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Horror politics, sorti en novembre dernier, est la suite très sombre du premier album du duo suisse formé par Frédéric Minner et Stéphane « Povitch » Ausburger. Entre doom funéraire, jazz hagard et approche concrète de la musique, ce deuxième disque tient-il ses promesses ?

Voici donc, après Junkie movie music, très apprécié par ici, le deuxième album de Mademoiselle plume rouge. Une sortie plutôt discrète, puisque seul un lien depuis le bandcamp du groupe renvoie vers le label italien, Signora ward, qui devrait sortir la version vinyle de ce qui n’existe pour l’instant qu’en format numérique. On sait, depuis une certaine interview parue dans ces pages, que ce deuxième album est en réalité basé sur les premières séances d’improvisation du groupe, retravaillées pour l’enregistrement. On y retrouve le goût du duo suisse pour les longues pièces structurées en mouvements distincts et pour l’unité thématique. Ici, c’est la montée angoissantes des régimes illibéraux, en Europe et ailleurs, qui fournit la trame dystopique du disque et lui donne des airs de concept album. Depuis le beau visuel de la pochette façon Metropolis jusqu’aux titres des deux uniques morceaux : « A shadow over the parliament » et « Black mass in the senate ». Dix-sept minutes chacun.

La production du disque est absolument irréprochable — Father Murphy et John Dieterich aux commandes — : le grain de la basse, les éclats métalliques du saxophone, le craquement des enregistrements de voix s’entendent avec une définition admirable. La grande différence avec Junkie movie music, c’est un usage moindre de la réverbération et une utilisation très différente, plus discrète, des boucles d’effet, dont les décalages et les superpositions étaient pour beaucoup dans le caractère halluciné, psychédélique, du premier album. Mais on était prévenus.

Les deux longs morceaux se font donc face et leurs trois mouvements respectifs se regardent en miroir. « A shadow over the parliament » s’ouvre sur une basse au pas lent et lourd, sur laquelle défile une bande-son angoissante de voix enfantines trafiquées. Le saxophone viendra y découper des arabesques désolées, fascinantes, aiguës et tranchantes comme du verre. Cette première partie incisive mène à un courte éruption de basse noise-rock et de saxophone free, pour s’éteindre enfin sur la voix amère d’Ezra Pound, annonciatrice des temps sombres à venir. « Black mass in the senate » débute par un drone oscillant sur laquelle planent des notes vagues, une mélodie pauvre et désorientée qui semble errer dans des odeurs de souffre. Les secousses sismiques de la basse ouvre la voie à une curée de porcs, symphonie de grognements et de déglutitions, que vient clore un petit air entêtant, sorte d’épilogue funèbre.

Mademoiselle plume rouge livre donc ici un deuxième objet musical non identifié, qui respecte son programme de musique expressionniste. Si on y retrouve la théâtralité et les choix radicaux et originaux du groupe, on garde tout de même une préférence pour l’ampleur et la musicalité inédites qu’avait su développer le premier album. On attend tout de même la suite avec impatience.

Mademoiselle plume rouge, « Horror politics », Signora ward (novembre 2022).

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