Magazine culturel contributif en bassin franco-valdo-genevois

> Mag > Musique > Au secours ! Les poulpes métalliques nous attaquent !

Les Steppes, Annecy

Au secours ! Les poulpes métalliques nous attaquent !

mardi 23 avril 2024 par Lt. Felipe Caramelos photographie , rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu Entretien

Ce soir, nous pensions assister au go live du Printemps des poètes, il n’en fut rien et nous avons choisi d’aller aux Steppes où les calamars ninja ont sauté comme des petits pois verts toute la soirée. Les deux groupes invités, The Third Project et Blackbeard, ont inondé à tour de rôle la petite salle devenue grande avec un éclairage produit par des jeux de lumière stroboscopiques qui captaient la fumée et la sueur de la foule. Les fans vêtus de noir étaient près de la scène, prêts à se lancer dans le mosh pit au moindre accord, coincés entre des musiciens prêts à gueuler dans un jeu extrême produisant un rock très lourd et énergique. À noter le soutien que nous apportons chaleureusement aux membres des Steppes, lieu qui pourrait être en danger de fermeture dès cet été.

“Au secours ! Les Poulpes métalliques nous attaquent ! »

Le groupe BlackBeard prend place et, déjà les premières notes grondent à travers les amplificateurs surpuissants. La musique est rapide, lourde et chargée d’émotion, avec des riffs de guitare complexes, une basse profonde et une batterie frénétique. Les chanteurs Jérémie Vailloud et Julien Doucin alternent entre des cris perçants et des mélodies claires à la guitare, les paroles souvent introspectives, lorsque le public arrive à les saisir. L’énergie est contagieuse ; la foule saute, crie et danse au rythme de la batterie d’Antoine Marmoux et de la basse de Jeremy Ziggy Bochart. Eric, une connaissance qui boit de la bière sans alcool, fait semblant de frapper le sol avec ses poings en se penchant, tout en avançant au milieu du pit par petits sauts ou pas… Ca chauffe drôlement ici pour un endroit finalement modeste mais ô combien nécessaire pour montrer ce genre de musique expérimentale.

Blackbeard éclaire les Steppes

Un concert de métal post-hardcore est plus qu’un simple spectacle, c’est une catharsis collective où les fans partagent leur passion pour la musique qui défie les conventions et exprime une intensité brute. Le deuxième groupe, The Third Project, apparaît sur scène avec un trio de musiciens aux projets passionnants. L’un de leur dernier CD The rise and fall of the Ninja squids de 2022 est accompagné d’une magnifique bande dessinée réalisée par le batteur Janours où on parle d’anomalie spatio-temporelle qui projette nos héros vers une destination inconnue. Bravant les épreuves innombrables, ils s’en sortent à la fin et rejoignent leur galaxie grâce à un breuvage magique : une IPA locale vendue par les Steppes si j’ai bien tout compris.

Tout ça est un peu complexe mais ça marche bien, efficacité garantie dans les riffs lourds de sens et les trois voix du groupe sont connues pour passer d’un chant mélodique à des growls profonds et intimidants qui ajoutent une atmosphère bizarre à leur musique. Le show pourrait s’accompagner d’éléments de rituels et de symbolisme occulte mais il n’en est rien dans la mesure où la dérision en mode manga est au centre de leur préoccupation quotidienne.

Leur message est complexe :

Y’a plus de yaourts pruneaux à la maison… Ni de pitchs à la fraise »

Leur texte est un petit délire, notamment dans la chanson « Quantic Doggy bag » :

The amazing force of the atoms, transforming pso-pse into rockets.
Power of stars, hidden inside the croquettes, the human race saved by a kind of a science.

Leur musique avec la basse de « Fancy mustache Jean-Seb » balance de gros champs d’astéroïdes sur le public, rien à voir avec des hémorroïdes mais attention aux gros salauds de méga poulpes géants. Vous l’aviez compris avec The Third project, il faut aimer les gros délires et nous avons été bien servis ce soir ! Sachez également qu’ils sont en tournée au Canada en ce moment et qu’ils reviendront en tractopelle.

Set list de The Third Project
1. George Lewis and co, 2. Zelda, 3. Cassandra, 4. Quantic Doggy bag, 5. Huguette, 6. Constant noise, 7. Redemption, 8. Pandemic Dishwasher, 9. Teraflop
Plus autres morceaux que je n’aurais pas capté

L’interview de Florian Pichollet par le Lieutenant Caramel

Interview de Florian Pichollet

(Chanteur guitariste du groupe The Third Project et créateur du projet L’Orchidée cosmique)

Quels sont projets sur lesquels tu travailles actuellement ?

Pour le moment c’est plutôt The Third Project, groupe de métal, alternatif, post-hardcore, et un peu de noise aussi. C’est un projet qui dure depuis pas mal d’années, le premier enregistrement date de l’année dernière, ça s’appelle The Rise and Fall of the Ninja Squid. C’est sorti en format bande dessinée, jeu vidéo et la BD accompagne le CD. C’est vraiment un projet collectif à tous les trois mais j’adore ce qu’a fait le batteur en créant toute la BD et le jeu vidéo, donc chapeau à lui, il y a 50 pages de BD et la musique, les riffs sont mes compositions. On a eu beaucoup de changements de bassistes, mais là, ça va être cool, on a trouvé un bon line-up où on se complète tous en fait avec chacun à sa place.

Ce soir c’est du métal mais tu as également un projet solo qui s’appelle L’Orchidée Cosmique dans lequel on retrouve un intérêt sur les timbres, le son. Et ma question c’est : comment appréhender cette création sonore dans l’ensemble de tes créations sonores ?

Ça m’est venu après coup. Ca fait depuis le collège au final que j’ai des groupes de métal — je suis guitariste à la base — death metal, thrash metal, ce genre de trucs et, au final, tous les groupes se cassaient la gueule. C’est quand même assez dur de jouer en groupe, d’avoir un line-up qui se stabilise. Je voulais vraiment être indépendant, sans batterie acoustique non plus : c’était le but pour pouvoir jouer un peu partout. Ca fait moins peur au café-concert aussi. Voilà : c’est con mais c’est pour ça, ça permet de jouer plus. Pour le style de L’Orchidée cosmique, je me laisse un peu aller au feeling parce qu’en plus j’écoute pas trop spécialement d’ambient ou de de noise, ni de trucs barrés comme ça. C’est vraiment en passant du temps à jouer tout seul et en pratiquant les instruments, que ça s’est fait, finalement.

Et, d’un point de vue historique — parce que, là, tu cites des groupes actuel — est-ce que tu as des groupes ou compositeurs dans l’histoire de la musique qui influencent ta musique et ton approche expérimentale ?

L’Art des bruits de Luigi Russolo, c’est une découverte qu’on a faite ensemble. Quelque part, c’est ça, mais, franchement, ce n’est même pas de la musique que j’écoute trop chez moi. Tout ce qui a un rapport avec l’ambient, la noise et tout le reste, j’aime beaucoup la jouer en live, en fait…mais ce n’est pas ce que j’aime le plus écouter !

Et qu’est-ce qui t’intéresse dans la noise  ? C’est le chaos ? Et si c’est le chaos, comment trouves-tu ton équilibre dans un projet comme L’Orchidée Cosmique, où des moments d’apaisement suivent les moments d’apocalypse.

Ouais, ce que j’aime beaucoup, c’est les variations, parce que je peux autant jouer la carte un peu ambient , nuancer avec des parties plus composées avec des sons de batteries, des parties un peu plus post métal. Finalement, on peut dire que c’est vraiment le travail de la nuance qui est important pour construire un set en fait, tout simplement. L’Orchidée, c’est un tout. Je ne compose pas sur ordinateur, c’est du live , en répète et en public...

C’est quoi pour toi la noise finalement ?

Un peu la carte de la liberté, je trouve. Vraiment...

Tu parles du son enregistré ou tu ne travailles qu’avec des machines ?

Un peu les deux. Pour les sons enregistrés, je chope des samples de voix que je vais chercher dans des bases de données de la BBC qui sont libres, de la NASA. Il y a pas mal de plateformes, en WAV… Il y a vraiment les trucs qui sonnent directs. Donc ouais, vraiment la liberté, parce que du coup, je fais la part des choses entre cette partie un petit peu noise, où tu peux te permettre des choses, et puis revenir sur des parties un peu plus composées, métal, pour que cela soit un set un peu nuancé.

Tu parlais d’aller chercher les sons dans des bases, elles sont très bien en effet, mais est-ce que tu ne crois pas que le son en lui-même, avec ses qualités propres, ce n’est pas déjà une approche artistique dont tu voudrais dans un futur en être l’auteur ?

C’est vrai que poser des textes pour dire des choses un peu plus personnelles, ça pourrait être vraiment cool.

Enregistrer tes sons, aussi ?

Enregistrer mes sons, non, ça je n’y pense pas trop, je t’avoue. Finalement, c’est vrai que je n’y ai pas trop pensé, parce que je pourrais peut-être gagner du temps pour finir et trouver...

Et surtout de la qualité...

Après je fonctionne un peu à l’oreille aussi. Après, que ce soit composé par moi ou que ce soir un sample déjà existant...

Je te parle de ça parce que je trouve qu’il y a une approche de l’écoute dans ta musique, on sent que tu es dans l’écoute du son …

Et c’est effectivement ce qui m’intéresse. C’est ce que j’aime bien dans le métal, aussi, c’est l’aspect public : sortir du studio pour aller vers un public et avoir un son live, c’est le plus important de toute façon. Je crois que je fonctionne comme ça pour tous mes groupes. On compose en répète en live, on travaille des trucs. On ne compose pas sur PC, VST ou des trucs comme ça … C’est vraiment du live pour peut-être s’enregistrer après, aller structurer des morceaux. Je n’ai jamais composé un morceau derrière un PC.

As-tu le rêve d’en faire peut-être ton métier ? Même si, pour le moment, j’imagine que c’est plutôt du plaisir...

Oui,du plaisir et beaucoup de temps ! Bien sûr, si je pouvais en vivre, ce serait top. Pour l’instant, je donne des cours de guitare dans une petite asso à côté de Chambéry. J’essaie de développer au final un petit peu tout à côté. Toutes les dates que je fais, que ce soit pour The Third Project ou L’Orchidée cosmique, je n’ai pas de booker… Je m’en sors avec les cours de guitare, ce qui est pratique car tu as quand même pas mal de temps à côté, que je mets à profit pour développer mes projets. Par plaisir de faire tout ça moi-même, déjà, et pour éviter d’avoir des frais en plus.

On a l’impression qu’il y a en ce moment un nouveau dynamisme dans la scène indépendante et grâce à ces lieux aussi indépendants que le Brin Zinc, les Steppes, le Poulpe et bien d’autres. Pour toi, c’est un environnement motivant ?

Bien sûr, surtout quand tu vois que des gens se bougent pour faire jouer des gens, quel que ce soit le style. Je préfère jouer dans un endroit courageux qui programme des genres de musiques différentes.

Et tu essayes de raconter des choses dans ta musique, je veux dire, par rapport à des lectures, des films... Est-ce que tu as des préoccupations artistiques — on parlait d’Art Total, de beaux-arts, de littérature… Ta musique, c’est seulement du son ou on peut y trouver autre chose ?

Lire ? je n’aime pas trop. Et le texte, ce n’est que des samples. Et puis, dans The Third Project, c’est encore une fois tout le batteur qui fait les textes et tout.

D’accord, donc : pas de revendication vers un nouveau modèle de vie ? Pourtant, tu t’appelles L’Orchidée cosmique donc il doit bien y avoir un côté mystique ou une recherche de quelque chose que tu ne connais pas encore ?

Jeune, j’aimais bien les films comme Le monde du silence du Commandant Cousteau. Après, c’est vraiment plus pour le côté nature même si je voyais vraiment une sorte de voyage vers nulle part.

J’ai une avant dernière question, as-tu un rêve en particulier par rapport à ta musique, qu’est ce qui pourrait te faire rêver là tout de suite ?

Pour de vrai ? Oui une tournée au USA d’un mois en première partie de Converge, groupe punk hardcore originaire de Salem. Les gars m’appellent, un désistement imprévu, un truc comme ça !

Est-ce qu’il y a une question que je ne t’ai pas posée que tu aurais voulu que je te pose ?

Question piège pour moi mais : pourquoi je fais de la musique ? Ca, c’est important. Et cependant, je crois que... ne pas savoir c’est bien, aussi. Surtout je pense que c’est parce que je me sens bien quand je fais ça et je ne vois pas trop ce que je pourrais faire d’autre en fait.

Portfolio

Commenter cet article

Pour participer ici, vous devez vous connecter avec l’adresse mail de votre inscription sur Rictus.info.