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Est-ce un ensemble de musique contemporaine qui vient se frotter à l’univers désarticulé et ludique d’un groupe post-punk ou le contraire ? On ne sait pas trop mais toujours est-il que les 27, 28 et 29 janvier, Massicot, l’ensemble Contrechamps et l’Ensemble Vide présenteront une nouvelle version de leur pièce commune : UPE. Retour sur cette aventure singulière et enthousiasmante avec les trois membres de Massicot : Simone Aubert, Mara Krastina et Colline Grosjean.
Comment est née l’idée du projet UPE ?
L’Ensemble Contrechamps et l’Ensemble Vide ont pris contact avec nous pour nous proposer la création et la composition d’une pièce de musique contemporaine autour de notre pratique de la musique. Les deux ensembles de musique contemporaine sont très actifs sur Genève pour proposer des rencontres assez improbables entre les différentes scènes de musique de la ville. Nous nous sommes senties chanceuses de pouvoir répondre à cette demande qui nous a tout de suite super intéressées.
Que représentait pour vous l’idée de travailler avec un orchestre ? Quelles possibilités est-ce que cela ouvrait pour vous ?
La proposition était que nous composions une pièce pour Massicot et 14 cordes de l’Ensemble Contrechamps. La répartition entre contrebasses, violoncelles, altos et violons s’est faite ensuite en fonction de ce que nous avions composé. Pour nous, les timbres de cordes acoustiques formaient un nouveau territoire ce qui d’une part nous impressionnait un peu et d’autre part nous stimulait beaucoup. Nous étions loin de connaître le potentiel de ces instruments et nous avions aussi peur d’écraser les sons acoustiques. Il allait falloir ajuster nos volumes, ce qui n’est pas juste un saut quantitatif. Il allait aussi falloir diriger, ce dont nous n’avions pas l’expérience. Pour ce faire, il fallait aussi produire des supports de transmissions, des partitions, des textes… Tout un nouveau champs pour nous. Le projet nous a ouvert plusieurs directions de travail complètement inédites et nous poser toutes ces questions, rechercher des solutions compatibles avec nos propres pratiques en compagnie de nouvelles personnes venues d’un tout autre monde musical s’est avéré passionnant.
Quel a été le processus d’écriture de la pièce ?
La pièce était commandée quelques mois avant l’arrivée du Covid en mars 2020. Mettant tous les projets en stand-by, sans savoir ce qui allait arriver et si la commande allait aboutir à ce moment-là, Mara est partie faire un master en Lettonie. Colline vivait déjà en France. C’était donc compliqué de comprendre comment procéder car nous étions loin les unes des autres. Nous composons toujours en jouant ensemble au local. Là, nous étions contraintes de fonctionner différemment.
Nous avons donc repris des éléments d’une première improvisation que nous avions faites toutes les trois lors d’une session de recherche pour ce projet. La basse de Mara en est resté l’élément central et vu qu’il était impossible de la faire venir en Suisse depuis Riga, c’est autour de cette basse que nous avons improvisé et écrit la pièce au Vélodrome à deux. Mara a ensuite composé la partie voix à distance.
Nous avons fait une maquette avec des synthétiseurs et des instruments midi simulant les différentes cordes et composé plusieurs tableaux enchaînés à l’intérieur desquels sont articulés des petits motifs écrits qui se répètent, varient, se superposent et des jeux d’improvisation, un peu à la manière dont nous jouons ensemble à trois. Chaque tableau fonctionne pour les musicien(ne)s comme une image, voire une petite histoire avec des personnages qui dicte la structure, les intentions, les atmosphères, les intensités et comporte quelques éléments écrits. En résulte une structure avec des espaces de liberté pour chacun(e) autant dans l’interprétation que dans les prises de paroles de chaque musicien(ne). Il y a des passages qui restent improvisés, soutenus souvent par un bon groove porté par les basses (comme dans les compositions de Massicot, en fait).
On s’est mises à composer pour UPE à partir des fondamentaux de notre musique.
La maquette a été ensuite transmise à Louis Schild qui a transposé certaines parties sur des partitions écrites mélangeant notations, schémas, textes, histoire de faciliter la prise en main de la pièce par les musicien(ne)s de Contrechamps. Il nous a d’ailleurs accompagnées sur toutes les sessions de travail avec l’ensemble pour arriver plus facilement à trouver le langage commun, vu que nous ne passons bien évidemment jamais par l’écriture solfège dans la composition des morceaux avec Massicot. La pièce est d’ailleurs au final jouée sans partition, ce qui correspond bien à l’esprit de la composition. Un but très important pour nous était de former autour de UPE un groupe qui joue de la musique, de générer du plaisir, du jeu et de la connivence. Notre musique se fonde sur les dynamiques entre nous trois, ça fait partie intégrante de ce qui se vit et s’écoute. Nous nous disions en composant que si nous pouvions construire ça avec les musicien(ne)s de Contrechamps, la musique serait réussie. Nous sommes restées concentrées sur cet objectif plus que sur une stricte transposition de la maquette et des partitions lors du travail avec l’orchestre. Louis a beaucoup aidé à ce que la dynamique adéquate advienne lors des répétitions ainsi que les musicien(ne)s qui ont rapidement et très finement compris l’importance que cela avait pour le projet et ont fait beaucoup de contributions. La pièce a donc encore bougé autour de la musique qui émergeait du groupe lui-même.
Il y a certains mouvements de la pièce qui semblent faire référence assez directement à certains compositeurs ou mouvements musicaux (la musique minimaliste américaine, l’improvisation libre) — y avait-il l’idée d’une forme d’hommage ?
On a souvent parlé de la musique de Massicot avec ces mêmes références, surtout sur notre dernier disque Kratt. Pas d’hommage particulier, donc, plutôt une continuité dans l’expression de notre musique qui certes trouve aussi ses références dans les mouvements que tu cites. Les minimalistes américains ont sûrement quelque chose à voir avec la composition de UPE, au même titre que le bruitage de cartoon, certaines ambiances et textures de BO de films. Pas de citations conscientes, mais on entend forcément des échos de tout ça.
Des compositeurs comme Glenn Branca ont travaillé des formes intermédiaires entre le rock et la musique contemporaine pour des ensembles importants. Est-ce que ces œuvres ont été une source d’inspiration ?
On écoute toutes les trois des musiques très différentes et on est aussi très ouvertes sur ce qui nous plaît, pas franchement liées à un style de musique en particulier. Chacune de nous trois citera des références différentes quant à UPE. Cela dit, il existe des territoires
communs, bien sûr. Au fil des années, notre pratique du ciné-concert a beaucoup ouvert notre musique vers d’autres rapports au temps et vers la narration, nous a fait varier les timbres, nous a tirées vers plus d’improvisation. Cela se sent bien sur notre dernier disque mais de manière générale depuis la sortie de Suri Gruti, un 10 ‘’ qu’on avait enregistré à l’occasion des 100 ans du dadaïsme en 2016. Deux longues plages de 13-15 minutes qui habillaient des courts métrages de Man Ray. Ces dernières années, chacune d’entre nous a mené des projets électroniques, composé pour le théâtre, la performance, la vidéo... Une partie de notre pratique échappait déjà au format de la chanson post-punk, pour le dire vite. Quant à Glenn Branca, je ne crois pas qu’il soit l’influence la plus évidente pour nous, bien que nous connaissions sa musique et que le citer ici n’est pas absurde. On s’est mises à composer pour UPE à partir des fondamentaux de notre musique : des thèmes simples et répétitifs, de la polyrythmie, de la répétition, des confusions entre les statuts et les timbres des instruments, des recherches bruitistes, des superpositions de motifs. On retrouve ces combines aussi bien parfois dans la musique contemporaine que dans la musique expérimentale « non savante », certaines musiques traditionnelles ou le rock bizarre. Bref, ça ne sort bien sûr pas de notre chapeau magique !
La première d’UPE s’est déroulée à ARCOOP. Est-ce que la pièce a été influencée par le lieu dans lequel elle allait être jouée ?
On savait que la réverbération du son dans ce lieu allait être ultra forte, c’était sans penser à la pluie battante ce soir-là, sur les toits en verre de l’espace qui ont rajouté une bonne dose de bruit et une atmosphère bien particulière à cette première. Absolument omniprésent sur le disque d’ailleurs, qui vient d’arriver à la Cave12 !! Il réunit donc la pièce jouée live là-bas et, sur la face B, la maquette mixée par Nadan Rojnic.
Ayant assisté à un programme d’Ensemble Vide à Arcoop, nous avons été attentives à cette question de reverb. Par exemple le kit de batterie est réduit au minimum, les percussions jouées avec retenue et avec des mailloches, directement en lien avec cet espace très particulier. L’amplification et les sons choisis pour la basse et la guitare jouent aussi avec ce paramètre. Nous avons aussi simplifié les rythmiques et renoncé à certaines complexités pour pouvoir jouer ensemble dans une atmosphère très réverbérante, tenir des tempos et garder de la tension et de la précision.
Un but très important pour nous était de former autour de UPE un groupe (...), de générer du plaisir, du jeu et de la connivence.
Qu’est-ce que vous retenez de cette expérience de collaboration entre votre groupe et un ensemble de musique classique contemporaine ?
On en ferait bien une autre !! Serge ? C’était ouf !
Au fait, que signifie le nom de UPE ?
La rivière, le flow.
La version 2022 est présentée comme une version augmentée. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
En premier lieu, nous devions composer une pièce de 15 minutes. Vu que le processus s’est bien passé et que son écriture était riche, l’idée était de prolonger certaines parties de la pièce, de laisser le temps au différentes parties d’exister plus justement. L’idée a donc été de la pousser à 25-30 minutes, ce qui naturellement et sans rajouter de partie à la pièce s’est opéré lorsqu’on la reprise avec un ensemble réduit à 7 cordes cette année, pour Label Suisse à Lausanne. La version plus compacte de l’ensemble a paradoxalement rendu la pièce plus dense en renforçant la dynamique de groupe et en donnant plus d’espace d’interprétation à chacun(e).
Le 29 janvier, au Victoria Hall, Massicot jouera aussi son propre set. Y aura-t-il de nouveaux morceaux ? Un nouvel album en perspective ?
Alors… ce n’est pas vrai ! Massicot ne jouera pas de set à cette occasion. On est en ce moment en pause : trop de projets, peu de temps et surtout envie de revenir, le cas échéant, avec de la nouveauté. Mais pour ça, il nous faut du temps et nous n’en avons pas pour Massicot en ce moment. Affaire à suivre.
En attendant par contre, on vernit donc ce disque UPE sur le label de la Cave12 à l’occasion de ces trois concerts fin janvier à Lausanne, à la Chaux-De-Fonds et à Genève pour finir. Disque qui réunit donc l’enregistrement de la pièce à ARCOOP et la maquette en face B. Objet totalement ovni mais pour les impatients de la suite de Massicot si elle doit naître, voilà déjà un petit album bien spécial qu’on se réjouit de vous présenter.