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Vous pourrez dire : « J’y étais ! »

samedi 30 novembre 2024 par Christophe Chedal Anglay photographie , Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Le samedi 2 novembre s’est tenu dans la salle de création de l’auditorium de Seynod un concert comme on n’en fait plus. Au menu : quatre trios pour le prix d’un avec The Third Project, Mornifle, Baratro et Doppler, de la bière cheap et beaucoup de copains.

Le public d’Annecy et au-delà ne s’y était pas trompé et la petite salle de taille idéale était bien remplie – il faut dire que si le line-up originel du concert faisait déjà saliver, l’apparition surprise de Doppler sur l’affiche avait carrément donné quelques palpitations !

The Third Project
The Third Project
Christophe Chédal


Mornifle
Mornifle
Christophe Chédal

Et c’était aussi – enfin ! — l’occasion de voir The Third Project, dont l’album avait été chroniqué dans ces pages et où on retrouve Florian de L’Orchidée cosmique. Métal hurlé, volontiers technique, comme un rejeton métallisant du hardcore new school des années 90 – bien qu’on puisse aussi entendre un fond rock et punk dans leur musique. Jahnours, derrière sa double pédale, prend quelquefois la parole et ça finit souvent en bonne blague – mais pas tant que ça, finalement. Vu le ton de leur album, on aurait pu s’attendre à davantage de comédie mais le groupe est plutôt appliqué et concentré.

Avec Mornifle, le deuxième trio de cette soirée thématique, on monte encore d’un cran dans la lourdeur. Oppressant et massif mais aussi net, souple, très défini, le son calibré est un des points forts du groupe et sert très bien son propos. De la fureur et de la lourdeur mais aussi de petits motifs mélodiques qui sonnent franchement post-rock et des rythmiques qui peuvent être dansantes ou presque. Le groupe est solide et très consistant en concert même si une sensation de manque subsiste à l’écoute de cette musique majoritairement instrumentale.

Racé, urgent, avec juste ce qu’il faut de peau sur les os et pas un gramme de trop, le noise-rock de Doppler démarre sur les chapeaux de roues et leur set entier sera comme une longue décharge, un shoot d’électricité pure à l’intensité maximale, à l’image du sourire extatique dont ne se départira jamais le visage du bassiste.

Doppler
Doppler
Christophe Chédal

Du bruit taillé, sculpté dans ses moindre détails, depuis les stridences de guitare au grain fin des cymbales et aux cadences abracadabrantes que pose et superpose la batterie de Yann Coste. Voix haletante et distordue, rythmes à l’envers, basse inamovible, guitare sujette aux déraillements, tous les ingrédients du noise-rock supersonique sont là et plus encore, pour un résultat qui me donne toujours l’impression de synthétiser, de conclure toute une période, toute une lignée de groupes passant par Basement et jusqu’à Portobello bones dont l’esprit frappeur et joueur semble s’être mystérieusement transmis à travers les générations. On aura par ailleurs un aperçu du futur avec quelques nouveaux morceaux, des éclairs de son plus clair, atmosphères denses aux tonalités presque jazzy, peut-être.

Après la tornade Doppler, la salle est un brin dévastée, le public se retrouve à l’extérieur pour souffler et faire le point et un certain nombre décide que c’est bon, c’est fini, dodo, Doppler a plié le game. On peut légitimement se poser la question et douter de la pertinence de donner une suite, même si elle inclut le bassiste d’Unsane...

Mais c’est faire peu de cas des trois lascars de Baratro qui, casquettes vissées sur le crâne, ouvrent les hostilités sans sourciller – même si c’est devant une salle un peu

Baratro
Baratro
Christophe Chédal

plus clairsemée (et en même temps, pour Dave Curran, c’est pas comme si c’était la première fois). L’air alors se sature de pression sonore, qu’on ressent physiquement, qui pousse les murs. La distorsion grésillante omniprésente infecte le moindre recoin, la moindre centimètre carré de la salle, et forme l’arrière-plan sur lequel se détachent les gueulantes stoner magistrales de Dave Curran et les profondeurs rocailleuses de sa basse.

Baratro joue dans la cour du noise-rock extrême, façon USA/Mexico ou Gnod, dont le batteur arbore le tee-shirt au slogan prémonitoire « Just say no to the psycho right-wing fascist industrial capitalist death machine ». Placé au centre de la scène et de l’attention, il martèle imperturbablement et méthodiquement ses contre-temps à la caisse claire, pulsation hypnotisante et désarticulée de ce noise-punk punitif et finalement plutôt plus chaotique qu’Unsane. Certes, l’agression sonore de Baratro est plus rustique que l’avion de chasse Doppler, plus pesante, plus malsaine, plus bas du front, mais j’ai pris plaisir à leur set de bout en bout et, si il y avait un prix du groupe punk de la soirée, ils auraient certainement mon vote.

Baratro
Baratro
Christophe Chédal

Vous avez peut-être déjà entendu des anciens raconter leurs souvenirs de concerts de telle ou telle formation mythique et radicale – au hasard, Swans dans les années 80 – où « le groupe a branché les amplis et joué si fort que la moitié (ou la totalité selon les versions) a quitté la salle ». La vérité, c’est que c’est exactement ce genre de concert auquel nous avons assisté. On ne peut qu’espérer que cette très heureuse initiative ait une suite – et pourquoi pas avec Big’N qui vient de sortir un album, tiens !

En attendant, on pourra dire : « On y était ! »

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