> Mag > Spectacle > Riyoji Ikeda : attention, ça glitche !
Les espoirs étaient hauts pour cette soirée made in Antigel avec une des figures clés de la musique électronique faite art sonore et visuel, pour laquelle pas moins de trois membres de l’équipe Rictus avaient fait le déplacement. Le set coup de poing de l’américano-japonais et son projet esthétique radical étaient bien au rendez-vous mais, au final, les avis restent partagés.
Dans la série "Tant qu’à avoir des gens qui savent, autant écouter ce qu’ils ont à dire..." 4 questions à... Lieutenant Caramel.
1/ Qu’est-ce que tu venais chercher à ce concert ? qu’est-ce que tu attendais de lui ?
J’avais été enthousiasmé par les travaux de Ryoji Ikeda à Paris au Centre Pompidou en 2018, une exposition immersive avec deux installations intitulées « Continuum » et « Code-verse ». Il y avait cet univers de relation de l’image très proche avec le son en jouant sur des phénomènes perceptifs et équations mathématiques liés aux codes bar et aux systèmes numériques binaires de l’informatique. On se promenait dans un brassage incroyable de datas sonores et visuelles comme dans le labyrinthe du continuum de Leibniz. Dans cet espace, les enfants jouaient, les parents s’assoyaient pour prendre le temps de l’imprégner de l’univers des œuvres. J’attendais du concert de Genève une réponse à l’exigence de la scène, d’un public plus nombreux… Comment transposer des pièces sonores qui sont parfois monumentales chez Ryoji Ikeda à une salle de concert.
2/ Qu’est-ce qui t’a plu/intéressé dans ce que Ryoji Ikeda proposait ?
Ce qui me plait chez Ryoji Ikeda c’est que ses compositions musicales puissent être créées à partir d’une idée de processus comme travailler à partir d’une seule note, la (A) de notre merveilleux Bach et d’en déduire des combinaisons de différentes ondes sonores. J’ai toujours été intéressé par les minimalistes américains tels que Steve Reich, Phil Glass, Morton Feldmann, Terry Riley, La Monte Young qui réduisent au maximum la succession des évènements musicaux et peut se réduire à un long accord, avec un minimum de variations, ou à la répétition d’un motif simple. … Ce que j’aime c’est qu’un son unique puisse générer de la musique, que la puce d’une carte bancaire puisse donner l’envie de faire de la musique, de susciter les gens d’écouter leur environnement d’une autre manière.
3/ Qu’est-ce qui t’a manqué dans ce show ? Où est-ce que tu n’as plus adhéré à ce qu’il proposait ?
Annoncé comme un acteur majeur de la musique électronique, j’attendais une autre forme musicale qu’un son répétitif dont la texture rappelle la légendaire boite à rythme Roland TR-909 de 1983… C’était inintéressant et d’une grande pauvreté ! Effectivement, c’est efficace au niveau des sensations, les sièges bougeaient à cause des vibrations produits par les infrasons et basses fréquences mais pour moi c’était plus une nuisance sonore que le plaisir d’écouter une composition intelligence… je dirais que j’ai trouvé le concert pas mieux qu’un concert de Vitalic, Pan Sonic et nettement moins subversif que Kapotte Muziek, John Duncan ou Zoviet France pour ne citer que des groupes expérimentaux… Finalement, nous étions sur une production de concert électro, bourrin, sans finesse et sans humour, avec une agressivité froide inhabituelle chez Royji Ikeda et surtout sans proposition de rupture avec la scène techno. Jeudi soir à Genève, Ryoji Ikeda a quitté les rivages de l’Art pour venir nous faire le job d’un quelconque DJ et c’est qui m’a le plus attristé !
4/ Quels sont les spectacles ou œuvres qui ont été des chocs pour toi dans ce registre croisant les disciplines et en particulier le sonore et le visuel ?
Dans l’Art, il faut parfois ressentir de la magie, du rituel… on recherche également l’amour telle l’émotion d’une colombe qui traverse une scène pour survoler un cheval blanc. J’ai donc bien aimé par exemple le spectacle d’Art total « FALAISE » proposé par la compagnie BARO d’EVEL il y a deux semaines à Annecy (Bonlieu Scène nationale), symphonie de huit humains qui la composent au bord d’un précipice et traque le vivant dans une douce transe à même de résister au monde qui se décompose sous nos yeux.
Dans un concert, on peut également chercher d’autres processus de création, comme les expériences scientifiques de Pierre Henry qui joue en direct au festival Sigma à Bordeaux en 1971, la musique de son propre cerveau « Mise en musique du Corticalart » par un système d’électrodes imaginé par Roger Lafosse. Je suis toujours séduit par les concerts acousmatiques du groupe Futura à Crest, longtemps dirigés par Denis Dufour, j’aime également les performances sonores à Londres ou Berlin de Frédéric Acquaviva. Il y a aussi les performances réalisées à Annecy par Exotical.org qui s’intéresse aux environnements complexes visibles, invisibles, matériels et immatériels en recherchant les synthonisations, bruitistes, hallucinatoires et exotiques, ouvertes aux synchronismes de l’accident intégral, j’ai notamment le souvenir d’un de leurs concerts mémorables à la Fondation Salomon en 2017 sur une expérience PK de Jean Pierre Girard où le son était produit de manière psychique. Pour conclure, le concert doit être pour moi, un lieu de rupture artistique, d’amour et d’émotion.
Riyoji Ikeda, c’est d’abord un nom, une esthétique caractéristique, immédiatement reconnaissable à ses projections grand format ultra graphiques, son imaginaire de haute précision inspiré par les mathématiques et l’informatique — il a d’ailleurs effectué une résidence au CERN. Mais au-delà de ça ? Est-ce qu’un sens émergera du bombardement hyper technologique ? Une émotion ? C’est le genre de questions qu’on garde dans un coin de la tête en se rendant au concert, dans le cadre décalé de l’Alhambra, salle de spectacle genevoise historique au cachet indéniable.
Concert, et non installation monumentale immersive du type de celles qui ont fait la renommée de Riyoji Ikeda. Ici, l’esthétique futuriste très au point est mise au service d’un dj set d’entrée de jeu très rentre-dedans. Feu nourri de beats glaciaux, déflagrations martiales de drum’n bass métallique, chaque beat s’imbriquant, mutant dans le suivant à un rythme soutenu. Une esthétique cut, abrupte, qui colle parfaitement au flux ininterrompu et ultra-syncopé – épileptiques s’abstenir — de figures géométriques géantes sur l’écran. Image et son correspondent point par point : noir et blanc pour univers sonore presque uniformément rythmique (quelques voix font leur apparitions vers la fin), minimalisme des figures et froideur métallique des sonorités.
Chez Norman McLaren — ma référence en matière d’enchevêtrement visuel et sonore —, formes et couleurs deviennent une sorte de partition tandis que la musique en vient à paraître visuelle par mimétisme. Ici, au contraire, l’interaction est strictement limitée, sous contrôle, le visuel totalement conditionné au son dans une synergie impressionnante, qui donne parfois lieu à de véritables sensations de flashs esthétiques. Un set coup-de-poing qui visait clairement à laisser le spectateur auditeur sur-stimulé, comme en état de choc.