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> Mag > Musique > Less, un rêve éveillé et bruyant nommé noise-rock

En à peine quelques années d’existence, Less a fait les choses vite et bien et commencé à imprimer son nom dans le paysage noise-rock. Cette interview réalisée en marge de leur concert au Poulpe en décembre dernier permet d’en savoir un peu plus sur leur histoire et confirme l’engagement et la force de conviction peu communs de ce trio incandescent.

Less a une histoire un peu mouvementée, comment le groupe s’est-il formé ?

Romain : Je suis rentré de Paris avec plein de morceaux en tête, que je n’avais jamais vraiment réussi à concrétiser. J’ai créé le groupe avec un copain à la basse, Jérem. On a passé une annonce pour trouver un batteur et ça matché avec Ben, qui habite à Thonon. C’est allé très vite, j’avais toutes ces compos prêtes, les parties des deux basses, la batterie, il ne restait plus qu’à peaufiner. On était prêt à jouer et... covid. Donc, il ne s’est rien passé. Ben a dû partir sur Nancy pour ses études. On a gardé le groupe comme ça mais c’était compliqué. J’ai bougé sur Tours, on était éparpillés, c’était galère. Ben nous a dit que ce n’était plus possible pour lui. À Tours, on a fait un bout de chemin avec Jérôme mais ça ne matchait pas trop niveau énergie et style musical –- comme c’est mon projet, j’ai une idée assez précise de ce que je recherche ! On a repris contact avec Matthieu, qui nous avait dépanné un temps. On n’a pas encore « officialisé », il doit encore prendre sa décision mais… on espère que ça viendra ! Jérem a aussi suivi son propre chemin -– il a un salon de tatouage à Saint-Julien. J’ai trouvé un autre bassiste mais il s’est littéralement explosé le pied au travail. Adrien est arrivé en renfort. On attend le retour du bassiste mais... Tout se passe très bien. On est presque quatre dans le groupe mais… on n’est que trois à jouer !

Pourquoi ce choix de deux basses ? Et peux-tu nous parler un peu de la basse que tu joues, qui est un peu particulière ?

Romain : Comme beaucoup de touche-à-tout, je ne suis vraiment bon avec aucun instrument. J’ai fait un peu de batterie, de la guitare et je me suis reconverti dans la basse, comme beaucoup de mauvais guitaristes ! J’avais envie de quelque-chose de vraiment massif, alors… pourquoi pas deux basses ? Mais je voulais aussi ce côté rythmique que j’avais à la guitare donc nous avons une basse tout à fait normale et une trafiquée, avec une whammy qui part dans les aigus, un son très saturé qui fait presque guitare baryton mais encore plus… basse ! Bon, tout ça reste très rythmique, c’est pas compliqué : ça va droit dans le mur et c’est voulu ! Pour l’histoire de la basse : je passe devant un Cash converter, à Paris, je vois cette basse, un modèle que je ne connaissais absolument pas. Je flashe dessus, j’ai toujours aimé les instruments avec des formes chelous ! Le mec me la vend pour 250 euros, c’est une Vox apache phantom originale de 1972, elle vaut 1000 balles de plus ! Joy division l’utilisait en guitare ! Comme je travaillais mon jeu façon mi-basse, mi-guitare, la corde de la ne me servait pas : j’ai fait modifier l’instrument pour qu’il n’y en ait plus !

J’essaye de retrouver cette ambiance noise mais en la « poppisant ». Je recherche la variété, un côté très accessible, tout en restant très bourrin !

Pour finir les présentations : Matthieu et Adrien, vous jouez dans d’autres groupes ?

Adrien : Oui, j’ai joué dans plusieurs projets avec lesquels on a pas mal expérimenté mais pas forcément fait de sorties. Il y a eu Des rives, par exemple, avec du chant en français, qui n’existe plus mais on est en train de remonter quelque chose avec le chanteur.
J’ai vraiment commencé la musique dans un groupe de surf-garage qui s’appelait Vague alarme –- un power trio dans lequel je me suis vraiment éclaté et dont je retrouve un peu l’énergie avec Less. Il y a eu Pirog aussi, un projet post-rock durant le confinement.
Matthieu : J’ai un groupe de pop qui s’appelle Il neige et un groupe de métal-prog, Esprit d’escalier. Je joue dans différentes formations pour gagner ma croûte, je fais des mariages : je suis intermittent. J’ai aussi un projet black/death-core qui est en préparation.
Romain : C’est le métalleux de la bande !

Si on peut entendre pleins d’influences dans votre musique -– depuis le punk originel jusqu’à des choses plus noise actuelles -–, elles sont aussi très homogènes. Cela vient-il de votre façon de composer ?

Romain : C’est moi qui compose tout. J’écoute de tout : rap, punk, métal, électro, classique… Donc je pioche vraiment partout. J’ai quand même des groupes phares : Metz, Nirvana, les groupes noise 90s à la Unsane, très lourds, pesants, noirs. Je viens du punk : les Dead Kennedys, Black flag, Exploited – puis j’ai eu ma petite période Strokes, le côté pop de la chose. J’essaye de retrouver cette ambiance noise mais en la « poppisant ». Je recherche la variété, un côté très accessible, tout en restant très bourrin ! Kurt Cobain était fan des Beatles et pouvait intégrer des petits breaks tout gentils dans ses morceaux. Ce genre d’approche, c’est mon dada !

Vous donnez l’impression d’être des fans de noise-rock. C’est une scène et un son qui ont toute une histoire : comment avez-vous découvert ce style ?

Romain : Comme tout le monde, je suis rentré dans le rock par celui de mon époque. C’était le nu metal : Linkin Park, Slipknots, Deftones -– j’ai surtout accroché sur Deftones, même si le côté punk me manquait. J’ai toujours aimé les larsens, les trucs dissonants. Mon père, qui est un musicien de jazz et de funk, me disait : depuis tout petit, t’es chelou ! J’aimais ça mais je ne mettais pas vraiment un nom dessus. Et puis, des gens autour de moi m’ont dit : « Romain, écoute le noise-rock ! » J’ai écouté et c’était ça, c’était exactement ça ! J’ai commencé par les classiques : le Sonic youth un peu déglingué des débuts, le Nirvana de Bleach, Unsane, Whores et puis je suis arrivé à Metz. Je suis un fanatique de Metz ! Je ne m’en cache pas, au contraire, je les remercie pour l’inspiration !
Matthieu : Moi, la scène noise-rock, je ne la connais pas. Less, c’est le seul moment où j’ai l’occasion d’en faire ! Tout ce qui est punk-rock ou noise-rock, ça m’emmerde assez vite. Je viens du jazz et du gospel -– bon, j’ai un peu viré de bord ! (Rires) Ca va faire vraiment geek ce que je vais dire mais ce que j’aime, c’est la musique complexe. Le rock-prog, c’est mon dada ! Par contre, quand je joue il se passe un truc parce que j’ai de plus en plus envie d’être un batteur physique. Et puis, plus j’écoute, plus j’apprécie. J’entends des choses que je n’entendais pas avant. Je comprends le discours.
Adrien : Un point commun entre la pop et le noise-rock, c’est d’aller à l’essentiel, droit à l’émotion et au propos. Ça, ça me parle à fond. Je me suis bien plongé dans le son, très garage, DIY, low-fi – c’est aussi mon boulot. Moi aussi, le post-punk m’a beaucoup plus plu que le punk. Metz, c’est une grosse claque mais, en France, il y a Psychotic monks qui m’a retourné.
Romain : Ils sont un peu entre Girl band and Black midi… Girl band, j’ai découvert à la Villette sonique, il n’y a aucune note et c’est extraordinaire ! C’est fou !
Adrien : Je n’ai pas découvert Less avec l’album mais parce qu’on partageait le même local. Je passais : Romain était en train de faire écouter son Garageband tout pourri. Je me suis dit : « C’est quoi ce délire : même sur Garageband, ça sonne et ça me plaît ! »

Le son de vos enregistrement a une sacré personnalité. Est-ce que tu peux expliquer comment vous avez travaillé avec le studio ?

Romain : Il a été enregistré avec le tout premier line-up : Ben et Jérem. J’ai fait écouter nos références à l’ingénieur du son, qui vient plutôt du métal : il bosse avec Smash hit combo, ce genre de choses... Je voulais un truc encore plus dégueulasse, presque à la Bleach, saturé, crasseux, intense. On a travaillé un peu à distance après avoir enregistré et au final on est tombé d’accord. Je suis très content : notre album a été remarqué grâce au son… On a mis directement les moyens, on n’a pas voulu passer par la petite porte et on a eu du résultat !
Pour les prochains morceaux, ce sera Adrien qui nous enregistrera. On va pouvoir se rapprocher encore plus de ce qu’on ressent vraiment. Ce sera peut-être un peu plus crade, volontairement, pour revenir à l’essentiel.

Qu’est-ce qui représente bien notre société ? On n’a pas d’argent, les relations humaines ne sont pas authentiques, on vit sans amour, sans empathie, sans argent : on est less de tout !

C’est encore des morceaux que tu composes seul ?

Romain : Oui, tout ! Je suis très productif, je compose tout les jours. J’ai d’autres projets à côté, je fais de la trip-hop, j’ai un petit truc de cold wave avec un pote d’Annecy –- on a sorti un morceau -– et, là, je suis en train de monter quelque chose avec mon voisin dans un délire 90s, genre Pavement. Je compose 24/24, ça ne s’arrête jamais ! Pour Less, j’ai 70 ou 80 compos d’avance et, sur Garageband, je dois avoir passé les 500 projets…

« Less », si tu modifies un son, ça fait « Metz »… C’était voulu ?

Romain : Non, pas du tout. Au tout début, je voulais nous appeler Black mais ça paraissait un peu compliqué. La politique, je m’en fous mais il y avait Black flag, Black midi… et probablement des groupes qui s’appellent Black. Je me suis demandé : qu’est-ce qui représente bien notre société ? On n’a pas d’argent, les relations humaines ne sont pas authentiques, on vit sans amour, sans empathie, sans argent : on est less de tout !

Comment le contact s’est-il établi avec The Ghost is clear et Reptilian records, les deux labels américains qui ont sorti votre disque ?

Romain : Less, c’est un travail pour moi. J’ai arrêté de travailler pour me concentrer essentiellement sur le groupe. C’est beaucoup de boulot, établir énormément de contacts, essuyer pas mal de refus, écrire pour que ça remonte aux oreilles de tout le monde. Il y a ce groupe sur facebook : « Noise rock now », qui est très actif. C’est par lui que le gars de The Ghost is clear m’a écrit. Il était chaud : ce serait une édition limitée, 100 copies. Faire un vinyle, c’était un rêve pour moi. Aux États-Unis, en plus, avec les deux labels du moment qui sont en train de sortir tout ce qu’il faut : Chat pile, Easy prey… Waouh ! J’étais comme un dingue ! Être un petit groupe français sur des labels américains, ça nous a donné un coup de main de ouf ! Tout de suite, on a commencé à s’intéresser à nous, à se faire un petit nom dans notre milieu et encore plus à l’étranger, aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. On garde d’ailleurs contact et ils m’ont demandé de les tenir au courant de notre prochain album, qui devrait être un 12 titres.

Mais que tu aimes ou pas, on le fera quand même !

Vous avez déjà pas mal tourné. Qu’est-ce que vous retenez de ces expériences ?

Romain : De l’expérience : apprendre à gérer son truc. Au début, je me pétais la voix très rapidement, maintenant je gère un peu mieux… C’est aussi que je veux toujours donner le meilleur de moi-même. J’ai tendance à en faire parfois un peu trop… C’est comme ça, j’ai une revanche à prendre sur la vie ! (Rires)

C’est ce qui m’avait frappé lors de votre concert aux Tilleuls. On sent que votre musique vient des tripes…

Romain : Et, encore, c’était il y a un an et demi. On a fait du chemin depuis...

Oui, votre attitude me rappelle ce qu’on dit d’un groupe comme Black flag, qui poussait très loin l’engagement physique dans la musique, répétant pendant des journées entières et enchaînant les tournées marathon dans des lieux que personne n’avait visités jusque-là…

Romain : C’est que de la colère. Si je dois définir Less, c’est de la colère. J’ai d’autres projets, où j’utilise d’autres sentiments. Murky mind, c’est mes états sentimentaux, ma tristesse… Less, c’est la colère. Je suis souvent dans un état de colère, contre la politique, les religions, mais aussi en rapport avec mes problèmes d’addiction, j’en parle dans mes morceaux et je leur en mets plein la gueule ! C’est le but ! Je ne suis pas un mec engagé mais, putain, quand je digère pas un truc, tu le sens direct !
Matthieu : C’est propre à Romain. Moi, ce n’est pas mon cas.

Comment les gens ont-ils réagi à votre musique ?

Romain : Au début, les gens n’étaient pas réceptifs du tout. On a un côté un peu hybride, peut-être pas assez punk pour les punks, certains morceaux sont plutôt garage, « Nervous Breakdown » a des côtés très metal. Les larsens partout font vite chier ceux qui sont pas dans ce style. Mais que tu aimes ou pas, on le fera quand même ! Les gens n’aimaient pas au début mais ça change, ça grossit… Je me dis que, à force, si on ne lâche pas l’affaire, on pourra peut-être un jour espérer faire des cachets ! (Rires)
Matthieu : Effectivement, le son est vraiment fort mais plein de gens y prennent plaisir, sont devant, se prennent au jeu, pogotent ou vivent le truc de façon viscérale.

Y a-t-il une nouvelle inflexion, une évolution dans les compositions à venir de Less ?

Romain : Toujours plus, toujours plus loin, toujours plus haut ! Je n’ai pas vraiment de prétention : si ça devait s’arrêter là, je serais content. Mais si je pouvais me dégager de quoi vivre avec la musique, je serais le mec le plus heureux du monde. Tourner à bloc –- j’adore être sur scène ! ---, enregistrer quand c’est possible. Je veux juste faire ce que j’aime. Comme un mec qui vit son adolescence mais à 32 ans –- en ayant conscience que c’est impossible, quasiment.

Pour finir, vous êtes de Tours : combien de fois vous avez vu Pneu ?

Adrien : Ha ha, trois fois !
Romain : Une fois, mais pas à Tours !

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