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> Mag > Musique > Et le Blackout fut

Il était une fois un collectif dark qui décida d’organiser un festival dark dans une forêt dark. Et bien, croyez-le ou non, le résultat fût sacrément déjanté, convivial et festif.

Anthropoxie, le collectif à la noix de cocold qui secoue la vallée de l’Arve

C’est toujours la même histoire et il n’y a pas besoin qu’elle change. Une bande de potes, réunis et soudés par une même passion, qui se prend à rêver et passe à l’acte. Après trois soirées bien réussies sous l’appellation Un ange passe, le collectif se rebaptise Anthropoxie et enclenche l’étape suivante : un festival orienté sur les musiques sombres, soit un spectre allant de l’indéboulonnable post-punk aux sons plus électroniques de la dark-wave.

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- le site - photo Guillaume Collin
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Le lieu est trouvé — une grande clairière bordée d’arbres immenses, cachée dans un repli profond des hauteurs dominant Reignier -– et il est parfait. Lorsqu’on descend le chemin, raide, qui y mène après avoir avancé précautionneusement sur la route, raide, on découvre la chouette scène, le bar et l’espace restauration bricolés pour l’occasion, illuminés et scintillants dans le crépuscule qui tombe déjà.

En contrebas, c’est la sélection de l’activiste genevois et DJ invité pour l’occasion Zerox77, à base de classiques proto post-punk, death rock et cold wave, qui fait résonner les premiers échos de guitares glacées et brise la tranquillité de cette cathédrale de verdure. Prêts pour la bamboche triste ? Let’s go !

NoaRt soufflent le chaud et le froid sur la Haute-Savoie


C’est Noart — prononcez « Noir » ou « No Art », comme vous voulez -– qui ouvre le bal. Ce duo composé de Guillaume à la guitare, ancien des Atomic spunk et Shivaz souvenez-vous, et Pascal qui était le batteur de Cutter [1] au chant et rythmiques électroniques.

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- NoaRt (photo Léo Dautheribes)

Le groupe a sorti un EP au début de l’année. Noart, c’est la fusion de deux tempéraments, deux températures. C’est sensible à l’écoute mais cela devient évident sur scène. Les grosses basses monocordes qui sortent des enceintes et la voix plombée de Pascal tempèrent les ardeurs du guitariste et ses lignes mélodiques fougueuses qui ont presque quelque chose des envolées de U2 parfois -– ou de Muse, paraît-il.

Les gens arrivent au compte-goutte dans le grand pré, on se dit que c’est le début. Au final, le set est plutôt fluide et, malgré quelques ennuis techniques, il est bien accueilli par le petit public qui se presse devant la scène. Ce yin et ce yang se marient bien, donnent de l’épaisseur à un style qui ne demande qu’à être affiné, creusé, enrichi.



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- Oiseau sans coeur (photo Guillaume Collin)

Oiseau, as-tu du coeur ?

Ça n’avait l’air de rien mais c’était un petit coup de génie : des rideaux sur scène qui protégeaient les changements de plateaux des regards et qui entouraient ici de mystère un projet solo en forme de secret bien gardé. Lorsqu’ils s’ouvrent, c’est pour laisser paraître une étrange créature sombre, mi corbeau, mi drag queen martiale, qui se tord et se contorsionne sur les pulsations d’un électro massif et strident.

C’est Oiseau sans cœur, une dinguerie imaginée par Fabien, chanteur et guitariste des toujours actuels S Stantale, un de plus vieux groupes d’indus de Haute-Savoie. « Bof, trois semaines de répètes... », minimise-t-il au bar après le concert — et combien d’années d’amour de la noirceur, Fabien ?

La voix n’est globalement pas à la fête : elle a des inflexions lugubres qui évoquent Joy Division ou des crachats à la Skinny Puppy quand elle se fait bestiale, inhumaine. À l’image de la chorégraphie improbable de la créature sur scène, le projet joue des contrastes, pose ses voix venimeuses sur les mélodies fugaces de cette techno sombre, créant cet effet de romantisme décadent et désespéré si prisé de nos chers oiseaux de nuit. Pas de doute, le garçon sait y faire. Le public, à peine plus nombreux qu’en début de soirée, est sous le charme et lui répond avec enthousiasme.

Oiseau a bien réussi son coup.


Signé Lovataraxx


Faut se rendre à l’évidence : le public, malgré quelques arrivées tardives et valeureuses en provenance du 648 café, n’est pas vraiment au rendez-vous. Le pré qui pouvait accueillir des centaines de personnes ne se remplira pas. Alors, on se serre les coudes et on resserre les rangs, on rigole et on danse encore plus fort et on profite à fond du set du dernier groupe de la soirée.

Lovataraxx : difficile de n’avoir pas déjà croisé ce nom, tant le duo ex-grenoblois-maintenant-rapatrié-à-Lyon formé par Kleo Pattern et Almond Blossom enchaîne concerts et tournées avec régularité. Sans parler de leurs chouettes disques, dont leur premier album, Hébéphrénie, soutenu par les voisins genevois de Kakakids records.

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- Lovataraxx (photo Léo Dautheribes)

Là aussi, la musique fait la part belle aux sonorités synthétiques, aux lignes mélodiques entraînantes mais toujours lestées d’un zeste de noirceur, de dureté et de froideur pour faire bonne mesure. Mais Lovataraxx, ce n’est pas seulement une petite usine à tubes en demi-teintes, c’est aussi un show à part entière, avec captation live du groupe et du public en train de danser et retranscription en direct sous forme d’animations pop sur deux écrans de télé encadrant le groupe. Et c’est surtout la présence scénique magnétique de Kleo Pattern, sa voix androgyne, son chant martial scandant des textes en français, anglais ou allemand et sa façon de bouger à la fois robotique et combative.



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Sous ses airs évidents et minimaux, la proposition esthétique du groupe est riche et très travaillée. Sur scène, leur performance énergique multi-sensorielle s’empare des corps et met en branle dans les esprits un imaginaire complexe, un imaginaire de résistance, de lutte, de collectif et de fête. Sans avoir aucunement le besoin d’en passer par des slogans ou des prises de positions explicites, elle transmet avec force un esprit, un message réellement alternatif — en particulier sur l’image de la féminité et des rôles genrés. Le public présent réunit des horizons divers, — scènes rock ou punk, habitué des teufs techno ou juste curieux et ouvert d’esprit — qui, le temps de ce concert intense et immersif, font un seul corps, aiguillonné par le mouvement, enveloppé par le son.

Le set du duo laissera la place aux Djs, aux conversations, à la danse et à la fête non-stop. Anne von Klüz et sa sélection bien sentie de tubes feel-bad-mais-bizarrement-feel-good-quand-même -– et oui, nous parlons toujours de post-punk, dark wave et électro — puis Nomen Nescio et son set — je vous le donne dans le mille — dark wave tonitruant qui régneront sans partage sur la scène jusqu’au moment de se séparer, aux heures les plus froides de la nuit.

Queue de comète. Fin de partie.

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- Blackout fest (photo Guillaume Collin)

Epilogue pour que la fête ne s’arrête pas

Date mal choisie ? Programmation trop orientée ? Rendez-vous manqué avec la scène locale ? Communication pas assez efficace ? Erreur dans les choix d’organisation ? Les interrogations ne manquent pas et tournent en boucle dans les têtes pour essayer de comprendre. N’hésitez pas à suivre et soutenir le collectif Anthropoxie et à montrer le bout de votre nez la prochaine fois, pour que la fête ne s’arrête pas.

Photo haut de page : Oiseau sans coeur par Guillaume Collin

Notes

[1on ne parlera pas, ici, des Why not Raymond, c’était une autre vie

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