> Mag > Musique > Mary Halvorson et Sylvie Courvoisier, partie de jazz lunaire à l’AMR
Un Canevas d’avant-garde !
mercredi 1er novembre 2023 par , ,
Compte-renduDans le cadre du festival Jazz ContreBand, l’AMR recevait un duo formé par deux figures du jazz d’avant-garde new-yorkais : la pianiste d’origine suisse Sylvie Courvoisier et la guitariste Mary Halvorson.
Un piano et une guitare au programme et on se prend à penser à deux instruments harmoniques qui risquent de s’entrechoquer, de s’affronter, de se faire face, pourquoi pas ! Mais lorsque ces instruments sont maîtrisés par Sylvie Courvoisier et Mary Halvorson, toutes ces images d’Épinal disparaissent ! Récit à 6 mains d’une soirée mémorable que nous avons passée ce samedi 28 octobre à l’AMR.
Dans la petite salle à l’ambiance chaleureuse, elles entrent, s’installent derrière leurs instruments, détendues et souriantes. Sylvie Courvoisier en tenue sombre, stricte, et Mary Halvorson en pull coloré et baskets à scratchs – les détails ont leur importance. Le premier morceau s’ouvre sur une cascade de petites notes cristallines de cordes de piano pincées.
Parler du jazz lunaire pratiqué par ce duo est une gageure. Le jeu de Sylvie Courvoisier est immédiatement très impressionnant, majestueux, magistral, et les figures qu’il développe, qu’on sent nourries de toute l’histoire de la musique classique, jazz et jusqu’au plus contemporain, ont quelque chose de sidérant. On entre dans ces morceaux comme dans un nuage, ébloui par la pureté et l’intensité sonore, saisi par la singularité de ce que l’on entend.
Il y a de riches et profondes textures harmoniques, qui se dissolvent en des espaces légers traversés de lumière ou encore des zones de haute perturbation qui empruntent au vocabulaire des musiques concrètes. L’utilisation de la totalité du clavier, depuis les fréquences les plus basses et les plus sombres jusqu’aux notes les plus hautes, les plus ténues, accentue encore l’ampleur, la profondeur presque irréelles de cette musique, jouée avec une virtuosité époustouflante. [1]
Les tons puissants du piano résonnent à travers la pièce et la guitare de Mary Halvorson, aux sonorités plus mat, plus chaleureuses, les redouble, les perturbe, trace entre eux ses délicates et improbables arabesques. Car ce sont deux personnalités musicales bien distinctes. Si Sylvie Courvoisier est une musicienne polyglotte, capable de fondre différents idiomes dans un même langage, le jeu très personnel et immédiatement reconnaissable de Mary Halvorson se distingue par son élasticité et sa fantaisie.
Malheureusement, il passera parfois un peu au second plan durant ce concert, d’autant que, durant la première partie de la soirée, des défaillances techniques l’empêcheront d’utiliser sa pédale de delay et de produire ses effets de glissés si caractéristiques. Pourtant, son jeu est porteur d’une naïveté, d’une fraîcheur qui, conjugué à la rigueur et à la pureté du piano, donneront au concert quelques-uns de ces moments les plus beaux et les plus touchants.
[1] « Je répète ou compose jusqu’à huit heures par jour. Je fais en sorte de prendre une pause toutes les 45 minutes [...]Mon métier de pianiste, c’est un sport d’élite. » Sylvie Courvoisier dans Le Temps, 11 mai 2019