> Mag > Musique > Tachycardie et Horse Lords, musiques intempestives au Ciel
La diffusion des dates de la tournée européenne de Horse Lords, courant août, avait un peu des airs de débarquement bis, après ces longs mois de frontières étanches. Sur la date au Ciel, le nom de Tachycardie — projet expérimental touche-à-tout et coup-de-poing du batteur de Pneu –- venait s’ajouter à l’affiche et jouer de façon décisive en faveur d’un trajet jusqu’à la salle grenobloise.
Il y avait un peu de curiosité pour cette salle pas tout-à-fait comme les autres, aussi. Située aux abords du centre-ville, avec ses airs de cinéma à l’ancienne. Rangées rouges des 175 fauteuils : ici, on regarde la musique. Pourquoi pas ? Vu la programmation pointue, sorte de trait d’union entre celle du 102 et les salles de musique actuelles plus classiques, un bon fauteuil n’est probablement parfois pas de refus.
Jean-Baptiste Geoffroy est connu comme le batteur des phénoménaux Pneu, duo qui, avec d’autres – notamment au sein de la Colonie de vacances – a écrit une page du math-rock en France depuis le milieu des années 2000 environ.
Dernièrement, son activité débordante semble se porter davantage sur les musiques dites expérimentales ou exploratrices. Tachycardie, le projet solo dont le deuxième album est paru il n’y a pas si longtemps, est un précipité de ces mouvances.
Déjà, le matériel hétéroclite qui est disposé sur scène interroge : une grosse percussion en céramique, des cloches, des bols, des jouets mécaniques, quelques toms, des câbles et des machines électroniques. Avec « Pas élevé, se nourrit », le 1er morceau du disque, long roulement de baguettes ultra rapide qui s’enrichit très lentement, le concert est immédiatement d’une intensité surprenante. Eléments électro-accoustiques, approche minimaliste ou au contraire free et sauvage et même des moments de percussion quasi-rock où on retrouve le groove puissant du duo tourangeau - tout cela se mêle et fait corps très naturellement dans la musique de Tachycardie.
D’autant plus qu’elle s’incarne sous nos yeux, qui suivent médusés les mouvements étourdissants des baguettes, tandis que le cerveau tente d’assimiler les informations nouvelles et désorientantes qui lui sont envoyées en flux dense et ininterrompu.
Les américains de Horse Lords sont une découverte récente. De celles qui n’avaient rien d’évidentes au premier abord. C’était un nom qui tournait dans l’air, qui revenait comme une petite musique, mais le kraut-rock -– terme qui désigne à l’origine le rock répétitif et novateur joué par des groupes comme Neu ! ou Faust depuis les années 70, une sorte de pré-post-rock — avait été loin de faire mouche au premier coup.
Faut dire que les américains ne font absolument pas dans la séduction. Leur son est brut, sans âge et sans apprêt ou effet qui pourrait l’habiller, et leurs compositions et le jeu même relèvent d’une forme de minimalisme assez austère.
Pas de couplet, pas de refrain, pas de breaks, surtout pas de solo. Bref, une musique assez étrange a priori et peut-être dérangeante pour l’auditeur lambda, d’autant que l’influence africaine très présente dans le jeu de guitare, des accents jazzy ou des drones sibyllins ajoutent au côté indéfinissable de leur musique.
Et pourtant, pourtant… pourtant c’est précisément ce dépouillement qui permet à l’oreille de prêter une attention accrue aux structures labyrinthiques des morceaux, de réagir avec davantage de sensibilité aux décalages rythmiques très contrôlés du groupe, aux éclats qui parsèment sa musique, comme sur l’excellent « Fanfare for effective freedom ». Et c’est dans cette tension entre une temporalité singulièrement étirée et les accidents qui la parcourent – un des titres du dernier album se nomme justement « Integral accident » – que la musique de Horse Lords se révèle d’une richesse insoupçonnée et prend tout son sens.
Sur scène, l’exécution est, comme on s’y attendait, très méticuleuse, irréprochable. L’excellente acoustique de la salle donne au son une présence saisissante. Etat proche d’une hypnose hyper sensible, brusques embûches et surprises, montées en tension extatiques. Loin, très loin des sentiers musicaux trop fréquentés.