> Mag > Musique > Excès de beurre & Ruine morale pour oreilles consentantes et averties
S’il demande un temps d’adaptation, le premier album du trio noise-rock baroque Saddam webcam se révèle à l’usage sacrément addictif et jubilatoire.
Si tout est débridé et excessif chez Saddam webcam, la musique du trio fonctionne tout de même sur un contraste central et explosif. D’un côté, le couple batterie-basse, souvent crasseux, massif et qui laisse de sales traces partout où il passe – et dans lequel on retrouve d’ailleurs nul autre que le guitariste de Tombouctou –, de l’autre, le chant exubérant et virtuose de Jessica Martin Maresco. Tout au long des sept titres qui composent ce premier album, les deux parties se tirent la bourre pour composer le noise-rock le plus échevelé et baroque qui soit.
Et il ne faut attendre guère plus loin que les premiers instants de « Dolorosa », le premier titre du disque, pour considérer qu’on a affaire à une formation de tout en haut du panier. Dans ces compositions à tiroirs, les bifurcations subites, les changements de direction tous pneus hurlants et les accélérations pied au plancher ne se comptent plus. Irriguées de bout en bout par un groove survolté et intraitable sur lequel plane parfois le spectre de No means no, l’énergie et la vitalité qu’elles dégagent ne faiblissent jamais et semblent pouvoir continuer à l’infini. Le chant polymorphe de Jessica Martin Maresco fond dans un même alliage vocalises lyriques, scats sauvages, accents punk rageurs, et mille autre nuances d’une palette étourdissante qui, là aussi, semble n’avoir guère de limites. La langue française en voit de toutes les couleurs et sonne comme jamais, jusqu’aux éructations de « Saké chaud » qui réveillent le fantôme lointain d’un RWA [1].
Régulièrement dans le rouge, coupable d’outrage à la décence musicale la plus élémentaire, Saddam webcam pratique une sorte de politique de la terre brûlée sonore, – l’excès de beurre en question, peut-être bien, ou la ruine morale, allez savoir. Le cerveau demandera peut-être un temps d’adaptation pour assimiler le flot continu et anormalement dense d’informations dont il est bombardé. Un pied dans le noise-rock et l’autre dans des dingueries free, mais quelle jubilation, une fois l’oreille au diapason !
Saddam webcam, Excès de beurre & Ruine morale (Dur & Doux, septembre 2033)