> Mag > Musique > NoaRt et l’avancée de la contre-culture musicale dans les deux Savoie
Les Steppes, Annecy
Dans l’ombre des grandes salles de concert, une contre-culture musicale émerge depuis déjà un certain temps dans les recoins discrets des villes de Savoie et Haute-Savoie. Des bars comme Les Steppes, La Spirale 16, le Bistro des tilleuls (Annecy), Le Poulpe (Reignier), Le Brin de Zinc (Barberaz/Chambéry) deviennent de véritables refuges de la culture alternative [1] et se dressent comme des bastions de la créativité sonore. Ces lieux offrent une atmosphère intimiste plus propice à l’expression artistique non filtrée que celle des scènes « officielles » qui tendent à devenir des bunkers présidés par des administrateurs et des tourneurs aux idées vieillissantes qui peinent à jouir pour découvrir de nouveaux talents. Ces nouveaux lieux atypiques, souvent dissimulés dans des zones industrielles ou quartiers méconnus, deviennent ainsi des sanctuaires pour des esprits avides de découvertes musicales en dehors des sentiers battus, offrant ainsi une plateforme aux artistes indépendants qui repoussent les limites du conventionnel.
La semaine précédente, Olivier, le défricheur de l’Atelier Nautilus, m’embarquait au Brin de Zinc à l’excellent concert de l’artiste à l’action montante, L’Orchidée cosmique et, ce samedi 9 décembre, de nouveau je me retrouvais avec lui dans un restaurant-bar du quartier de Novel Les Steppes pour une célébration post-punk cold wave du groupe originaire de Reignier : NoaRt Le répertoire de ce groupe embrasse le rock indépendant, l’électro expérimentale, le punk, et bien d’autres mouvements artistiques comme ses membres l’évoquent dans l’interview. NoaRt comme d’autres groupes méconnus du grand public, trouvent dans ces bars une tribune où leurs créations peuvent être célébrées sans compromis devant un public motivé et bienveillant. Ces soirées sont autant de voyages sonores, où des mélodies inédites se mêlent aux murmures des conversations, de belles rencontres se produisent, créant une symphonie unique propre à chaque établissement. Au-delà de la musique, ces bars deviennent des incubateurs culturels, propices à la fusion des arts et des idées. Des expositions d’art underground, des performances théâtrales impromptues et des débats intellectuels peuvent également enrichir l’atmosphère de ces lieux alternatifs. Ces espaces deviennent ainsi des laboratoires de contre-culture où les esprits libres convergent pour célébrer la diversité et défier les normes établies… Et aussi, plus simplement, passer une bonne soirée entre amis en buvant plusieurs bières du terroir local, sans se prendre la tête, échapper à la monotonie du quotidien en s’aventurant hors des sentiers battus... pour se cultiver.
Lieutenant Caramel : Tout d’abord un grand merci pour le concert de ce soir, pourriez-vous présenter votre parcours en quelques mots ?
Pascal Perla (chanteur, leader et fondateur de NoaRt) : J’ai commencé la musique en jouant de la batterie dans plusieurs groupes punk. Dernièrement, j’étais dans le groupe Catalgine, un trio post-hardcore. Par suite du split pour diverses raisons personnelles et familiales, je me suis lancé dans un projet solo pendant le premier confinement. J’avais pas mal de vieux textes que j’avais envie de mettre en musique et, en avançant, j’ai réalisé qu’une basse et une guitare seraient un accompagnement parfait pour accompagner les sons électroniques de la boîte à rythme. Guillaume (ex-Shivaz) est arrivé, d’abord à la basse et aujourd’hui à la guitare et Simon est devenu le bassiste.
Guillaume (guitariste) : J’ai joué dans plein de groupes aux styles différents, à la guitare, basse ou au chant. Shivaz (rock) fut ma plus longue expérience.
Simon (bassiste) : J’ai une culture musicale très éclectique. J’ai grandi en écoutant autant du punk hardcore que du jazz fusion. J’ai joué dans des formations punk, jazz et rap en dehors de la région. Pascal, Guillaume et moi sommes très différents et proches à la fois, le clair-obscur de notre musique est probablement le lien à notre image commune.
Vous portiez un tee-shirt de Bauhaus ce soir, la scène musicale des années 90 a été marquée par l’émergence de la musique électronique. Quels artistes ou groupes de cette période considérez-vous comme des pionniers dans ce domaine ?
Pascal : Les premiers groupes qui me viennent à l’esprit sont évidemment Kraftwerk et DAF. Et pour Bauhaus, c’est une longue histoire. J’ai pris une claque lorsque j’ai écouté leur premier album à 15 ans sur des titres comme « In the flat field » ou « Nerves » aux ambiances tendues, très sombres et humides !
Guillaume : Dans les années 90, je commençais à faire de la musique, les influences à l’époque étaient Pink Floyd, la Mano Negra et surtout ce que les amis me faisaient découvrir. J’ai toujours cherché à ne pas m’enfermer dans des carcans musicaux en mélangeant un max d’influences.
Simon : Je vais faire mon intello mais il y a des trucs de fou chez Miles Davis ou Herbie Hancock, des sons de synthés complètement délirants. Mais ma vraie claque a probablement été la découverte des Beastie Boys !
Comment percevez-vous l’évolution de la new wave au fil des années 90, en particulier par rapport aux influences électroniques ?
Pascal : Cela a été une bonne évolution car des groupes comme Dépêche Mode, Soft Cell, OMD, Killing Joke et encore bien d’autres inspirent encore aujourd’hui des groupes actuels comme She Past Away, Ash Code, Potochkine…
La scène alternative des années 90 a souvent été associée à des mouvements sociaux et culturels. Dans quelle mesure pensez-vous que votre musique reflète ces tendances ?
Pascal : Je suis influencé par Proudhon, Malatesta, Albert Camus ou Sartre… je viens du milieu ouvrier et j’en suis fier. À une certaine époque les ouvriers n’avaient pas accès à la culture, à l’art et à l’éducation car certaines personnes ne voulaient pas qu’on s’élève socialement et qu’on prenne leurs places. C’est plus ce genre de luttes qui se reflètent dans notre musique… On a sûrement les mains sales mais beaucoup moins que certains.
Guillaume : Notre musique reflète surtout, selon moi, le ressenti et les expériences de Pascal qui créé tous les morceaux. N’ayant pas d’expérience dans ce style musical, je reste ouvert à ses indications, en apportant ma touche personnelle. Au niveau idéologique, j’avoue avoir eu la chance de ne pas connaître trop de galères et donc de profiter d’un système qui, pour moi, n’est pas si pire.
Simon : Ouroboros !… Les costumes changent mais l’histoire est la même !
Vous évoluez souvent dans des endroits alternatifs comme Les Steppes ou le Poulpe, à Reignier, dont vous êtes originaires ! Lieux importants pour la promotion d’une certaine idée de la culture... Comment pourrait-on aider encore plus ces pratiques musicales ?
Pascal : Oui, on aime jouer dans ce genre de lieux qui sont là pour promouvoir la scène locale et c’est tout à leur honneur car je rappelle que les concerts sont gratuits pour le public. La meilleure façon de les aider serait de venir très nombreux et de faire vivre ces lieux. On remercie Le Poulpe de nous permettre de répéter, avec quelques autres groupes du coin, dans leurs locaux et aussi Les Steppes, le Bistro des tilleuls où on est super bien accueillis, avec de très bons souvenirs de concert !
Guillaume : En effet, ayant beaucoup écumé les salles et bars de Haute-Savoie depuis 2000, j’ai constaté la perdition de lieux d’expression artistique en parallèle de l’expansion de l’individualisme technologique (smartphone, internet…) Il faut redonner le goût à la jeunesse de sortir, découvrir, essayer !
Simon : Heureusement qu’ils sont là pour faire vivre la musique et l’art de manière générale. Il ne manque que des spectateurs pour que tout soit parfait. L’entrée est toujours gratuite, les programmateurs se démènent pour faire découvrir de nouveaux artistes et proposer des affiches de qualité. Mais il y a aussi des soirs bien vides de public, c’est assez aléatoire. Ce serait cool si les gens retrouvaient le goût de se perdre dans une salle locale pour faire consciemment la connaissance de groupes ou de styles musicaux qu’ils ne connaissent pas.
Que pensez-vous de la pratique en amateur ? Au-delà du fait que lundi vous allez retourner travailler en rêvant peut-être faire une carrière professionnelle ?
Pascal : C’est cool ! On répète les vendredis soirs et on boit des bières. Sinon, c’est quand même un peu la galère pour trouver des dates car le peu de lieux qui restent croulent sous les demandes de centaines de groupes mais ça va, on prend ça tranquillement. On s’amuse, on rencontre des gens très cool, ça nous sort de la routine du boulot. Certains pratiquent le sport, nous on fait de la musique sans aucune prétention professionnelle.
Guillaume : Pour continuer sur le thème précédent, je me désole de la perte de vitesse et du manque de groupes de « jeunes ». L’appât du gain, de la réussite immédiate, fait que les jeunes ne veulent plus galérer et recherchent un succès immédiat via les réseaux au lieu de tourner et faire vivre les petits lieux de diffusion (et cela le plus souvent à leurs frais).
Simon : Je suis excité à l’idée de jouer en semaine ou le week-end car ce sont des rendez-vous privilégiés où je m’éclate à faire ce que j’aime avec mes deux potes, où on partage avec les gens qui le veulent bien. C’est que du plaisir car c’est sans contraintes.
Une photo du film Les ailes du désir sur votre page facebook, votre nom NoArt qui intrigue... En quoi les mouvements artistiques ou films peuvent-ils influencer votre démarche musicale ?
Pascal : Oui, ça c’est pour moi ! Le cinéma expressionniste, les films en noir et blanc de série B, Bela Lugosi, Le cabinet du docteur Caligari et aussi le mouvement art déco dans toutes ses formes peuvent m’influencer au niveau de l’image. Dans les quelques clips qu’on a réalisés, on utilise le noir et blanc, le brouillard pour poser une ambiance de plomb et illustrer le propos du texte ou encore l’utilisation de la lumière bleue en concert pour une ambiance froide qui s’accorde bien avec la boîte à rythme et nos sons électro.
Pour terminer, quel serait votre plus grand rêve ?
Pascal : Qu’on trouve le moyen de ressusciter David Bowie. Il manque tellement et il m’inspire beaucoup. Un grand artiste parti trop tôt…
Guillaume : Je rêve que notre projet puisse se développer et que les week-ends soient pleins de concerts.
Simon : Si on trouve pour David Bowie, il peut y avoir Stiv Bators avec ?
[1] On peut encore consulter le répertoire constitué par le blog Rad-Yaute il y a quelques années - pas tout à fait à jour mais qui peut donner des idées !