> Mag > Musique > Pili coït, l’amour libre de la musique (ou l’amour de la musique libre)
Le label/collectif lyonnais Dur & Doux est une pépinière de projets musicaux tous plus fous les uns que les autres. Retour sur le concert époustouflant qu’a donné aux Steppes le duo issu de ce creuset, Pili Coït.
Les Steppes ont été inaugurées il y a à peine deux ans et la brasserie s’est vite faite sa place dans le paysage des lieux de concerts à Annecy [1]. La programmation est éclectique, fait une part plutôt belle aux formations locales et apporte aussi discrètement sa touche personnelle, différente — comme, par exemple, cette connexion avec l’écurie lyonnaise Dur & Doux [2] dont sont issus Pili coït.
Le fond de salle où se tiennent les concerts fait face aux tables auxquelles un public restreint s’est assis. L’ambiance est un peu feutrée. On ne sait pas trop si il vaut mieux rester comme ça ou se lever pour aller devant. On fera comme on voudra. Jessica Martin Maresco et Guillhem Meier entrent en scène.
Un peu comme un bébé qui arrive sans crier gare, je crois, ce duo est né d’une blague, d’une expérimentation comme ça, sans arrière-pensée. Dans les instruments qu’il utilise, le bidon qui sert de percussion et le piano électrique joué uniquement comme batterie, il reste quelque chose de bricolé et d’improbable. Le duo joue du rock – et même du rock typiquement anglo-saxon, de type grunge, avec ses lignes vocales vraiment caractéristiques. Mais ceux et celles qui sont familiers des projets du label Dur & Doux et de la musique de Guilhem Meier — car c’est lui qui écrit la musique — savent que ces gens-là sont parfaitement incapables de tenir en place dans les limites d’un genre, ou de le jouer de manière conventionnelle, pour ne pas dire ennuyeuse.
Chez Pili coït, la base rock se prête à toutes les digressions dans des compositions à tiroirs ne cessant d’ouvrir et de refermer passages dérobés, étages intermédiaires, espaces insoupçonnés. Tout se passe comme si le public était d’abord capté par les harmonies vocales ciselées et les ambiances installées par la guitare et que, à son insu, il se retrouvait happé, aspiré dans un maelstrom de fantaisie musicale, d’accélérations brusques, d’architectures improbables dans un enchaînement parfois proche du délire. Le summum étant atteint sans doute avec « Lo comte Arnau », cette complainte occitane séculaire revisitée en version incantation noise frénétique, que le groupe a proposée au (fameux) label noise-rock américain Skin graft, qui sollicitait un morceau pour sa compil’ d’Halloween. Oui, vous avez bien lu : complainte occitane / label américain / Halloween. Enfin... il faut écouter pour le croire, ce n’est pas évident à décrire. Quoique « Taïra No Tomo Momoriga » ne soit pas mal non plus, avec ses voix martiales de samouraïs auxquelles répondent des minauderies adorables de geishas, sur fond de rythmiques noise épiques à la The Ex/Fugazi. Bon sang, quel morceau ! Certainement mon préféré de leur album le plus récent, Love everywhere.
Être un public face à des musiciens jouant leur musique est parfois un drôle de moment où on se demande ce qu’on fait là, à regarder un spectacle qui n’en est pas un. Mais, ici, la question ne se pose à aucun moment, tant l’engagement des deux est palpable et le malin plaisir qu’ils prennent à jouer — dans le sens le plus large du terme — communicatif. Il et elle sont au four et au moulin, aux arpèges bluesy cristallins et aux accords noise barrés, aux rythmiques pétaradantes et aux mélodies câlines susurrées, aux polyphonies entraînantes, aux cris perçants qui claquent et aux grandes envolées. Sans compter leur contact chaleureux avec le public et les petites piques drôles qu’ils ne cesseront de se lancer. Leur concert a quelque chose du numéro de saltimbanques et on ressort merveilleusement surpris, positivement ravis du tour qu’ils nous ont joué. Spectacle vivant, vous avez dit spectacle vivant ?
L’après concert sera l’occasion d’acquérir cette fameuse compilation d’Halloween mais aussi d’échanger avec Jessica et Guilhem et d’en apprendre plus sur leurs projets à venir — et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’aventure continue.
Merci Pili Coït ! Merci Les Steppes !
[1] Paysage fragile au vu des difficultés que rencontrent régulièrement les lieux, comme le mythique, l’incontournable, l’irremplaçable Bistro des tilleuls, actuellement (mars 2023) sous le coup d’une menace de fermeture administrative.
[2] Bess of Bedlam et Rien faire ont été programmés, Pili coït était au 648 café, donc, et, je crois, Chromb ! aux Tilleuls. Sans oublier Piniol et Poil Ueda au Brise-Glace mais il y en a peut-être eu d’autres...