> Mag > Musique > Jazz ContreBand, non-stop conversation
Le plateau proposé par Château-Rouge, composé du trio avant-rock Aksarven et du Léon Phal Quintet au jazz hybride et acidulé, s’est révélé une véritable expérience de croisement des esthétiques et des publics.
Le public avait répondu bien présent à cette soirée et se pressait en nombre dans la petite salle du café de Château-rouge, divisée en deux espaces – chaises d’un côté, espace pour se tenir debout de l’autre –, comme pour signifier d’entrée de jeu la pluralité des écoutes, des publics.
Si on fait exception de leur premier concert qui a eu lieu au Brise-Glace en première partie d’Elysean Fields, cette soirée était le véritable acte de naissance d’Aksarven. Le trio formé par les deux membres de Nevraska, Pascal Revil (basse) et Jérémy Arminjon (batterie), et le pianiste Jorge Ribeiro concluait une résidence de quatre jours et fêtait la sortie toute récente de son premier album, Drifting From Nowhere. Les musiciens, habitués des scènes rock, y explorent de nouveaux territoires musicaux et développent une esthétique hybride que cette soirée leur permettait de porter vers d’autres publics.
Comme sur l’album, c’est « Wandering souls » et son riff math-rock sur-tonique qui ouvre le concert. Ce morceau très réussi introduit bien le propos du groupe, la greffe qu’il propose entre un piano à mi-chemin entre penchants classiques et pop et la rythmique résolument rock – ou, pour être précis, nourrie des courants (post-, math-, etc.) qui agitent le rock indépendant depuis 30 ans au moins. Le son est bon, le rendu plus naturel qu’au Brise-Glace et le public est immédiatement attentif. On sent les gens intéressés, interpellés par cette musique intense qui, peut-être, les prend à contre-pied, comme lors des brusques arrêts qui ponctuent des morceaux parfois inhabituellement longs, où on ne sait plus trop s’il faut applaudir ou pas. Peu importe, l’écoute est évidente, palpable, et le
restera tout au long du concert. Au-delà des avis et des goûts des uns et des autres, c’est clairement le plus beau cadeau que l’on puisse faire à une musique.
Il y a de courtes prises de parole, réparties entre les trois musiciens, mais la concentration est globalement intense. L’expérience du live est complémentaire de l’écoute sur disque, les morceaux prennent corps, l’approche personnelle développée par le groupe devient évidente. Certains passages prennent un relief particulier, comme ces mélodies distordues typiquement post-rock, jouées en accords à la basse. Le concert se terminera sur « Trembling lights », où le groupe est rejoint sur scène par Jérôme Ceccaldi. Son saxophone extatique mènera de bout en bout ce morceau inspiré, qui ce soir là avait un peu des airs des compos sauvages de Akosh Szelevényi -– le saxophoniste hongrois qui a accompagné un temps Noir Désir, vous vous souvenez ?
Le quintet emmené par le jeune saxophoniste Léon Phal est souvent présenté comme l’avant-garde du jazz – ou plutôt les représentants d’un jazz nouvelle génération, les deux termes tendant ici à se confondre. Le groupe a déjà publié deux albums et est très régulièrement l’invité des salles et festivals de la région, comme en témoignent les compte-rendus d’Emmanuelle-Anatholie, qui les compte même parmi ses « chouchous » !
Pour ma part, je dois dire que l’idiome à travers lequel le groupe s’exprime et l’imaginaire que porte ce jazz funky mâtiné de house music me laissent plutôt froid. Mais, à force d’être confronté à des esthétiques multiples, je suis devenu un partisan résolu du dépassement des préférences de genre et du plafond de verre du j’aime/j’aime pas, pour aller vers une écoute sans préjugés de ce qu’a à dire une musique.
Et musique, il y eut. Jouée par des musiciens concentrés mais aussi très détendus, elle fait l’effet d’une conversation plutôt que d’un effort. C’est une musique assez lumineuse, jouant de la tension entre les sonorités en demi-teinte de l’orgue et celles plus éclatantes du duo saxophone/trompette, et extrêmement équilibrée – trop, sans doute, pour moi parfois. Certains passages plus détonants font mouche, comme le thème syncopé de « Make it bright » ou l’intro moins cotonneuse de « Dust to stars », joliment mis en relief par la sobriété de l’écriture. Si je ne parviens pas à adhérer totalement, le groupe s’y entend indubitablement pour créer une relation chaleureuse avec le public et fera irrésistiblement monter la sauce, face à une salle toute acquise à sa cause et visiblement comblée.