020, tout le monde était ensemble, un peu à l’unisson. On se disait : « Reculons, voyons ce qui se passe, tiens : il y a moins de bruit, moins d’avions, moins de pollution... » Et puis : 2021, la catastrophe, les histoires de division de la société, de vaccination et de non-vaccination, de pass et de machin… C’est aussi quelque chose qui nous a bloqués — en tout cas moi en tant que parolier. Je n’avais pas du tout envie d’écrire des mots. Cette histoire de In C) est tombée à pic. Et, là, c’est reparti. Avec un peu de recul, je pense qu’il y a des choses, pas forcément à dire, mais à suggérer.
C’est reparti mais avec une certaine rupture dans les relations je trouve.
Bernard Trontin : Ça laisse des traces c’est clair. C’est pas un truc youkaïdi, oublions tout comme si de rien ne s’était passé, on voit bien qu’il y a des traces.
Franz Treichler : Il y a aussi une tendance à l’oubli, tout de suite. En Suisse il n’y a pas de débat public sur ce qui s’est passé, ce qu’on a fait juste ou pas. Comment est ce qu’on va faire si ça recommence ? Est-ce que ça va être le même bordel ? Y’a pas eu de « Merde, ok, en tant que société on a obéi à ci, on a fait ça, est-ce que c’était bien ? Est-ce que c’était pas bien ? Quel est le bilan ? » Rien, vite : sous le tapis, on passe à autre chose.
Bernard Trontin : Quand je pense que ça laisse des traces, c’est plutôt à titre personnel chez les personnes, mais, politiquement, c’est étrange à quel point on essaie de faire comme si c’était pas arrivé.
Franz Treichler : Quand même, historiquement, on n’avait jamais vécu un truc pareil ! Faire un bilan, se poser les bonnes questions…
Bernard Trontin : Y’a pas. Y’a la guerre en Ukraine, on parle d’autre chose.
Un événement en chasse un autre et, en même temps, on est surpris que ça disparaisse tout d’un coup.
Franz Treichler : On est aussi content d’oublier tout ça : pouvoir jouer pour échanger, vivre de la musique, ne pas avoir de problème de gens qui ne peuvent pas venir.
Bernard Trontin : On ne pouvait pas passer la frontière. On habite à Genève : tu passes la frontière en promenant ton chien et, là, on ne pouvait plus.
Franz Treichler : Mais on bosse la suite, donc c’est assez réjouissant.
Et la relation Brésil alors ? Moi j’ai travaillé longtemps à São Paulo.
Franz Treichler : Tu veux parler du projet qu’on a fait avec le groupe brésilien, Nacao Zumbi ? C’était aussi quelqu’un qui avait envie de sortir un vinyle et qui veut le presser lui-même. Il est en train de se faire un endroit, donc ça prend du temps. On lui a donné six titres avec Nacao Zumbi pour faire ce disque. C’était en live à Montreux, en 2016. Je pense qu’il va sortir ça l’année prochaine : il a la presse, il commence à faire ses essais. Il voulait faire ça hyper rapidement, puis il s’est rendu compte que c’était très ambitieux, surtout si tu veux apprendre à faire du vinyle, mais ça va se faire. Sinon, j’ai la double nationalité, depuis 2018. Je renoue un peu avec mes racines. J’ai grandi sans ça mais, dernièrement, mon père est décédé et c’est de son coté que ça me venait. J’ai vu que beaucoup de choses là-bas n’étaient pas claires et n’avaient pas été réglées donc j’ai pris la nationalité. Ça n’a pas grand chose à voir avec la musique mais j’ai des racines là-bas, ça, c’est certain !
Tu parles portugais ?
Franz Treichler : Je parle un peu, pas très très bien. Mon vrai nom, c’est Francis José Conceição Leitão Treichler. Tu vois : scoop !
Bernard Trontin : Vous pouvez continuer à l’appeler Franz !
Franz Treichler : En Suisse alémanique, ils ne comprennent pas : « Franz, tu ne parles pas suisse allemand ? » « Nooon… Ce n’est pas mon vrai nom ! » (Rires)
Pour écouter l’intégralité de l’interview : https://ateliernautilus.bandcamp.com/album/interview-young-gods-rictus